Dans le monde arabe, la Tunisie a montré la voie à suivre pour briser les tabous et promouvoir les droits des femmes. Or, malgré des réformes positives adoptées au fil des ans, ceux qui violent et qui kidnappent des adolescentes peuvent toujours échapper aux poursuites s’ils se marient avec leur victime.
Les carences législatives
Les femmes qui signalent un viol conjugal ou des violences familiales sont poussées à retirer leur plainte pour des questions de honte.
Les gays et les lesbiennes qui signalent des violences risquent d’être eux-mêmes poursuivis en justice plutôt que leurs agresseurs.
De plus, dans certains cas, les auteurs des agressions sont des policiers.
Du fait de lois archaïques, de l’inefficacité du maintien de l’ordre ainsi que des stéréotypes relatifs au genre enracinés dans la société tunisienne, il est difficile pour les femmes d’obtenir justice pour les crimes commis contre elles et elles sont même parfois poursuivies en justice en tant que délinquantes.
Nous nous sommes entretenu avec des dizaines de personnes ayant subi des agressions physiques et sexuelles telles qu’un viol, des violences familiales et le harcèlement sexuel.
Toutes ces personnes se heurtent à des obstacles juridiques et sociétaux quand elles signalent les agressions commises contre elles, et elles ne reçoivent pas une aide médicale et sociale adéquate.
« L’honneur » plutôt que la justice
En Tunisie, les femmes et les jeunes filles vivent dans une société qui préfère voir préservé l’« honneur » de la famille plutôt que de voir les agresseurs déférés à la justice. Les femmes, en particulier celles victimes d’une agression sexuelle ou de violences familiales, subissent des pressions visant à les dissuader de porter plainte et à les amener à penser qu’elles jetteront la honte sur leur famille si elles le font. Souvent, les policiers rejettent celles qui osent porter plainte, ou remettent sur elles la responsabilité des violences subies et, dans certains cas, la police a considéré que son rôle était de servir de médiateur entre la victime et l’auteur de l’agression, même dans des affaires de violences très graves.
Cette attitude ainsi que les manquements de l’État sont particulièrement nocifs dans un pays ou les violences sexuelles et liées au genre sont courantes.
De nombreuses Tunisiennes se retrouvent enfermées dans le cycle des violences – y compris le viol –, souvent aux mains de leur mari.
La législation tunisienne relative au viol présente de graves failles et dissuade les victimes de se manifester. En pratique, comme la législation sur le viol met l’accent de manière excessive sur l’utilisation de la force ou de la violence, il est difficile pour les femmes de prouver qu’il y a eu viol en l’absence de preuves médicales importantes telles que des signes de blessure physique.
Le fait que l’adultère soit puni d’une peine de cinq ans d’emprisonnement infligée à la fois à l’homme et à la femme est encore un facteur supplémentaire qui contribue à dissuader les femmes de porter plainte en cas d’agression sexuelle .
La législation sur l’« atteinte aux bonnes mœurs » est également utilisée pour sanctionner des victimes de violence sexuelle. Comme en septembre 2012 où une femme a été inculpée d’outrage à la pudeur après qu’elle eut accusé deux policiers de viol.
Des populations particulièrement exposées
Les victimes LGBTI de violences physiques et sexuelles en Tunisie risquent encore davantage d’être rejetées par la police ou d’être poursuivies en justice en raison de l’homophobie et de la transphobie ambiantes et de la criminalisation des relations sexuelles consenties entre personnes de même sexe.
En Tunisie, les travailleurs et travailleuses du sexe sont aussi particulièrement exposés au risque d’exploitation sexuelle, de chantage et d’extorsion principalement de la part de la police. Comme leur travail est réprimé par la législation pénale, ils n’osent souvent pas porter plainte pour les violences commises contre eux, par crainte de poursuites judiciaires.
Comment inverser le cours de la violence ?
La Constitution tunisienne de 2014 est une avancée majeure en ce qui concerne la protection des droits humains et la préservation des progrès réalisés par le mouvement pour les droits des femmes au fil des ans.
Elle assure une meilleure protection pour les femmes et garantit l’égalité des genres et la non-discrimination. La Constitution contient aussi d’autres garanties importantes qui protègent les droits des LGBTI. Elle garantit le droit à la vie privée et à la liberté d’expression, de pensée et d’opinion.
