Quelques chiffres donnent une idée de la puissance de ce sentiment national. Les quatre dernières « Diadas » - fête nationale catalane - ont rassemblé chaque fois plus d’un million de manifestants. 10 % de la population catalane sont descendus ces jours-là dans les rues de Barcelone. Un vrai mouvement populaire.
Un sentiment national qui a des racines historiques
Dans l’Etat espagnol, il n’y a pas eu de création d’une nation centralisée à travers les bouleversements d’une révolution comme le fut la Révolution française. Le mariage d’Isabelle la Catholique et de Ferdinand d’Aragon - qui fut le modèle du « Prince » de Machiavel - a symbolisé la constitution de l’Etat espagnol… sans venir à bout des trois nationalismes historiques - Galice, Pays Basque et Catalogne.
Les différents royaumes ont imposé un centralisme contraint trois siècles durant, et ce n’est qu’avec l’arrivée des libertés permises par la République en 1931 que les questions nationales se posent de nouveau.
L’air de liberté républicaine ne sera plus de mise avec le coup d’état militaire et la dictature franquiste. Evidemment, la dictature franquiste a vu dans ces revendications nationales des motifs de contestation et elle les a combattus.
Lors du meeting de clôture de la campagne de la liste « Cataluña si que es pot » (« Catalogne, oui c’est possible ») à laquelle participent nos camarades de Podemos, Vicenç Navarro, professeur d’économie à la Faculté de Barcelone, racontait qu’il était courant que la police franquiste matraque les gens pour le seul fait de parler catalan et qu’il était courant que les policiers apostrophent ainsi ceux qui parlaient catalan : « arrête de parler comme un sauvage, parle comme un vrai chrétien ! ».
Longtemps la gauche classique espagnole a défendu sous le franquisme le sentiment national des Galiciens, des Basques et des Catalans. Mais lors de la Transition, les partis de gauche ont abdiqué sur ce terrain comme sur trois sujets essentiels : la reconnaissance de la monarchie, de l’armée et de l’unité territoriale, vieux chevaux de bataille de la droite espagnole.
Ces reniements de la gauche ont permis à la bourgeoisie catalane, partisans de Franco pendant la guerre civile, de récupérer ce sentiment pour ne pas se faire débarquer par les luttes causées par la crise. Son parti, « Convergence et Union » est aujourd’hui à la tête de la « Generalitat », avec Artur Mas. Elle a su présenter les liens de dépendance à l’égard de l’Etat espagnol comme une des sources de la crise en Catalogne. De fait, Il y a cinq ans, les partisans de l’indépendance étaient à peine 20 %, aujourd’hui ils sont près de 50 % de la population.
Une autre voix dans la campagne
La liste à laquelle participent nos camarades d’Anticapitalistas qui font partie de Podemos, « Cataluña si que es pot » veut faire entendre une autre voix que celle d’un referendum « pour » ou « contre » l’indépendance. Elle critique frontalement la politique libérale du gouvernement espagnol et aussi du gouvernement catalan. Elle met en avant des mesures pour faire face à l’urgence sociale : maintien et récupération des services publics et lutte contre la corruption généralisée.
Pour cela, elle s’est alliée avec des formations sorties de la décomposition du PC catalan (PSUC). Sa première lutte est de se faire connaître, car beaucoup d’électeurs ne savent plus très bien où ils en sont et ont du mal à identifier l’appartenance politique des listes.
Il y a un autre secteur indépendantiste radical, la CUP (Candidatures d’Unité Populaire) qui défend les mêmes options sur le terrain social, mais leur revendication prioritaire est l’indépendance des « Pays catalans » - Catalogne, région de Valence, Baléares, et même ce qu’ils appellent la « Catalogne française » (la région du Languedoc-Roussillon). Ils sont prêts à soutenir Artur Mas.
Il est évident que les camarades de Podemos qui défendent l’option du référendum sur l’indépendance seulement pour la Catalogne ne peuvent défendre les mêmes positions. De plus, ils s’opposent à toute collaboration avec la droite catalane représentée par Artur Mas.
Quoi qu’il en soit, les résultats des élections catalanes de ce dimanche 27 septembre auront une signification et une incidence importante sur l’avenir immédiat de l’Etat espagnol.
César Aragón et Jean-Marie Bénaben