À partir de l’année 1996, s’ouvre en Amérique latine une période de mobilisations de masses contre les gouvernements de la région qui avaient signé le Consensus de Washington. Par cet accord, les EEUU demandaient l’application des mesures exigées par le FMI et la Banque mondiale pour faire payer aux peuples la dette que les dictatures militaires avaient contractée sous la pression des Etats-Unis. L’Argentine, la Bolivie, l’Equateur, le Venezuela et le Mexique, étaient à la tête de ce processus qui a fini par créer une fissure dans la légitimité du néolibéralisme à niveau continentale.
Comme conséquence de cet extraordinaire processus de mobilisation, les masses ont dépassé la structure des partis politiques traditionnels et ont provoqué l’émergence de nouveaux « acteurs » politiques – comme le MVR (Mouvement Ve République) au Venezuela, le MAS en Bolivie ou Alianza País en Equateur. Dans des pays où la mobilisation n’était pas au rendez-vous, mais où il y avait de forts partis réformistes, comme au Brésil ou l’Uruguay, l’effet des mobilisations motivaient les masses à changer ses orientations électorales, rendant possible l’arrivée au pouvoir du PT et du Frente Amplio.
Les pays tels que la Colombie, le Pérou, le Chili, qui n’ont pas fait partie de ce processus, sont devenus, plus ou moins, des bastions du néolibéralisme dans la région.
Le phénomène des gouvernements progressistes s’est fondé sur deux jambes. Du point de vue politique, comme on a déjà vu, ils étaient la conséquence des mobilisations de masses à niveau presque continental.
Du point de vue économique, ils se sont basés sur deux conditions exceptionnelles : le boom des matières premières du début du XXIe siècle, et le désengagement temporaire des EEUU de la région, qui a fait possible une politique économique agressive de la part de la Chine pour prendre sa place. Maintenant que ce cycle économique commence à se fermer, le cycle des gouvernements « progressistes » en subit les conséquences.
Le terme « progressiste »
Commençons pour comprendre ce que c’est un gouvernement « progressiste ».
Le terme « progressiste » s’applique à des gouvernements si différents comme Dilma Roussef, Rafael Correa, Nicolás Maduro, Cristina Kirchner ou Evo Morales.
Ils se sont gagné le qualificatif de « progressistes » parce que pour pallier la misère et éviter de nouvelles explosions populaires, ils ont procédé à une certaine redistribution de la rente, auparavant accaparée exclusivement par l’impérialisme, les classes dirigeantes et quelques secteurs privilégiés. Le plan « Faim Zéro » au Brésil, l’« Assignation universelle par enfant » ou les plans « Travailler » en Argentine, le « bon scolaire Juancito Pinto » et la « rente Dignité » en Bolivie, et naturellement les Missions au Venezuela, sont que des exemples de cette « justice sociale » qui a aussi des traits de clientélisme.
Ces gouvernements sont profondément contradictoires. Leur objectif est d’assurer la « gouvernabilité » sans dépasser le capitalisme. Pour y arriver, ils ont besoin de faire des concessions aux masses appauvries mobilisées, et ça leur provoque des confrontations avec l’impérialisme et la haine des secteurs privilégiés.
Massimo Mondonessi, sociologue et professeur de l’UNAM, décrit le processus comme une combinaison de processus de transformation à caractère contradictoire : progressiste et conservateur au même temps, qui fait un pari sur la démobilisation des masses.
Dans tous les pays gouvernés par des forces « progressistes » continuent à exister les mobilisations « ordinaires » organisées par des travailleurs et leurs syndicats qui demandent de meilleures conditions de travail, ou par les habitants des secteurs urbains pour de meilleures conditions de vie, ainsi que par des paysans et des peuples autochtones contre les politiques extractivistes. L’Equateur, par exemple, a vécu entre 2009-2011 le plus grand nombre de conflits sociaux des derniers 15 ans. Et c’est pareil pour le Venezuela, pour la Bolivie ou pour l’Argentine. Même si les mobilisations au Brésil au tour de la Coupe de Football sont différentes de celles du reste du continent pour leur dynamique et composants qui les font plus proches de celles des « indignados » en Europe, celles de la dernière semaine contre le gouvernement de Dilma Roussef sont similaires aux « cacerolazos » de la droite en Argentine ou le Venezuela. Ces mobilisations montrent clairement l’existence d’un malaise social pas résolu par le gouvernement du PT.