Cependant, les travaux de rédaction d’une nouvelle loi visant à combattre la violence à l’égard des femmes et des jeunes filles et qui propose aussi de dépénaliser les relations sexuelles entre personnes de même sexe ont pris du retard.
La Tunisie doit mettre en place une série de réformes audacieuses pour mettre fin à la discrimination et à la violence généralisées qui continuent de briser des vies. C’est uniquement ainsi que la Tunisie pourra véritablement éliminer les inégalités liées au genre et protéger les personnes prises pour cible en raison de leur genre ou de leur identité sexuelle.
Articles parus en Tunisie
Violence à l’égard des femmes - Des lacunes dans la législation tunisienne
http://lapresse.tn/04122015/107264/des-lacunes-dans-la-legislation-tunisienne.html
Selon le dernier rapport d’Amnesty International, les violeurs échappent à toute sanction et les victimes finissent par être considérées comme fautives
Bien que la Tunisie soit le premier pays des droits de la femme dans le monde arabe, des failles subsistent dans la réglementation actuelle qui ne protège pas les femmes contre certaines formes de violence, dont la violence sexuelle. Amnesty International a recueilli des témoignages auprès de dizaines de femmes et de jeunes filles ayant soit fait l’objet de harcèlement sexuel ou subi une agression sexuelle au sein de leur entourage.
Bien qu’elles aient porté plainte, la plupart des agresseurs n’ont pas été poursuivis par la justice. Les conclusions du rapport qui a été rédigé sur les lacunes de la législation tunisienne et qui a été intitulé « Les victimes accusées. Violences sexuelles et violences liées au genre en Tunisie » ont été rendues publique à l’occasion de la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes. Il s’avère, en effet, que les préjugés et les stéréotypes sont tenaces, allant jusqu’à empêcher une éventuelle et nécessaire réforme de la loi qui reste « rétrograde » à l’égard des femmes victimes de violence ainsi que des hommes et des femmes dont l’orientation sexuelle est jugée « contre-nature ».
« Dans le monde arabe, la Tunisie a montré la voie à suivre pour briser les tabous et promouvoir les droits des femmes.
Or, malgré des réformes positives adoptées au fil des ans, dans la Tunisie actuelle, ceux qui violent et qui kidnappent des adolescentes peuvent toujours échapper aux poursuites s’ils se marient avec leur victime.
Les femmes qui signalent un viol conjugal ou des violences familiales sont amenées à retirer leur plainte pour des raisons morales. Les gays et les lesbiennes qui signalent des violences risquent d’être eux-mêmes poursuivis en justice plutôt que leurs agresseurs », a relevé, à ce propos, Saïd Boumedouha, directeur adjoint du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord.
Plaintes sans suite
Bien que 47% des femmes en Tunisie aient été victimes au moins une fois dans leur vie de violence physique, selon la dernière enquête nationale sur la violence à l’égard des femmes qui a été réalisée en 2010, les plaintes déposées par les victimes restent souvent sans suite. Plus que conciliante sur les formes de violence exercées au sein de l’entourage familial, la législation tunisienne ne protège pas suffisamment les femmes qui en sont victimes.
En effet, le viol conjugal, qui n’est pas défini clairement dans le cadre de la réglementation, ne fait pas l’objet de poursuites judiciaires, sauf si la victime a été victime de violence physique. Or, en l’absence de traces de coups, il est difficile pour cette dernière de prouver qu’elle a fait l’objet d’un acte contre son gré et sans son consentement.
Et il ne s’agit pas de la seule lacune dans la réglementation tunisienne. La loi ne prévoit pas non plus de protection pour les femmes victimes de violence et qui font l’objet de pression de la part de leur agresseur et de leur famille. Elles ne peuvent pas, en effet, solliciter une ordonnance de protection qui empêche leurs agresseurs de prendre contact avec elles. D’autres défaillances ouvrent la porte aux abus, banalisant ainsi les différentes formes de violence physique et sexuelle à l’encontre d’hommes et de femmes vulnérables qui y sont exposés fréquemment.
Elle permet à un violeur d’échapper aux poursuites s’il épouse sa victime âgée de moins de 20 ans. Outre le fait qu’elle ne reconnaît pas le viol conjugal, elle criminalise les rapports physiques entre adultes consentants du même sexe, bafouant, ainsi, leur droit de porter plainte en cas d’agression physique.
