Athènes s’est réveillée, jeudi 25 juin au matin, avec la gueule de bois. Et un sentiment de colère aussi. « Depuis le début, je soutiens l’idée d’un accord avec nos créanciers, mais là ils sont devenus déraisonnables ! », s’emporte Panos Demopoulos, un jeune ingénieur de 33 ans venu tôt lire la une des journaux au kiosque de son quartier avant d’aller au travail. « Tsipras avait cédé sur presque tout et il avait bien fait, mais maintenant ils exigent toujours plus. A quoi jouent-ils ? »
Cette perplexité devant les incohérences des demandes des créanciers et le durcissement de leurs positions lors de l’interminable journée de négociations à Bruxelles mercredi, était largement partagée. Et traversait d’ailleurs tous les bords politiques.
Le document raturé de rouge, contenant les contre-propositions des créanciers au plan grec présenté lundi, a ainsi fait le tour des médias. « Sur le plan symbolique, ce rouge professoral corrigeant la copie d’un mauvais élève heurte profondément les Grecs, explique le politologue Elias Nikolakopoulos. Mais, au-delà de la forme, ce qui est désormais très préoccupant, c’est que ce document expose clairement un modèle économique précis, un diktat ne laissant aucune marge de manœuvre à ce gouvernement pour alléger, même un tout petit peu, la pression de l’austérité en Grèce. »
Exigences toujours plus importantes des créanciers
Ce qui choque particulièrement les Grecs, c’est l’insistance des créanciers pour augmenter les revenus liés à la TVA, notamment en faisant basculer la fiscalité sur la nourriture de 13 % à 23 %, tout en refusant la proposition du gouvernement grec d’instaurer une taxe exceptionnelle de 12 % sur les entreprises ayant un bénéfice supérieur à 500 000 euros.
« Cela envoie le signal que les créanciers veulent avant tout protéger les riches et faire de nouveau reposer l’effort sur les plus faibles, en augmentant la TVA sur le lait, l’huile ou les pâtes », relève M. Nikolakopoulos.
Les exigences toujours plus importantes des créanciers sont vécues par une grande partie de la population grecque comme une tentative désormais décomplexée de faire tomber ce gouvernement de gauche radicale, qui bouscule le dogme de l’austérité européenne.
« Quelle est cette Europe, inflexible, incapable de respecter le vote d’un peuple ? »
Sur le site internet Iskra, qui diffuse les opinions de la plate-forme de gauche, ce mouvement situé à l’aile gauche de Syriza et qui représente potentiellement une vingtaine de députés au parlement, le principal article, jeudi matin, dénonçait une volonté des créanciers « d’humilier et de faire plier la Grèce afin d’en faire un exemple » et d’éviter que la contagion de gouvernements de gauche ne s’étende à d’autre pays comme l’Espagne et le Portugal.
« Le plus dangereux c’est que cette position très dure alimente un sentiment anti-Europe, qui avait tendance à s’éteindre ces derniers mois », se désole M. Nikolakopoulos. « Quelle est cette Europe inflexible, incapable de respecter le vote démocratique d’un peuple demandant l’assouplissement d’une idéologie – l’austérité – qui a échoué en Grèce ? », s’interroge, depuis des semaines, l’eurodéputé Syriza Stelios Kouloglou.
Alexis Tsipras avait pourtant réussi à faire passer, plus ou moins, l’idée que des sacrifices étaient nécessaires pour garantir le destin européen de la Grèce. « Mais là, aucun gouvernement, même d’union nationale, même sans Tsipras, ne sera en mesure d’accepter et de faire adopter au Parlement un tel texte », affirme Elias Nikolakopoulos.
Adéa Guillot (Athènes, correspondance)
Journaliste au Monde