Mais, force est reconnaitre que malgré le haut niveau de mobilisation, les politiques clientélistes utilisés par ces gouvernements à niveau territorial, leur contrôle bureaucratique au niveau syndical, le chantage du retour des gouvernements de droite et la manque d’expérience des masses ajouté à la faiblesse politique de la gauche révolutionnaire au niveau continental ont empêché le développement d’une direction indépendant et autonome. La conséquence a été la démobilisation et la dépolitisation des masses et un renforcement de la participation de la droite dans les champs institutionnels et dans les mobilisations dans la rue.
Qu’est-ce une économie dépendante ?
Pour comprendre la magnitude de la crise économique que subit l’Amérique latine, il faut commencer pour expliquer que tous les pays émergents ne sont pas égaux. Même si la Chine, deuxième économie mondiale, est la « C » des BRICS, elle ne joue pas dans la même ligue que le Brésil.
Malgré son caractère de « sous impérialisme » régional, le Brésil, comme le Mexique ou l’Argentine et toutes les économies du continent, sont des économies « dépendantes » ou « périphériques ».
Le mot a à voir avec l’insertion de l’économie de ces pays dans le marché mondial depuis leur indépendance dans le XIXe siècle, quand la Grande-Bretagne est devenue le pouvoir semi-colonial, remplacée au XXe siècle par les EEUU.
Une économie est « périphérique » ou « dépendante » parce qu’elle a une relation de dépendance avec les économies des pays impérialistes. Elle est construite sur l’extraction, production et exportation d’une ou plusieurs matières premières ou produits agricoles. Les investissements des pouvoirs semi-coloniaux sont conditionnés au lien et l’utilité qu’ils peuvent avoir avec l’extraction et le transport des matières premières vers leurs marchés. Le système de chemin de fer argentin crée par les Anglais au XIX siècle, en est témoin.
Les efforts des divers gouvernements régionaux pour arriver à un développement industriel indépendant en créant une « bourgeoisie nationale », en contraposition a l’oligarchie agraire et à l’impérialisme ont toujours viré à l’échec. Il n’y a pas des secteurs de la bourgeoisie latino-américaine prêts à courir le risque d’investir dans le développement industriel. Les investissements viennent presque uniquement de l’Etat et des multinationales impérialistes qui veulent profiter des bas salaires, et les « bourgeoisies nationales » ne sont que des partenaires des entreprises impérialistes.
Au XXIe siècle, l’Amérique latine continue à s’insérer dans le marché mondial comme exportatrice de matières premières. Pour le prouver, il ne faut qu’examiner la relation que la Chine a établie avec les pays de la région. La Chine n’importe de l’Amérique latine que du grain, des minéraux et du soja, mais 91% de ses ventes sont de produits manufacturés. Et ceci est la règle même pour le Brésil, le sous-impérialisme régional et son partenaire privilégié. Ces investissements en infrastructure dans le continent sont tous liés directe ou indirectement à l’extraction et le transport des matières premières vers le marché asiatique, qu’il s’agisse du pétrole vénézuélien ou argentin, des minéraux du Pérou ou de Brésil, ou des chemins de fer du Brésil ou l’Argentine. Même si le ralentissement de l’économie chinoise met en suspense le future de ces investissements, on peut voir clairement qu’il n’y a aucune différence entre ce modèle et celui imposé par la Grande-Bretagne pendant le XIXe siècle, qui avait empêché tout développement industriel.
Cette dépendance à l’égard des économies impérialistes conditionne aussi les choix de développement. C’est pour cela que malgré les discours de défense de la Pacha Mama ou du Buen vivir, ces économies s’attachent et défendent fermement l’extractivisme dont elles ont besoin pour exister.
