Les diktats imposés à la Grèce par les « institutions » (FMI, BCE, Commission européenne), ainsi que par les gouvernements européens sans exception, s’apparentent à un crime. Leurs effets sociaux sont dramatiques et ils bouchent tout espoir de sortir de la nasse. Les droits humains sont bafoués et la démocratie enchaînée. Cette contribution commence par examiner quelques petits crimes périphériques commis par veulerie ou par ignorance crasse, revient sur le crime délibéré du premier plan d’austérité de 2010, et examine le nouveau crime qui est aujourd’hui en gestation.
Petits crimes entre amis
Commençons par l’ignominie. Les « Gracques » se présentent comme « un groupe informel d’anciens hauts fonctionnaires socialistes » français. Ils viennent de publier dans le quotidien financier Les Echos, en date du 16 juin, une tribune sobrement intitulée « Ne laissons pas M. Tsipras braquer les banques ! » [1]. Selon Wikipedia, feraient notamment partie de ce groupe Jean-Pierre Jouyet (ancien ministre de Sarkozy et aujourd’hui secrétaire général de la Présidence de la République), Denis Olivennes, et Bernard Spitz (ancien conseiller de Michel Rocard et aujourd’hui président de la Fédération française des sociétés d’assurances). En 2007, les « Gracques » proposaient une alliance entre le PS et l’UDF de François Bayrou . Leurs dernières interventions, en 2014, sont fièrement titrées « Vive le réalisme de Manuel Valls » (Le Monde du 26 avril 2014) et « Schröder est avec nous ! » (Le Point du 28 août 2014).
Leur tribune est véritablement obscène. Elle prétend par exemple que « les créanciers publics ne demandent que de dégager un peu d’excédent » et que l’essentiel de la dette « n’est pas dû avant des décennies ». Le petit excédent, c’est (ou c’était) 4,5 % du PIB, et l’échéancier des remboursements, c’est 16 milliards d’euros en 2015, puis 14 milliards en 2016, soit environ 8 % du PIB de 2014. Les Gracques n’hésitent pas à utiliser l’injure et les amalgames les plus odieux. Pour eux, « M. Tsipras est un braqueur de banque qui menace de tout faire sauter » à la tête d’un « gouvernement rouge-brun » et « le projet Syriza est celui de tous les populistes : Podemos, 5 Etoiles [Italie] ou Front national ».
De tels délires sont un révélateur, certes poussé à ses limites, de l’imbrication croissante entre la haute fonction publique française, le PS et les cercles dirigeants des affaires.
Continuons par les clichés. Le « think tank » Confrontations Europe, animé notamment par Philippe Herzog, économiste et ancien membre du PCF, est depuis longtemps une excroissance de la Commission européenne qui y a beaucoup investi (sans doute à fonds perdu). Dans la dernière livraison de sa revue, on trouve un dossier sur « Energie et développement durable » et une page de publicité pour Engie, le nouveau nom de GDF Suez, ainsi qu’une interview de François Villeroy de Galhau, ex-haut fonctionnaire socialiste, banquier (BNP-Paribas) et … membre des « Gracques ». Pour traiter de la crise grecque la revue a déniché un ancien haut fonctionnaire de la Commission européenne, Xénophon Yatanagas. Son interview [2] aligne tous les clichés anti-grecs avec cette fière devise : « mes compatriotes ont du mal à comprendre qu’être dans l’euro comporte des obligations ». Il se prononce en faveur des privatisations (pour « mieux mettre en valeur les avoirs de l’État ») de la flexibilisation du marché du travail et de la réforme du système de sécurité sociale. Il dénonce les fonctionnaires « intouchables » » et « pléthoriques » qui « bénéficient de privilèges salariaux », etc.
Tout cela est affligeant, mais attendu. Par contre, d’autres réactions l’étaient peut-être un peu moins. Par exemple, celle d’Andrew Watt, chef de département à l’IMK, un institut allemand dépendant de la Hans-Böckler-Stiftung, la fondation du DGB (qui a par ailleurs pris des positions plutôt correctes sur la Grèce). Quelques heures à peine après la publication du rapport sur la vérité de la dette grecque [3], dont il n’avait lu que le résumé, il dégainait sur Internet [4] pour affirmer que « la vérité sur la dette grecque n’est pas si simple » et asséner ses certitudes : « Sérieusement, ce rapport n’aide pas (is not helpful) », c’est « un cadeau » fait à ceux qui veulent expulser la Grèce de la zone euro. Mieux vaudrait selon lui attendre que « par miracle » on parvienne à un accord et que le rapport soit passé par pertes et profits.
