C’est le paradoxe de cette campagne électorale grecque. Alors que l’Europe entière ne parle que de la crise migratoire et des milliers de réfugiés qui campent à ses portes, la question est étonnamment anecdotique dans les débats en vue des législatives de dimanche 20 septembre. Et pourtant la Grèce est l’une des principales portes d’entrée de ces réfugiés. Jusqu’à 4 000 Syriens, Afghans ou Africains arrivent sur ses îles chaque jour.
Sans surprise, le parti néonazi Aube dorée est le plus offensif sur la question. Son slogan identitaire a toujours été « La Grèce appartient aux Grecs » et fonde aujourd’hui encore la base de sa stratégie électorale. Mais, empêtré dans un procès-fleuve visant quasiment l’ensemble de ses députés, l’Aube dorée a choisi de manière générale de faire profil bas. Ses diatribes sont peut-être nationalistes et anti-migrants, mais on ne les entend que peu dans la campagne.
Ces dernières années, c’était surtout le parti conservateur de la Nouvelle Démocratie (ND) qui se montrait offensif sur la question. Son ancien leader – et ex-premier ministre avant l’arrivée au pouvoir d’Alexis Tsipras en janvier 2015 – Antonis Samaras avait axé une partie de sa campagne de 2012 sur la « reconquête des villes grecques envahies de clandestins » et avait coutume de comparer « le nombre de chômeurs équivalents au nombre d’immigrés en situation illégale ». Une rhétorique qui chassait délibérément sur les terres de l’Aube dorée alors en pleine ascension.
Aujourd’hui, la ND a un nouveau chef, Evangelos Meïmarakis. Or ce dernier a choisi dans cette campagne éclair – les élections ont été annoncées il y a moins d’un mois – de ne pas surfer sur cette thématique. Certes il évoque la question des réfugiés en parlant lui aussi d’« illégaux » , mais concentre ses attaques non pas tant sur les réfugiés eux-mêmes que sur le leader du parti de la gauche radicale, Alexis Tsipras. Accusant son gouvernement, aux affaires entre janvier et août, de n’avoir rien fait pour organiser ou endiguer le flux. « Le gouvernement Syriza a envoyé le message aux passeurs turcs que nos frontières n’étaient pas gardées, ouvrant ainsi les vannes », répète-t-il à chaque meeting.
« Comment nous rendre responsables de ce flux immense alors que c’est un phénomène visiblement global qui touche tous les pays européens », répond de son coté Alexis Tsipras. Après avoir lui aussi évité de placer la question migratoire au centre de ses discours, Syriza change un peu son fusil d’épaule ces tout derniers jours. Lors d’une réunion de quartier mercredi soir, la députée Syriza Vassiliki Katrivanou a longuement insisté sur la différence d’approche qu’un gouvernement de gauche avait de ce phénomène. « Nous sommes les mieux placés pour nous battre pour accueillir décemment et humainement ces réfugiés. Les précédents gouvernements de droite n’avaient qu’une approche répressive et tout l’argent disparaissait dans la construction de camps de rétention », affirme cette spécialiste des droits de l’homme, qui travaille depuis plus de 10 ans pour améliorer l’accueil des réfugiés en Grèce. Mme Katrivanou regrette un peu que « l’ensemble de la campagne soit creux et ne porte pas sur le fond, sur la politique migratoire comme ailleurs ».
Campagne vidée de sa substance
De fait, à droite comme à gauche, les débats portent davantage sur les personnes que sur les programmes. Chez Syriza, on dénonce l’appartenance de la ND à « cet ancien système corrompu et oligarchique qui a conduit le pays à la crise ». Et chez la ND, on pointe l’incohérence de Tsipras qui, après avoir longtemps fait campagne contre l’austérité, a ramené en Grèce un troisième plan introduisant trois nouvelles années d’austérité dans le pays. « Syriza tout comme Nouvelle Démocratie ont voté le 14 août dernier pour ce nouveau plan d’austérité, ce qui vide la campagne de sa substance principale puisque le cadre économique est fixé à l’avance » explique le politologue Georges Sefertzis.
C’est donc à la marge, dans ce que Syriza appelle « les fenêtres de négociations restantes » que se joue la campagne. Chacun essayant de convaincre l’électorat qu’il sera le mieux placé pour limiter la casse. Syriza, en promettant de se battre pied à pied pour défendre en priorité les Grecs les plus vulnérables mais aussi réformer la Grèce, et la ND, en se posant en garant de la stabilité pour permettre aux entreprises grecques de retrouver le chemin de la croissance.
Pour autant, aucun parti ne prend le risque de proposer des mesures précises et surtout chiffrées. « Ils ne veulent pas faire de nouvelles promesses qu’ils ne pourront pas tenir », souligne M. Sefertzis. Ce manque de substance explique, en partie, l’indifférence profonde des Grecs face à ce nouveau scrutin, après les législatives de janvier dernier, et un référendum sur le plan d’aide, en mai, très disputé. Selon les derniers sondages 15 % de l’électorat ne sait toujours pas pour qui, ni même s’il ira voter, dimanche. L’abstention pourrait atteindre un niveau record.
Adéa Guillot (Athènes, correspondance)
Journaliste au Monde