La crise économique mondiale et le ralentissement de l’économie chinoise
Pendant des années, les gouvernements de l’Amérique latine ont pensé que la crise mondiale du système capitaliste ne les affecterait pas. Avec une Chine en pleine croissance et un marché mondial qui achetait leurs produits à des prix très élevés, ils se pensaient à la fin de leurs problèmes.
Mais la crise est finalement arrivée. La Chine a vu son économie ralentir du 8 ou 8.5% annuels habituels au 7% et a dévalué sa monnaie de 4,5%. D’après la CEPAL, le prix du pétrole qui avait commencé sa descente en 2011, a baissé de 60% entre juillet 2014 et janvier 2015, les prix des métaux ont cumulé une perte du 41% entre le premier trimestre de 2011 et avril 2015, et les produits agricoles ont subi une perte cumulative du 29% pendant la même période.
En conséquence, les entreprises latino-américaines sont endettées, le chômage monte, et les investisseurs étrangers fuient. En plus, le gouvernement américain menace de faire monter le taux d’intérêts, ce qui aura comme effet cascade une nouvelle crise de la dette dans la région. D’après la Bank of America, les investisseurs étrangers cumulent 59% de la dette mexicaine, 40% de celle du Pérou, et pour la première fois depuis 1997, le Brésil ne peut pas mettre de côté assez d’argent pour payer ses créanciers.
La crise économique affecte même les élèves modèles : le Chili, le Pérou ou l’Uruguay. Le Pérou a eu une chute de 10% des exportations de minéraux, 74% de la pêche, 45% d’huile et 20% des produits agricoles. Au Chili, la chute du prix mondiale du cuivre a son le plus bas prix depuis six ans (le cuivre représente 30% des exportations chiliennes), met les tièdes plans redistributifs du gouvernement de Bachelet en graves difficultés.
Mais c’est le Brésil, le partenaire commercial privilégié de la Chine, qui est au cœur de la catastrophe régionale, avec une croissance négative de -1,5%, ainsi que le Venezuela, avec une récession du -5,5%.
Court bilan des gouvernements progressistes
Un bilan des gouvernements « progressistes » dans la région devrait prendre en compte les éléments progressifs comme la réduction de la pauvreté et du chômage et la création de plans sociaux qui ont créé une structure de contention qui n’existait pas auparavant. C’est ça la base de leur soutien. Néanmoins, avec l’arrivée de la crise l’agenda redistributif tombe dans l’abandon. La pauvreté et le chômage montent, les droits des travailleurs et des peuples indigènes qui se battent contre les grands projets économiques qui les expulsent de leurs territoires sont bafoués. L’industrialisation tant promise pour remplacer le modèle dépendant des matières premières est aussi aux abonnés absents. Bref, toutes les demandes qui les ont menés au pouvoir sont petit à petit abandonnées.
Je vais faire ici un petit détour sur un évènement religieux avec des conséquences politiques très importantes. L’élection de Jorge Bergoglio, comme le premier pape latino-américain parce que son arrivée au Vatican a marqué un virage à droite homophobe et antiféministe dans la législation de tous les gouvernements « progressistes ». Correa se manifeste contre la théorie de genre et contre l’avortement de même que Morales et Roussef – et Kirchner modifie le Code Civil pour rendre inutile le passage du droit à l’IVG sanctionné par le Congrès. Le chef du cabinet (sorte de Premier ministre) du gouvernement Kirchner vient de dire que la dépénalisation de l’IVG dans tout le territoire (il y a 8 provinces qui ont établi un droit à l’IVG restreint) n’est pas à l’ordre du jour.
