Emmanuel Macron avec un grand élan gaullien se dresse contre l’outrecuidance de Nissan. Nissan fait savoir qu’il n’apprécie guère le comportement de son coactionnaire dans le groupe Renault, l’Etat français. Carlos Ghosn, le patron de l’alliance Renault-Nissan, ne dit pas grand-chose mais penchent pour son allier nippon. Quelle affaire !
Faites rentrer les accusés
Selon la loi du 29 mars 2014 visant « à reconquérir l’économie réelle » (loi « Florange » de Montebourg), les actionnaires qui conservent leurs titres pendant au moins deux ans sont récompensés par l’octroi de droits de vote doubles. Pour Renault, l’Etat qui détenait durablement 15,01 % du capital est donc concerné. Mais cette disposition n’est possible que si l’assemblée des actionnaires ne s’y oppose pas. Pour réussir à faire voter cette disposition, l’Agence des Participations d’Etat a procédé en avril dernier à l’acquisition de 14 millions de titres (environ 4,7% du capital), pour un prix compris entre 814 millions d’euros et 1.232 millions d’euros, portant ainsi la participation de l’Etat à 19.7% du capital.
Nissan n’est visiblement pas très heureux de cette situation au nom de l’interférence d’un Etat dans une entreprise privée. En effet dans le montage de départ de l’alliance, Nissan a bien 15% du capital de Renault mais pas de droits de vote. Un déséquilibre que le groupe japonais ne semble pas supporter même si l’Etat français jure qu’une fois obtenu ses votes doubles il réduira sa participation. Rien ne semble y faire, la question demeurant justement celles des droits de vote. D’où la menace, avancée par Carlos Ghosn, de redonner des droits de vote au constructeur japonais, voire de rééquilibrer l’alliance pour aboutir à des participations croisées équivalentes (entre 25 et 35 %), comme le suggère un document établi par Nissan.
La menace de la fusion
Il y a quelques mois, je soulignais sur ce site qu’il « faut surtout garder en tête que toute cette affaire tient au glissement progressif du groupe Renault vers une stratégie de concentration et d’intégration avec Nissan et peut-être avec d’autres ». Or, Macron vient de confirmer cela. Après quelques jours de disputes publiques plutôt obscures le gouvernement lâche le morceau : « Ce que nous voulons c’est conserver l’alliance, nous ne voulons pas d’une fusion. » (Europe 1) ! Et Macron d’ajouter : « Carlos Ghosn… est PDG, pas actionnaire, de même que je représente l’actionnaire et n’ai pas vocation à interférer dans la gestion de l’entreprise (…) Notre vision stratégique, pleinement partagée avec Carlos Ghosn, est d’aller vers plus d’intégration entre les deux entités. Il faut définir les modalités de ce rapprochement, et cela reste à écrire. C’est une question industrielle et stratégique, la question actionnariale viendra le moment venu » (Les Echos).
Voilà donc le sujet de la discorde. La fusion ! Et si ce n’est la fusion, sans doute au moins le degré d’intégration des deux firmes avec en suspens la nature des synergies, la localisation des investissements conjoints, la gestion centralisée des capacités de production, etc.
Le gouvernement ne veut pas de cette dynamique pour des raisons politiques. Il ne veut pas que l’on puisse dire que, sous ce quinquennat, Renault a définitivement cessé d’être une entreprise « française ». Il ne veut pas non plus qu’à l’occasion d’une intégration renforcée, la direction de l’Alliance annonce une restructuration supplémentaire en France. Surtout avant l’échéance électorale de 2017.
Mais Nissan, qui contribue aux résultats de Renault à hauteur de 524 millions d’euros au titre du 3e trimestre 2015, n’en a cure. Le capitalisme est ainsi fait que le mouvement de concentration du capital est permanent et structurel. L’automobile mondiale a amorcé une étape nouvelle de sa globalisation financière et industrielle. Il ne s’agit pas de s’en exclure pour quelques intérêts politiques marginaux.
Macron bipolaire ?
Il y a quelques jours, le ministre de l’Economie participait, joyeux et désinvolte, à l’introduction en Bourse du site de vente en ligne Showroomprivé. Cotillons et champagne. Marchés financiers et aventure entrepreneuriale… La photo a été reprise partout, de cette communion financière où se mêlent actionnaires et responsable public.
Nous voilà avec un ministre bipolaire. Un jour en aficionado des marchés, un autre en défenseur de la puissance publique face aux mécanismes naturels des mêmes marchés. Est-il inconséquent ? A moins en vérité que ce ne soit qu’un petit baroude pathétique pour n’obtenir qu’un stand bye dans la fusion de Renault et de Nissan.
Claude Gabriel