L’expert syndical n’explique pas pourquoi il faudrait compter sur un tel « miracle » : ne serait-ce pas à cause de l’extraordinaire rigidité de la Troïka qui exige toujours plus de concessions que celles déjà faites par les négociateurs grecs ? Mais sa dénonciation repose au fond sur une vision totalement erronée, qui rejoint sur ce point celle des « Gracques ». Dans une précédente contribution [5], Watt s’interrogeait : « la dette publique grecque est-elle insoutenable ? ». Sa réponse était très nette : « Beaucoup prétendent que l’état des finances publiques grecques est insoutenable et qu’un haircut est inévitable si l’on veut éviter un Grexit. Cette idée pourrait sembler vraisemblable, mais une analyse approfondie montre qu’elle est clairement erronée ».
Il se trouve que l’analyse approfondie en question repose elle-même sur une profonde erreur de raisonnement. Watt commence par dire que le taux d’intérêt apparent sur la dette publique – calculé en rapportant les intérêts versés à l’encours de dette – est, à la suite de la restructuration de 2012, relativement bas : 2,4 % en 2014. C’est vrai, mais les intérêts représentent quand même 4,3 % du PIB. Il déclare ensuite que « contrairement à ceux qui affirment que la dette grecque est manifestement insoutenable, le ratio dette/PIB est aujourd’hui proche d’une trajectoire orientée à la baisse ». Dans ces conditions, « il suffit de maintenir l’excédent primaire et le taux d’intérêt à leur niveau actuel pour que la charge de la dette baisse, certes très lentement, même si le PIB nominal stagne ».
Cette proposition est erronée. L’évolution du ratio dette/PIB obéit à une arithmétique assez simple (voir encadré). Si on applique les valeurs actuelles du taux d’intérêt apparent (2,4 %) et de l’excédent primaire (2,7 % du PIB), et si l’on postule comme le fait Watt que « le PIB nominal stagne », on peut facilement établir que le ratio dette/PIB augmente « certes très lentement » : il passe de 175 % à 176,5 %.
Plus fondamentalement, Andrew Watt commet l’erreur de penser que l’on peut prolonger durablement un excédent primaire sans que cela pèse sur la croissance du PIB, réel ou nominal. C’est la même économie politique primitive que celle qui sous-tendait les mémorandums, et on la retrouve encore dans les scénarios les plus récents des institutions.
Retour sur le crime de 2010
Dans une précédente contribution [6], il était fait état des « erreurs » commises par le FMI à propos des « multiplicateurs budgétaires ». L’erreur en question consistait à sous-estimer l’effet récessionniste d’une baisse des dépenses publiques, autrement dit à postuler qu’il serait possible de concilier austérité budgétaire et reprise progressive de la croissance. Mais le débat au sein de la Commission pour la vérité sur la dette grecque, alimenté par des documents plus ou moins confidentiels [7], conduit à cette conclusion : plutôt que d’une erreur, il s’agissait d’une volonté politique délibérée.
L’économiste en chef du FMI, Olivier Blanchard, avait certes procédé à une autocritique dès 2012. Dans un encadré (signé par lui et Daniel Leigh.) du World Economic Outlook de 2012 [8], il admettait que « les multiplicateurs budgétaires étaient plus élevés que ceux postulés par les prévisionnistes ». Mais si on décrypte son commentaire, on découvre que les hypothèses n’étaient « pas toujours explicites » et l’économiste en chef en est réduit à les estimer au doigt mouillé à « environ 0,5 » sur la base de documents et de rapports du FMI. Un peu d’économétrie sur les erreurs de prévisions le conduit à conclure que les multiplicateurs se situaient en réalité « entre 0,9 et 1,7 ».Tout cela peut sembler un peu technique, mais c’est aussi un aveu décisif : l’économiste en chef reconnaît qu’il ne savait pas quels multiplicateurs utilisaient les prévisionnistes du FMI.