Il y a sept ans, Chavez voulait construire une Ve Internationale de gouvernements anticapitalistes. En mars 2015, au Forum de l’Emancipation et l’Egalité à Buenos Aires organisé par le gouvernement argentin, et avec la participation de tous les gouvernements « progressistes » de la région, Gianni Vattimo appelait à la fondation de la Papintern, « l’Internationale communiste » dirigée par le Pape Francis dont l’objectif serait d’unifier « les peuples contre la domination américaine, impérialiste, des multinationales et du système financier. »
Tous les gouvernements et personnalités qui avaient soutenu l’idée de la Cinquième étaient là-bas pour soutenir la Papintern. J’ose espérer que cette fois-ci, on n’aura pas de doutes à dire NON a ce nouveau regroupement international.
Quel avenir pour le « progressisme » ?
Pendant des années, un secteur de la gauche latino-américaine et européenne a vécu dans l’illusion que les gouvernements « progressistes » étaient sinon le « Socialisme du XXI siècle », au moins le début de la transition.
Néanmoins, il faut dire que ces gouverneurs ne sont jamais mentis. Sauf dans le cas de Chávez, dont on parlera après, leur objectif dit et redit n’a jamais était de dépasser le système capitaliste, mais de « développer » le capitalisme dans leur pays. Leur conception est que l’Amérique latine, parce qu’elle est un continent dépendant de l’économie impérialiste, doit passer par une longue période de développement de capitalisme « régulé » et d’intégration régionale et continentale avant de passer au socialisme. Telle est clairement la conception d’Evo Morales, qui parle du « capitalisme andin », de Correa, des Kirchner en Argentine ou de Lula et Rousseff au Brésil.
Mais, est-ce que la construction capitaliste est compatible avec la transition au socialisme ?
L’histoire du continent a montré maintes fois que le socialisme conçu comme l’objectif final au but d’une quantité indéfinie d’années de prospérité capitaliste nationale n’est pas possible. Aucune des alliances des gouvernements « progressistes » avec les bourgeoisies nationales qui avaient pour objectif le replacement du modèle agro-exportateur par des modèles d’industrialisation indépendante de l’impérialisme n’a réussi. La bourgeoisie ne signera jamais des accords qui menacent leur profit immédiat. Sous la menace de la mobilisation des masses elle peut accepter des conditionnements temporaires qu’elle pourra tourner à son avantage dans un futur proche. Mais elle ne se suicidera pas.
Un vrai projet de transition au socialisme demande l’extinction, même si graduelle, du capitalisme dès le début, pas son extension.
Quid de l’intégration latino-américaine ?
Ni la bourgeoisie brésilienne, ni l’argentine, ni la colombienne ne sont intéressées à la création d’un vrai marché commun latino-américaine. Malgré la création du MERCOSUR ou de l’UNASUR, les bourgeoisies de la région sont plus intéressées à tisser des liens directs dans la région avec le marché international en travaillant avec les multinationales qu’à créer un vrai marché unifié latino-américain.
Le MERCOSUR, constitué par l’Argentine, le Brésil, le Paraguay, l’Uruguay, le Venezuela et la Bolivie n’a pas une influence politique ou économique réelle. Le PARLASUR, son Parlement, fonctionne « officiellement » depuis 2008. Ses membres auraient dû être élus par le vote direct et simultané des citoyens de chaque pays membre, mais seulement le Paraguay l’a fait, et l’Argentine élira ses représentants à la fin octobre. Ni le Brésil, ni le Venezuela, ni la Bolivie, ni même l’Uruguay, où siège le PARLASUR n’ont trouvé le temps, depuis sept ans d’existence, pour faire élire leurs représentants.
L’UNASUR, qui ajoute un gouvernement proaméricain tel que la Colombie et les bons élèves du néolibéralisme comme le Chile ou le Pérou aux membres du MERCOSUR, est un conglomérat des gouvernements qui fonctionne par consensus et sert de contrepoids à toute possible prise des mesures « progressistes » à niveau continental.
Quant à l’ALBA, l’alliance des gouvernements de la Caraïbe — dont Cuba est membre — lancé par Chavez, qui avait comme objectif s’opposer à l’ALCA, le traité de livre commerce lancé par les EEUU, n’a eu qu’un rôle de témoignage. La crise économique vénézuélienne met un énorme signe d’interrogation sur sa viabilité à l’avenir.
