Le moment de vérité est-il enfin arrivé ? L’Eurogroupe, la réunion des ministres des finances de la zone euro, jusqu’à présent très uni contre le gouvernement grec de la gauche radicale, a montré de vraies divisions, samedi 11 juillet, à Bruxelles.
Il était censé répondre à une question cruciale pour Athènes : doit-on continuer à aider —substantiellement — le pays (à hauteur d’environ 74 milliards d’euros tout de même) pour lui éviter la banqueroute et une éventuelle sortie de l’euro ? Dans la nuit de samedi à dimanche, les ministres des finances se sont séparés sans parvenir à trancher.
L’Eurogroupe a été suspendu peu après minuit faute d’accord sur un communiqué commun demandant aux Grecs davantage de réformes et d’engagement dans les réformes avant d’engager négociations pour plan d’aide. « Certains pays voulaient aller plus loin encore que d’autres sur les exigences à Athènes. Mais aucun n’a dit qu’il ne voulait pas que l’on ouvre les négociations sur un plan d’aide à Athènes » a assure une source diplomatique au Monde. Les ministres se sont donné rendez-vous dimanche à 11 heures pour reprendre les négociations.
Comment faire confiance à Tsipras après le « non » ?
Tsipras a donné de sérieux gages de bonne volonté ces derniers jours en transmettant à Bruxelles une demande d’aide assortie d’un train très conséquent de réformes. A la clé 13 milliards d’euros d’économies. Des rentrées fiscales supplémentaires à hauteur de 1 % du PIB grec en année pleine, grâce à une réforme de la TVA (dont la levée progressive des exemptions dans les îles). Des réductions des dépenses dans le système des retraites de 1 % du PIB dès 2016, avec la suppression de nombreux régimes de pré-retraites. Le premier ministre grec a reçu par ailleurs un mandat clair du Parlement grec, samedi dans la nuit (250 voix sur 300) pour mettre en place ces réformes.
Mais cela ne suffit pas à un certain nombre de partenaires d’Athènes à l’Eurogroupe qui estiment que la confiance, indispensable, dans le gouvernement Tsipras a été rompue. Comment peut-elle perdurer alors que Tsipras a fait campagne pour le non à un référendum sur les réformes en Grèce, non qui est arrivé largement en tête, dimanche 5 juillet ?
Dans ce peloton des faucons, on retrouve le ministre des finances allemand, Wolfgang Schäuble. Ses collègues slovaque, slovène et belge, seraient aussi très remontés et exigent davantage d’Athènes, davantage de réformes, et des réformes votées le plus vite possible. En tout cas, avant de commencer les négociations sur un troisième plan d’aide. Les Finlandais, eux aussi, depuis longtemps, parmi les plus durs contre Athènes, ont fait savoir dans la soirée qu’ils ne soutiendraient pas un plan d’aide supplémentaire à la Grèce.
Les Allemands pensent à un « Grexit » pour 5 ans
Le ministre allemand a fait circuler une lettre, en date du 10 juillet, envisageant tous les scénarios pour la Grèce, y compris celui d’une sortie temporaire de la zone euro :
« Au cas où la soutenabilité de la dette et les propositions de réformes ne seraient pas réalistes, il faudrait proposer à la Grèce une sortie temporaire de la zone euro, avec une possible restructuration de sa dette, si nécessaire dans un club de Paris [groupe de créanciers appelé à venir en aide aux pays endettés], dans les cinq prochaines années ».
Cette note qui a circulé à Bruxelles ces derniers jours et a été envoyée dans les pays membres de la zone euro, n’a pas été évoquée durant l’Eurogroupe, assurent plusieurs sources proches des négociations. Selon les informations du Monde, elle a toutefois été mise sur la table de l’Euroworking group, la réunion préparatoire à l’Eurogroupe. L’idée est de fait dans l’air depuis quelques jours à Bruxelles.
« On ne peut pas décréter un Grexit, les traités ne prévoient pas l’abandon par un pays de l’euro. Mais on pourrait utiliser l’article 352 du traité de l’Union », explique une source européenne au Monde. Elle ajoute :
« Cet article prévoit l’adoption par le Conseil, statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission et après approbation du Parlement européen, de mesures appropriées pour réaliser l’un des objectifs visés par les Traités, sans que ceux-ci n’aient prévu les pouvoirs d’action. On pourrait l’activer pour permettre à la BCE d’autoriser Athènes à émettre une autre monnaie que l’euro. L’avantage, c’est que la Grèce ne sortirait pas de la zone euro, et qu’on n’aurait pas l’impression que le caractère irréversible de l’euro a été entamé. »
« C’est une vieille idée du professeur allemand Sinn qu’on ressort : une sortie sabbatique de la zone euro. Cela ne peut pas être pris au sérieux. Ce n’est pas faisable juridiquement, cela n’a pas de sens économique, et cela n’est pas en ligne avec la réalité politique » assure a contrario une source diplomatique à Bruxelles. « Le temps est venu maintenant pour des discussions sérieuses et des solutions, pas pour réactiver des thèses universitaires inappropriées » ajoute cette source.
La réponse renvoyée à dimanche ?
Le camp des « amis » est essentiellement constitué de la France, avec Michel Sapin, le ministre des finances, et Chypre, voisin de la Grèce qu’un Grexit pour des raisons historiques, géographiques, géopolitiques, révulse. Depuis une semaine, l’Elysée est montée en première ligne pour défendre la Grèce dans la zone euro sans ménager sa peine, en allant jusqu’à mettre à disposition des Grecs des experts du trésor. Et quitte à se retrouver un peu seule dans cette bataille.
Et il y a les « neutres », ceux qui ne prennent pas position franchement : l’Italie, les Baltes. L’Espagne, qui a très peur de la contagion, est aussi très réticente à l’idée d’un Grexit.
Quelle sera l’issue de cette réunion, qui se pooursuivra demain et était censée statuer sur le sort de la Grèce en disant oui ou non à un nouveau plan d’aide ? Elle pourrait se contenter de renvoyer la réponse aux chefs d’État et de gouvernement qui se retrouvent dimanche, à Bruxelles. « Le but, c’est de ne leur laisser que deux ou trois points à trancher » assurait une source proche des discussions, samedi soir.
Cécile Ducourtieux (Bruxelles, bureau européen)
Correspondante à Bruxelles