Une étude récente de la banque grecque Eurobank [9] établit que « les programmes d’austérité mis en œuvre en Grèce peuvent entièrement expliquer la contraction du PIB grec qui s’en est suivie ». Elle confirme celle de l’institut allemand IMK (Institut für Makroökonomie und Konjunkturforschung) qui montrait qu’en l’absence d’austérité le PIB grec aurait stagné, au lieu de chuter de 25 % [10].
On peut aller plus loin et soutenir que les modèles du FMI ont été tordus (par d’autres économistes que le chef, donc) pour atteindre les résultats souhaités. Comment en effet projeter une impulsion budgétaire négative – la somme des baisses de dépenses et des hausses de recettes – équivalant à 16 % du PIB entre 2010 et 2013 et n’en attendre qu’une récession de 3,4 % sur cette même période ? C’est absolument impossible : les comptes ont été truqués.
Le fond du débat était à l’époque de décider si la Grèce se trouvait confrontée à une crise de solvabilité ou de liquidité. Dans le premier cas, il fallait restructurer la dette ; dans le second cas, il suffisait de la reconduire, sous certaines conditions imposées au gouvernement grec. C’est le gouvernement Papandréou qui, dès son arrivée au pouvoir, a décidé de faire appel au FMI, n’hésitant pas à truquer les statistiques pour gonfler le déficit de 2009 et dramatiser la situation. C’est donc à ce moment que se met en place la Troïka dont la première décision en mai 2010 est de ne pas restructurer la dette grecque. Cette décision a été entérinée par le FMI, contre l’avis de nombreux membres de son directoire. Elle avait le soutien de la BCE, de nombreux pays européens emmenés par l’Allemagne, la France et les Pays-Bas, mais aussi l’accord des autorités grecques, qui n’avaient d’ailleurs jamais évoqué la possibilité d’une restructuration.
Ce choix criminel de ne pas restructurer une dette insoutenable a été motivé par la volonté d’épargner les pertes que cela aurait entraîné non seulement pour les banques allemandes et françaises, mais aussi pour les banques grecques. Plus qu’une crise de la dette souveraine, il s’agissait avant tout d’une crise bancaire et, en 2012, plus de la moitié du haircut sera d’ailleurs consacrée à la recapitalisation des banques grecques.
Le crime de 2015
Les propositions du gouvernement grec en date du 22 Juin 2015 [11] font d’énormes concessions à la logique de la Troïka. Elles devraient conduire à une augmentation des recettes de l’Etat de 2,7 milliards d’euros en 2015 – 1,51 % du PIB – et de 5,2 milliards en 2016 – 2,87 % du PIB (tableau 1). On retrouve ainsi les deux principaux points d’achoppement des négociations, à savoir la TVA et surtout les retraites qui devraient permettre d’économiser 2,5 milliards d’euros sur les deux ans à venir, alors que les précédentes propositions grecques ne prévoyaient que 71 millions en 2016.
Tableau 1. Les propositions grecques du 22 juin 2015
Ces mesures sont dites « paramétriques » (on change les barèmes d’imposition existants), mais l’offre grecque comporte aussi des mesures dites « administratives » évaluées à 0,91 % du PIB en 2015 et 1,31 % en 2016. Il s’agit essentiellement de mesures visant à une meilleure collecte des impôts et à lutter contre la contrebande de carburant ainsi que la fraude fiscale. Le document propose notamment d’« intensifier les contrôles sur les opérations bancaires » et d’enquêter sur « les dépôts effectués au cours de la période 2000-2014 dans des établissements bancaires en Grèce ou à l’étranger et qui proviennent de revenus de citoyens grecs non déclarés ». Mais cela n’intéresse évidemment pas les « institutions ». Le FMI réclame moins d’impôts et plus de coupes budgétaires.
Au-delà du débat sur la stratégie adoptée par le gouvernement grec, il faut bien comprendre que le cadre dans lequel la Troïka enferme les négociations est le même qu’en 2010 et qu’il ne peut que conduire aux mêmes résultats catastrophiques.