Dans le dossier de la revue [Anticapitaliste], il y a un an, on disait que : « L’Histoire montre que les gouvernements « progressistes » se maintiennent tant qu’ils bénéficient du soutien populaire, mais tombent devant l’alliance de l’impérialisme et de l’oligarchie lorsqu’ils le perdent. »
Jusqu’à maintenant, les gouvernements « progressistes » avaient montré une grande résilience face aux pressions des oligarchies et de l’impérialisme. Chávez, Morales, Correa, Kirchner, Lula et Roussef ont tous et toutes réussit à se faire réélire, donc, ils et elles pensaient qu’il serait possible le faire indéfiniment. Mais la situation a changé.
Cristina Kirchner a dû non seulement abandonner ses velléités de se faire réélire, mais Daniel Scioli, est le candidat de l’appareil péroniste. Le kirchnerisme, arrivé sans un appareil politique n’a pas pu le construire après 8 ans de gouvernement. Et le programme de Scioli ne se différencie que de peu de celui de la droite. Le gouvernement américain a déjà dit qu’il sera ravi avec n’importe quel candidat qui gagne.
Il en va de même pour les espoirs de Lula de se représenter a un troisième mandat en 2018. Ce qui semblait possible même au début de 2015 ne pourrait l’être moins face aux révélations de corruption des gouvernements du PT et les mobilisations qui on suivit.
Est-ce que tout est perdu ?
Le 6 août, dans un pays sans histoire, comme l’Uruguay, la PIT-CNT, centrale syndical historique et allié du Frente Amplio, avec le soutien de la gauche du front ont appelé à une grève nationale qui a paralysé une grande partie du pays pendant 24 heures contre les mesures d’austérité du gouvernement. Et ils ont promis qu’elle ne sera pas la dernière.
Les grèves et les mobilisations pour l’augmentation de salaires, de meilleures conditions de vie et sécurité dans les villes et contre les projets pharaoniques qui détruisent l’environnement ne se sont jamais arrêtées.
L’impérialisme américain, qui veut reprendre la main sur le continent est aussi préoccupé. Un rapport de la banque Morgan Stanley prédit que, à cause de la crise économique, l’Amérique latine est en train de devenir une des régions les plus instables du monde.
Dans cette situation, on peut s’attendre à revivre une nouvelle étape de mobilisations comme celle qui commençât en 1996. Pour éviter une nouvelle frustration, il faudra que l’avant-garde ouvrière et de gauche en Amérique latine tire des conclusions de cette période, dépasse ses limites et comprenne d’une fois pour toutes qu’il faut abandonner les illusions de changement dans le système capitaliste.
La crise vénézuélienne
L’origine de la crise vénézuélienne ne pouvait qu’être similaire à celui de la crise qui secoue tous les régimes « progressistes » du continent. Du point de vue économique, à la crise systémique du capitalisme mondial s’ajoute la crise du modèle du capitalisme dépendent. Si la chute du prix du pétrole, qui représente 96% des exportations du Venezuela, et la crise de l’économie chinoise, son préteur par excellence, le mettaient déjà dans une situation difficile, la pénurie de nourriture et des éléments de première nécessité, et la montée de l’inflation de 64% cette année avec pour perspective qu’elle touche les trois chiffres l’année prochaine ne le sont moins.
Ceux et celles qui étaient venus à notre atelier de l’Université d’été de 2013 se rappelleront qu’on avait déjà tiré la sonnette d’alarme. Mais la détérioration de la situation après la morte de Chavez a pris des caractéristiques catastrophiques. Les héritiers de Chavez ont gaspillé son prestige, et le gouvernement et son parti, le PSUV, ont perdu le soutien de la plupart de la population.
Les dernières enquêtes d’opinion parlent d’un 84% de la population qui considère que la situation du pays est mauvaise ou très mauvaise ; 74% considèrent que la gestion de Maduro est mauvaise ; 86% lui considère responsable des « queues » provoquées par le désapprovisionnement des éléments de première nécessité tels que le poulet, le lait, la margarine ou les médicaments, et 75% considèrent que la situation économique est pire, voir beaucoup pire, qu’il y a un an.
