Engagée dans un « combat synchronisé contre le terrorisme », selon les termes du premier ministre Ahmet Davutoglu, l’armée turque a bombardé sans relâche, lundi 10 et mardi 11 août, des positions de la rébellion kurde dans la province de Hakkari, frontalière de l’Irak et de l’Iran, en représailles aux attaques organisées quotidiennement par les insurgés du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK, pro-kurde, interdit en Turquie) contre les forces régulières d’Ankara.
Après des années d’accalmie, la guerre avec le PKK couve, et ce n’est qu’un début. Mardi, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a assuré que la campagne se poursuivrait « jusqu’à ce qu’il ne reste plus un seul terroriste à l’intérieur de nos frontières ». Dans un discours retransmis à la télévision, le numéro un a vanté l’efficacité des opérations aériennes menées depuis le 24 juillet contre les positions du PKK en Irak et en Turquie et contre celles de l’Etat islamique (EI) en Syrie, réputées pour être de moindre intensité.
Les hommes du « califat » et les rebelles kurdes sont mis sur un même plan : « Nous ne faisons pas de différence entre les organisations terroristes », a martelé M. Erdogan, soulignant que le processus de paix engagé ces dernières années avec la rébellion kurde était désormais « au frigo ». « Malheureusement, ils n’ont pas compris ce qui avait été fait pour eux », a-t-il regretté, dans une allusion aux concessions faites aux Kurdes dans le cadre du processus de paix.
Il n’y a pas si longtemps, le 28 février, la solution du problème kurde semblait à portée de main. A l’origine d’une guerre qui dura trente ans au sud-est de l’Anatolie, causant la mort de 40 000 personnes, le statut des Kurdes, soit 20 % de la population, est, pour le pays, une véritable épine dans le pied. Recep Tayyip Erdogan semblait l’avoir compris, lâchant du lest aux régions kurdes et s’engageant à résoudre le problème, dès son arrivée au pouvoir en 2003.
Tactique
La réconciliation fut actée ce 28 février au palais de Dolmabahçe, sur les bords du Bosphore à Istanbul, où des représentants du gouvernement islamo-conservateur s’entendirent avec des députés du Parti démocratique des peuples (HDP, prokurde de gauche), alors investis dans le rôle de messagers entre Ankara et le PKK, pour jeter les bases d’un accord.
La campagne électorale pour les législatives du 7 juin mit un bémol à cette avancée. On entendit alors le président turc clamer haut et fort qu’il ne reconnaissait pas la réunion de Dolmabahçe, et que, pour finir, il n’y avait « pas de problème kurde ». Les observateurs n’y virent rien de plus qu‘une tactique pour attirer les votes nationalistes.
Le 20 juillet, l’attentat de Suruç (32 morts), petit bourg qui croule sous les réfugiés du conflit syrien à quelques kilomètres de la frontière, allait porter le coup de grâce à la réconciliation turco-kurde. Attribué à un kamikaze d’origine kurde natif d’Adyaman (sud-est de la Turquie) et formé en Syrie, l’attaque fut perçue par le Kurde de la rue, adepte des théories du complot, comme une opération des services turcs.
Deux jours plus tard, le PKK déterrait la hache de guerre en revendiquant l’assassinat de deux policiers turcs à Ceylanpinar, sur la frontière turco-syrienne. Embarquée dans la coalition contre l’Etat islamique après des mois d’atermoiements, la Turquie obtint alors, semble-t-il, à l’arraché, l’aval de Washington pour frapper les bases du PKK dans le nord de l’Irak. Selon la chaîne américaine Fox News, le commandement allié fut mis au courant par un officier de liaison turc « dix minutes » avant le début des raids aériens.
Malentendus
La nouvelle entente entre la Turquie et son allié américain est cousue de malentendus. Les interprétations diffèrent sur la « zone de sécurité », une bande de territoire au nord de la Syrie (entre Djarabulus à l’est et Azaz à l’ouest), réservée, selon les Turcs, aux combattants de l’Armée syrienne libre formés en Turquie, en tout 60 personnes.
L’option guerrière privilégiée par M. Erdogan a été renforcée par la nomination, le 5 août, d’un nouveau chef d’état-major, Hulusi Akar, 63 ans, considéré comme adepte d’une ligne dure, contrairement à son prédécesseur Necdet Özel. Mais le pari turc est hasardeux. En bombardant le nord de l’Irak et la Syrie, la Turquie ajoute au chaos au Moyen-Orient et rouvre la boîte de Pandore de son problème kurde.
Bien qu’affaiblie par les purges engagées contre elle par les islamo-conservateurs, l’armée n’est pas sans savoir qu’il n’y a pas de solution militaire au problème kurde. Ce que les soldats et les services turcs n’ont pas pu faire en trente années de guerre avec le PKK, n’a guère de chance de produire des résultats aujourd’hui, au moment où les Kurdes ont considérablement gagné en assurance et en prospérité, gérant leurs régions comme bon leur semble.
Marie Jégo (Istanbul, correspondante)
Journaliste au Monde