Les trois premiers graphiques ci-dessous comparent les prévisions réalisées en 2010 par le FMI pour la période 2010-2014 [12] et les résultats observés. On constate que le PIB a baissé de 22 % sur cette période alors que le FMI prévoyait une baisse de 1,5 %. Le solde primaire – le solde budgétaire hors intérêts de la dette – est certes devenu positif à partir de 2013, mais bien en dessous des prévisions, ou plutôt en l’occurrence, des objectifs du FMI. C’est au passage un exemple de l’incohérence de ce scénario, dans la mesure où la récession réduit les recettes fiscales et pèse sur les déficits. Mais après tout, le véritable objectif a été atteint : 53 milliards d’euros ont été versés au titre des intérêts de la dette publique sur cette période (soit en moyenne 5,3 % du PIB). Autrement dit, on a imposé une baisse énorme des dépenses publiques de plus de 30 % entre 2009 et 2014, provoquant une récession majeure, mais l’essentiel, à savoir le paiement des intérêts a été garanti.
Le ratio dette/PIB devait, selon le FMI, augmenter dans un premier temps de 34 points puis commencer à décroître à partir de 2012. En réalité, il a augmenté de presque 50 points de PIB entre 2009 et 2014, malgré le hair-cut de 2012.
Les derniers scénarios du FMI [13] établis l’année dernière pour la période 2014-2019 ont certes été rendus en partie obsolètes par l’avancement des négociations. Mais elles montrent quel est le cadre de référence de la Troïka : c’est le même qu’en 2010, comme le montre le quatrième graphique. On y observe que le FMI prévoit à nouveau une reprise rapide de la croissance (plus de 3 % à partir de 2015) en dépit d’un rétablissement extravagant du solde primaire qui devait dépasser 4 % du PIB à partir de 2016. Le ratio dette/PIB était quant à lui censé baisser de près de 40 points de PIB, : de 174 % en 2014 à 135 % en 2019.
Même si la Troïka a depuis ramené les objectifs de solde primaire à des niveaux moins élevés, il n’en reste pas moins que ces scénarios proposent une combinaison improbable de croissance et d’excédents primaires, tellement incohérente que les économistes de l’OFCE n’ont pas réussi à le reproduire [14]. Wolfgang Münchau, un chroniqueur du Financial Times, a proposé une évaluation du programme d’ajustement : il devrait conduire à une baisse de 12,6 % sur les quatre ans à venir et porter la dette à 200 % du PIB [15].
Comment en effet, comme le fait le scénario du FMI, anticiper une reprise tirée par la demande intérieure, malgré le chômage élevé et les bas salaires ? Comment prévoir une contribution positive à la croissance de la demande publique alors même qu’aucune augmentation de la part des dépenses publiques dans le PIB n’est prévue ? Le cadre macroéconomique de la Troïka commet les mêmes « erreurs » qu’en 2010, ou plutôt impose délibérément à la Grèce une trajectoire insoutenable.
Un crime durable
Même si un accord était signé avant la fin du mois, rien ne serait réglé. Trois économistes « atterrés » [16] ont parfaitement résumé le « cercle infernal des négociations perpétuelles » dans lequel la Grèce entrerait de toute manière : « Les 7,2 milliards déboursés seront immédiatement engloutis dans le remboursement des échéances de cet été : 1,6 milliards dus au FMI au 30 juin, puis 6,5 milliards dus à la BCE en juillet et août. Autrement dit, les créanciers auront prêté de l’argent à la Grèce pour que celle-ci les rembourse en retour immédiat. Cet accord n’aura fait que reporter le problème à septembre : le gouvernement grec se trouvera alors de nouveau dans l’obligation de demander un autre prêt pour pouvoir faire face à ses échéances et éviter le défaut. Mais ce prêt sera conditionné par de nouvelles mesures d’austérité demandées par les créanciers ».
La dernière offre des créanciers faite le 26 juin confirme à la lettre ce pronostic. Elle propose de débloquer les fameux 7,2 milliards d’euros, d’y rajouter 10,9 milliards de crédits encore non utilisés pour la recapitalisation des banques grecques, et environ 2 milliards de profits dégagés par la BCE grâce à la prise en pension de titres grecs. Au total, 15,5 milliards seraient versés en cinq mensualités jusqu’en novembre, avec à chaque étape des conditions précises à remplir du côté grec. Et aucun rééchelonnement ultérieur n’est prévu alors que 14 milliards d’euros figurent au calendrier des remboursements pour 2016. Cette véritable mise sous tutelle a été à juste titre refusée par Tsipras, qui a annoncé un référendum pour le 5 Juillet.