Comment on est arrivé là ?
Ceci était possible parce que malgré les déclarations sur le « socialisme du XXIe siècle » la structure du Venezuela n’a pas changé, il reste un pays capitaliste dépendent dont l’économie se base exclusivement sur l’exploitation du pétrole et ce modèle s’est approfondi pendant les derniers 15 ans. Donc, ce dont on est témoin au Venezuela est de la crise d’un modèle économique.
Chávez avait compris que la bataille pour la redistribution de la rente pétrolière était au cœur de la lutte entre le processus de changement qu’il appelait la « Révolution bolivarienne » et les secteurs liés à la bourgeoisie vénézuélienne et l’impérialisme. Le projet bolivarien se basait sur la récupération totale du contrôle du pétrole et son administration centralisée par l’Etat pour s’en servir comme un outil d’intégration des masses appauvries a la société. Pour cela, il avait besoin des accords pour la régulation et la stabilisation du prix du brut, que pendant 40 ans avait été décidée par les multinationales. La relance de l’OPEP était consubstantielle avec la Révolution bolivarienne. La conséquence de cette politique était que le baril de brut est passé de 8 dollars à la fin de 1998 à 97,1 dollars à la fin de 2013, avec des prix proches des 150 dollars à la mid-2008. Le prix du brut a chuté après, bien sûr, à cause de la crise mondiale du capitalisme. Mais il n’en est moins vrai que sa montée était la conséquence de la réussite de la politique de relance de l’OPEP.
L’impérialisme étasunien a utilisé la chute du prix du pétrole comme un nouveau moyen de déstabilisation. Si c’est vrai que cette chute a pour origine la crise économique mondiale et celle de la Chine, il l’est aussi que les EEUU ont eu une politique pour l’influencer. Ils ont impulsé le pétrole de schiste parce qu’il leur permettait réduire les importations de pétrole brut. Celle-ci était une politique non seulement contre le Venezuela, mais aussi contre l’Iran. Pour mener cette politique, les EEUU comptaient avec le soutien de l’Arabie Saoudite. Mais maintenant, le brut est trop bas, et le pétrole de schiste ne devient pas rentable. C’est le moment pour l’impérialisme de chercher un autre moyen pour déstabiliser le gouvernement vénézuélien, mais sans aller jusqu’à organiser un coup.
La Révolution bolivarienne, conçue comme l’intégration des masses appauvries á la société, voire mêmes comme la construction du socialisme selon Chavez, par le biais de la redistribution de la rente pétrolière impliquait l’approfondissement du modèle extractiviste du capitalisme dépendant. Après 15 ans, ce plan s’est prouvé encore une fois impossible.
La situation est devenue pire encore à cause des mécanismes de corruption à tous les niveaux, qui ont fait possibles les manœuvres des différents secteurs qui vont de la bolibourgeoisie, la bourgeoisie « bolivarienne » crée par Chavez, et les membres de l’administration chavista à l’opposition bourgeoise.
Face à la fuite de capitaux, le gouvernement a fait recours au contrôle de devises. La fuite de capitaux a toujours existé, mais dans les dernières années elle a pris des caractéristiques de catastrophe pour le pays. Si pendant l’année 2006, quand elle était au plus bas, elle représentait 12,3% des revenues pétrolières, en 2008, elle représentait 46,7% du total des devises obtenues pour le vent du brut.
Le montant de la fuite de capitaux vers l’extérieur, conçu comme la somme des erreurs de calcul, les services de la dette, le flux des devises et des dépôts en monnaie étrangère ainsi que le solde net des investissements étrangers entre 1998 et 2013, période où Chavez était au gouvernement, suffirait pour payer 25 Coupes de foot comme celle du Brésil, ou pour construire 50 usines comme SIDOR, la plus grande entreprise de l’acier du Venezuela, ou pour bâtir les 6 millions d’habitations dont le Venezuela a besoin pour résoudre la pénurie de logements. En lieu et place de cela, ces dollars ont fui ou ils ont été appropriés par la bolibourgeoisie et la nomenklatura liée à l’Etat.
