Sept régions, soit 23 millions de personnes, étaient appelées à se prononcer sur leurs administrations locales ; parmi celles-ci, des régions traditionnellement « rouges » comme la Toscane, les Marches ou l’Ombrie, mais aussi la Vénétie, la Campanie, la Ligurie et les Pouilles. Si, comme le soulignait dans le quotidien la Repubblica Ilvio Diamanti le 2 juin dernier, « chaque élection en Italie devient l’occasion de faire le bilan de santé du gouvernement », force est de constater que celui-ci est loin d’être au beau fixe. Car ce dernier vote marque sans doute la première phase d’arrêt véritable dans la course folle que mène le Parti démocrate (PD) de Matteo Renzi, et ce malgré les « fanfaronnades » télévisuelles du président du Conseil italien, appuyé dans sa campagne par la quasi-totalité des médias et des forces économiques du pays, comme le souligne à juste titre dans son analyse à chaud Franco Turigliatto [1].
Un vote sanction
Le vote du 31 mai dernier est un vote sanction contre les partis institutionnels et les politiques d’austérité mises en place par les gouvernements successifs. Le taux élevé d’abstention et de votes blancs en est le premier signal, touchant, dans ces sept régions, un million de personnes de plus que lors des élections européennes de mai 2014 et s’élevant à plus de 50 %. A cela s’ajoutent les faibles scores obtenus par les « partis de l’austérité ». Le PD de Renzi, s’il reste le premier parti du pays, n’obtient que 23,7 % des voix perdant, depuis les élections européennes dans ces sept régions, 1 309 769 voix. A droite, si Forza Italia, le parti de Silvio Berlusconi, ne s’effondre pas, il perd plus de la moitié de ses électeurs. Mais surtout, il passe derrière la Ligue du Nord de Matteo Salvini qui devient la troisième force politique en frôlant les 13 % des suffrages et dépassant Forza Italia presque partout.
Clair signal de l’ampleur, de la profondeur et de la violence de la crise et des attaques subies par une population italienne de plus en plus exsangue. Et les données statistiques d’avril globalement positives par rapport au mois de mars dernier n’y changent rien ( 0,7 % pour l’emploi, mais à durée déterminée ; –0,2 % pour le chômage global et –1,6 % pour le chômage des jeunes). Le tableau de l’Italie dressé en décembre 2014 dans le « 48e Rapport sur la situation sociale du pays » ne laissait guère d’illusions, il est vrai : un chômage des jeunes représentant plus de la moitié du chômage total ; un pays où les Neet (les jeunes qui ne se forment pas, ne travaillent pas et n’étudient pas) se montent à quelque 2 millions de personnes ; un pays atomisé, où peur et solitude s’étendent.
« Dans ce clair-obscur surgissent les monstres »
La hausse exponentielle des votes pour La Ligue du Nord est sans doute l’élément à retenir de ces dernières élections. La Ligue du Nord est en effet la seule force politique à avoir augmenté le nombre de ses suffrages, passant, dans ces sept régions, du simple au double par rapport aux élections européennes. Plus grave encore, si on laisse de côté les scores obtenus en Vénétie, sa forteresse électorale, la Ligue du Nord s’est solidement implantée en Toscane (16 % des voix), en Ombrie, dans les Marches (13 %), mais aussi en Ligurie (22 %).
A l’annonce des résultats, Matteo Salvini exultait, se disant déterminé à accéder au pouvoir : « Hier les Italiens ont décidé que l’alternative au gouvernement de Renzi, c’était la Ligue du Nord », a-t-il ajouté. Depuis que Salvini a repris les rênes du parti d’Umberto Bossi, la Ligue du Nord a fait taire ses velléités sécessionnistes, indiquant par là même sa volonté de devenir un véritable parti national, et les a avantageusement remplacées par un discours contre l’Union européenne et les immigrés. Selon Ilvio Diamanti, Salvini a « lepénisé » le parti et a réussi à devenir en très peu de temps une force politique prête à hégémoniser la droite italienne.
« L’ancien meurt et le nouveau ne peut pas naître »
A la gauche de ce qu’on appelle encore la gauche, les résultats ne soulèvent que peu d’espoir. La constellation de forces qui s’étaient rassemblées lors des élections européennes sous la bannière d’« Une autre Europe avec Tsipras » est partie en ordre dispersé, rendant peu porteuse d’avenir la hausse pour l’ensemble de ces mouvements d’environ 62 000 voix par rapport aux élections de mai 2014. Cette absence de coordination a laissé encore une fois au M5S de Beppe Grillo « la bannière de l’opposition politique à Renzi et au régime d’austérité ». Le Mouvement 5 étoiles reste en effet la deuxième force politique dans les sept régions appelées au vote, obtenant 18 % des voix ; un score qui ne peut faire abstraction, il est vrai, de sa dénonciation sans relâche de la corruption qui fait à nouveau la une de la presse italienne.
L’horizon de la constitution d’une organisation politique et de la reconfiguration d’un horizon stratégique vers lequel faire converger les luttes menées au cours de ces derniers mois dans la Péninsule (notamment autour du Job Act, mais pas seulement) semble s’éloigner. Mais Antonio Gramsci n’écrivait-il pas dans ses Cahiers de prison que la crise consiste précisément dans le fait que « l’ancien meurt et le nouveau ne peut pas naître » ?
Stefanie Prezioso