Au cours d’une conférence de presse tenue hier à Tunis, Lotfi Azzouz, directeur du bureau d’Amnesty International, a affirmé qu’une pétition sera adressée au chef du gouvernement ainsi qu’aux ministères de l’Intérieur, de la Justice, et des Affaires de la femme, de la Famille et de l’Enfance afin de les exhorter à engager une réflexion sur la possibilité de réformer la loi en vue de reconnaître juridiquement la violence conjugale et de dépénaliser les relations physiques entre personnes de même sexe. « Les lacunes de la législation tunisienne permettent aux auteurs de viol, d’agression sexuelle et de violence physique d’échapper aux poursuites, alors que les victimes sont souvent sanctionnées et culpabilisées quand elles osent signaler les crimes commis contre elles. Il faut réformer la loi en l’alignant sur les législations internationales en vigueur », a-t-il affirmé à ce propos. Il y a lieu de signaler qu’Amnesty International prévoit de lancer bientôt une campagne internationale qui aura pour slogan « Mon corps, mes droits ».
“Les auteurs du viol échappent aux poursuites alors que les victimes sont sanctionnées et culpabilisées” (Rapport)
http://africanmanager.com/les-auteurs-du-viol-echappent-aux-poursuites-alors-que-les-victimes-sont-sanctionnees-et-culpabilisees-rapport/
“Les lacunes de la législation tunisienne permettent aux auteurs de viol, d’agression sexuelle et de violence physique d’échapper aux poursuites alors que les victimes sont souvent sanctionnées et culpabilisées quand elles osent signaler les crimes commis contre elles” a déclaré le directeur du bureau de Tunis d’Amnesty International, Lotfi Azzouz.
Lors d’une conférence de presse tenue, jeudi, à Tunis, consacrée aux résultats du rapport de l’organisation intitulé “Les victimes accusées : violences sexuelles et violences liées au genre en Tunisie”, Azzouz a souligné que cinq ans après la révolution du 14 janvier 2011, “la Tunisie, pays avant-gardiste en matière d’égalité des sexes, ne protège pas encore les femmes qui subissent des violences”.
En concomitance avec la publication de ce rapport, une campagne mondiale d’Amnesty international placée sous le signe “Mon corps, Mes droits”, sera lancée, a-t-il annoncé, l’objectif étant d’inciter les gouvernements à cesser de régenter et de criminaliser la sexualité et la procréation.
Azzouz a affirmé qu’une pétition sera adressée aux autorités tunisiennes, notamment, le chef du gouvernement et les responsables des ministères de la santé et de l’Intérieur, de la femme, de la famille et de l’enfance en vue de les exhorter à adopter une loi intégrale contre la violence faite aux femmes et jeunes filles en harmonie avec les engagements internationaux de la Tunisie en matière des droits de l’homme.
L’Organisation, a-t-il dit, exhorte la Tunisie à réviser les législations attentatoires à cette catégorie de personnes, vers le sens de la reconnaissance juridique de la violence conjugale et en vue lutter contre l’impunité des violateurs en cas de leur mariage avec les victimes parmi les mineures.
La pétition plaide, selon le responsable d’Amnesty International, en faveur de l’élargissement de l’accès aux personnes ayant échappé à la violence sexuelle au système de santé et œuvre à promouvoir les comportements au niveau du milieu familial et social.
De son côté, la chercheuse dans les affaires du Nord de l’Afrique au sein de l’Organisation Amnesty International, Majdolina Maghrebi a fait remarquer que le rapport a couvert six gouvernorats de la Tunisie (Tunis, Sousse, Kairouan, Sfax, Gafsa et Kef) et s’est appuyé sur des entretiens avec des dizaines de femmes et de jeunes filles victimes de la violence physique et sexuelle, du viol et de la violence domestique et de harcèlement sexuel.
Ces entretiens ont fait ressortir que ces femmes sont confrontées à des obstacles d’ordre juridique ou sociétal lorsqu’elles décident de signaler officiellement les agressions subies.
La chercheuse met en garde contre les lois régissant le viol en Tunisie, qui a-t-elle dit, sont assorties de nombreuses insuffisances, citant à ce propos la difficulté de prouver l’usage de la violence ou de la force dans certains cas.
Ce rapport est publié en concomitance avec les festivités marquant la célébration de la journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes qui coïncide avec le 25 novembre de chaque année.