Un mot en passant sur la fraude déclenchée par le contrôle de devises, qui au-delà d’être responsable de la pénurie de nourriture et d’articles de première nécessité, aide à la fuite des capitaux. Les importateurs demandent des dollars pas chers pour des importations qu’ils ne réalisent pas, ou qu’ils surfacturent et se gardent la différence qui est immédiatement envoyée à l’étranger.
La crise actuelle du pays est directement liée à cette escroquerie monumentale. Il s’agit, comme le dénonce Marea Socialista dans un très sérieux travail d’investigation, d’une gigantesque arnaque par le biais « d’une association criminel entre des hommes d’affaires nationales ou étrangères et des hautes fonctionnaires de l’Etat, en utilisant des mécanismes illégaux ou illégitimes, comme la spéculation avec des instruments financiers. » La réponse de Maduro, confronté avec cette dénonciation publique était d’accuser Marea d’être des agents de la CIA et de les expulser du PSUV, comme il l’avait déjà fait avec un ancien ministre du gouvernement de Chavez, qui avait confirmé ces dénonciations.
Un bilan objectif
Le peuple vénézuélien peut ne pas avoir eu beaucoup d’expérience politique, mais il n’est pas dupe. S’il soutenait le gouvernement de Chavez jusqu’à la catastrophe actuelle c’est parce qu’il avait des raisons. Et si on regarde les chiffres objectifs, on voit que leur niveau de vie s’est vraiment amélioré pendant le gouvernement de Chavez.
L’utilisation de la rente pétrolière a permis réduire la pauvreté de 40% à 22% et l’indigence de 20% à 8.5% dans la période de 1999 à 2011. La différence entre les plus riches et les plus pauvres a diminué, pendant cette période, de 14 à 8 fois. Il y a eu des progrès dans l’accès à l’eau potable, le salut et l’éducation.
Mais toutes se progrès ont été combinés avec des subsides aux capitalistes et la bolibourgeoisie, qui ont reçu de millions de financement publique qui ont après fuit vers l’étranger, comme était le cas avec les fonds publics qui ont payé les expropriations des entreprises d’électricité, communications, sidérurgie, cément et la distribution de nourriture.
La combinaison de cette fuite de fonds avec l’expansion de la consommation ont fortifié la structure dépendent et on crée une économie très peu productive. La conséquence était la montée de l’inflation, le déficit fiscal, l’endettement de PDVSA, l’importation de nourriture et le fiasco des initiatives d’industrialisation. A la base de tous ces problèmes, il y a les difficultés qui trouvent tous les gouvernements capitalistes des pays périphériques et dépendants qui veulent reformer le capitalisme sans rompre avec le système.
Et maintenant ?
Pour ouvrir une vraie transition au socialisme, le processus de la Révolution bolivarienne devrait faire des changements mayeurs tant dans le plan économique comme le sociale, en commençant par la nationalisation des banques et du commerce extérieur. A cela, il faut ajouter l’exigence d’un Audit publique avec participation populaire de ceux qui ont reçu des dollars de la part du gouvernement, pour qu’ils justifient et expliquent comment ils les ont utilisés.
Tout ceci aiderait à créer une base pour redynamiser l’économie et pour développer un modèle industriel qui permettrait l’expansion d’un emploi réel et le surpassement du clientélisme et de l’assistancialisme. L’aide social qui soutenait l’émergence et le renforcement du chavisme doit se transformer en travail productif. Finalement, une transition post-capitaliste demande la substitution ce modèle de subventions, consommation et base productivité pour un modèle de planification et développement socialiste.
Malheureusement, malgré les demandes dans ce sens de différents secteurs de gauche dedans et dehors le PSUV, les mesures prises par le gouvernement ne vont pas dans cette direction.
Virginia de la Siega