Après les attentats qui ont ensanglanté Paris, l’association Survie souhaite exprimer sa profonde inquiétude face au tout sécuritaire que l’Assemblée nationale et le Sénat ont consacré par un rare unanimisme, résultat d’un dangereux aveuglement politique quant aux causes profondes des attentats. La condamnation sans ambiguïté de ces actes criminels ne doit pas empêcher d’interroger les facteurs qui ont créé un contexte favorable à de tels actes suicidaires et meurtriers.
Les réactions officielles jouent la carte de l’émotion patriotique et évacuent toute réflexion, tant sur les causes internes et externes de ces attentats que sur les conséquences à court et long terme de la suspension de droits parmi les plus élémentaires pendant la durée de l’état d’urgence, que le Gouvernement envisage déjà de prolonger au-delà des trois mois déjà actés par le Parlement.
En tant que mouvement social français, l’association Survie ne peut se montrer que profondément alarmée par les mesures sécuritaires et liberticides sans précédent déployées sur le territoire français. L’état d’urgence va bien au-delà d’une simple atteinte à l’État de droit, puisqu’il s’y substitue : perquisitions en dehors de tout contrôle judiciaire, dont certaines n’ont rien à voir avec la « lutte anti-terroriste », assignations à résidence arbitraires et désormais basées sur le « comportement », interdiction sous prétexte sécuritaire de la plupart des mobilisations à but politique alors que les événements sportifs et commerciaux de grande ampleur sont maintenues et encouragés par les autorités [1]. Le Parlement a également ajouté une disposition initialement absente de la loi de 1955 sur l’état d’urgence qui permet désormais de dissoudre des « associations ou groupements de fait » qui participent, aident ou incitent à commettre des « actes portant une atteinte grave à l’ordre public » - une dénomination floue qui peut arbitrairement englober toute forme de contestation.
En dépit d’annonces officielles prétendant éviter tout amalgame, ce durcissement sécuritaire sans précédent intervient dans un contexte de libération du racisme et de méfiance accrue vis-à-vis des migrant-e-s. Ces mesures sont issues directement de l’appareil répressif colonial [2]. Elles renforcent la discrimination de pans entiers de la population et accentuent le sentiment de rejet et la colère de personnes victimes de ce racisme structurel, dont le seul crime serait d’avoir la mauvaise religion, culture ou couleur de peau. Tout en prétendant protéger la démocratie et les libertés, elles sont une attaque frontale vis à vis des contre-pouvoirs et étouffent les voix individuelles et collectives qui voudraient s’élever contre elles.
Suites aux attentats de janvier 2015, l’empilement législatif dit « anti-terroriste » avait déjà été durci et les libertés individuelles attaquées par l’arsenal sécuritaire de la loi sur le renseignement [3], tandis que l’interventionnisme à l’étranger connaissait un nouveau tournant avec, depuis septembre, l’extension à la Syrie des frappes aériennes visant Daesh. Aujourd’hui le constat est sans appel : ces « réponses » n’ont pas permis d’éviter le massacre à Paris, n’ont pas permis de fragiliser l’État islamique et ont plutôt renforcé la détermination de certains de ses partisans à prendre la France pour cible.
Pour chercher d’autres réponses, il est nécessaire de questionner les ressorts du racisme, des inégalités et la politique étrangère de la France. Depuis plus de 50 ans, la France soutient des régimes criminels, précieux clients de l’industrie française de l’armement, producteurs de matières premières stratégiques, marchés juteux pour les entreprises françaises et parfois investisseurs opportuns en France.
La classe politique, prompte à voter de façon quasi unanime la prolongation et le durcissement de l’état d’urgence, n’est toujours pas parvenue à se saisir des enjeux de cette politique extérieure court-termiste et mortifère. Comme en matière de contrôle des opérations extérieures, lorsqu’ils sont consultés par l’exécutif [4], rares sont les parlementaires qui s’insurgent des alliances criminelles de notre État au nom d’intérêts économiques ou géostratégiques [5], ou encore à exiger un renforcement du contrôle parlementaire des exportations d’armes, réclamé depuis des années par les ONG. Personne ou presque n’ose critiquer l’interventionnisme de l’armée française, vieille tradition impérialiste désormais parée des nouveaux habits de la « guerre contre le terrorisme », qui ne fait pourtant que renforcer la colère et parfois la « radicalisation » de celles et ceux qui subissent cette politique va-t-en guerre. Les expériences irakienne et libyenne le prouvent à suffisance, le résultat n’est que de provoquer un chaos meurtrier et fatal à toute évolution démocratique. Une semaine après les attentats de Paris, un symbole de l’absurdité et de la courte vue de la politique étrangère française est justement revenu au cœur de l’actualité. Ces dernières années, la France a en effet joué le rôle de pompier et de pyromane au Mali, en intervenant dans une situation qu’elle avait elle-même contribué à créer, par son soutien à des groupes dans le nord du pays et par la déstabilisation du Sahel engendrée par la guerre en Libye. Après les dizaines d’attaques et attentats recensés depuis le début de la guerre au Mali, dans une zone de plus en plus étendue, l’attentat à Bamako le 20 novembre dernier, le plus médiatisé, fut un nouvel exemple, tragique, de l’échec de cette politique.
L’association Survie est consternée et inquiète de l’intensification de cette politique guerrière au Moyen-Orient, doublée du récent engagement de l’Union Européenne à soutenir la France dans ses interventions africaines et des attaques sans précédents contre nos droits en France. Les mêmes causes produisant souvent les mêmes effets, il est nécessaire de s’opposer à l’état d’urgence et d’ouvrir un débat national sur la politique étrangère de notre pays.
Survie