Un pays ne peut pas vivre dans une telle situation de soumission à des organismes technocratiques qui servent les intérêts de la finance et n’hésitent pas à fouler les droits humains élémentaires. Cette perspective est d’autant plus insupportable que le refus obstiné de reconnaître la réalité, à savoir que la dette grecque n’est pas soutenable, conduit à verrouiller totalement l’avenir de la Grèce en lui interdisant toute ébauche de bifurcation vers un autre modèle de développement. Les « réformes structurelles » qu’on lui impose ne visent pas à remettre en cause les privilèges de l’oligarchie et l’impunité dont elle bénéficie, comme en témoigne symboliquement le refus par la Troïka d’une taxe exceptionnelle de 12 % sur les bénéfices d’entreprises supérieurs à 500’000 euros.
Les « réformes » réclamées sont entièrement destinées à s’attaquer aux droits sociaux, pire, elles ne peuvent que renforcer encore le pouvoir de cette oligarchie à travers les privatisations. Il existe pourtant un large consensus entre économistes, pas seulement radicaux, pour mettre en cause la nature mortifère des politiques d’ajustement. Ainsi, Elie Cohen, un social-libéral convaincu, peut écrire que « la Grèce a payé un très lourd prix pour se conformer aux engagements négociés avec la troïka. Dès lors toute démarche qui consisterait à poursuivre l’expérience passée est vouée à l’échec. [Elle] n’est pas solvable et ne peut donc rembourser l’intégralité de sa dette. Toute mesure qui étend les programmes tout en prétendant que la Grèce honorera ses obligations est trompeuse. » [17]
La Grèce est décidément enfermée dans une mécanique infernale. Il faudra bien tirer toutes les conséquences de cette évidence sur laquelle concluait la Commission pour la vérité sur la dette : « non seulement la Grèce n’a pas la capacité de payer la dette mais elle ne devrait pas le faire ».
Mais l’essentiel n’est peut-être plus là, et déborde largement l’analyse économique. L’attitude des « institutions » n’est pas seulement criminelle en ce qu’elle consiste à vouloir faire payer la Grèce, quel qu’en soit le prix pour le peuple grec. Elle est aussi politiquement criminelle, parce qu’elle vise de fait à renverser un gouvernement démocratiquement élu. L’économiste Paul de Grauwe résume bien la situation (avec peut-être une réserve quant à sa caractérisation du gouvernement grec) en écrivant que : « Les politiques d’austérité inspirées par le FMI ont brisé l’économie grecque. Maintenant, des politiques d’austérité inspirées par le FMI ont pour objectif de briser un gouvernement grec (communiste) » [18].
Il vaut la peine de rappeler les injonctions de Jean-Claude Juncker en décembre dernier : « Ma préférence serait de revoir des visages familiers en janvier » disait-il, en précisant ainsi sa pensée : « Je suis certain que les Grecs - qui n’ont pas une vie facile, surtout les nombreux pauvres - savent très bien ce qu’un mauvais (wrong) résultat aux élections signifierait pour la Grèce et la zone euro (…) Je ne tiens pas à exprimer ma propre opinion, seulement je ne voudrais pas que des forces extrémistes prennent les commandes (…) J’aimerais que la Grèce soit gouvernée par des gens qui aient un regard et un cœur pour les petites gens - et ils sont nombreux en Grèce -, et qui comprennent aussi la nécessité des processus européens ».
La dureté des positions européennes ne peut être comprise si on ne la relie pas à la tentative récente de déclencher une panique bancaire par des déclarations coordonnées de la BCE (le représentant français Benoît Coeuré déclarant la semaine dernière qu’il ne savait pas si les banques grecques serait ouverte le lundi d’après) et de la Banque de Grèce. C’est son actuel gouverneur, Yannis Stournaras, ex-ministre de Samara, qui a sorti un rapport alarmiste le jour même de la présentation du rapport du Comité pour la vérité sur la dette grecque. Et c’est d’ailleurs lui qui est pressenti pour diriger un futur gouvernement d’union nationale.
Face à cette tentative de coup d’état financier, il est décidément temps de poser la question de la suspension des paiements de la dette. Puisse le référendum contribuer à la trancher.
Michel Husson