Présentation
Les élections régionales en Italie, fin mai 2015, exprimaient, de manière synthétique, selon les formules d’un militant italien : 1° une passivité (entre autres sur le plan électoral) des travailleurs et travailleuses et de couches salariées intermédiaires ; 2° un déplacement à droite de l’électorat de droite de Berlusconi en direction de Matteo Salvini, secrétaire de la Ligue du Nord depuis 2012 et député européen lié à Marine Le Pen ; 3° un vote de jeunes et de salarié·e·s en direction du Mouvement (qui n’en est pas un) 5 étoiles ; 4° une « berlusconisation » continue (bien que Berlusconi soit demi-mort) de la vie politique bourgeoise avec une personnalisation extrême de son expression, donc avec un « leader » censé « sauver le pays », ce qui suscite encore plus une sorte d’infantilisation politique des travailleurs et travailleuses.
Un journaliste utilisait, pour faire le point sur les choix actuels de Matteo Renzi, suite aux élections régionales, le slogan d’une ancienne publicité pour un rasoir : « La première lame coupe le poil, la deuxième le recoupe avant qu’il ne se rétracte. » Mais que fait la troisième lame ? Car, si Renzi – comme tous les autres dirigeants – a utilisé les résultats du vote en pour cent pour clamer victoire après les régionales, il lui est difficile de faire de même après le second tour des élections municipales, le 14 juin. Venise et Arezzo passaient à droite. Il en allait de même en Sicile, avec la droite gagnant Enna et le Mouvement 5 étoiles, Gela. Le grand « leader » qui avait fait passer le Jobs Act (voir sur ce site l’article publié en date du 11 mai) et une réforme de la loi électorale (Italicum) pour « stabiliser la gouvernance » de l’Italie ne semble plus aussi dominateur. Qu’en sera-t-il après les élections, en 2016, dans des villes qui comptent comme Naples, Milan, Turin, Bologne ? La troisième lame.
Fabrizio Burrattini, sur le site de Sinistra Anticapitalista, écrit, à propos de l’abstention, qu’un des facteurs réside certainement dans la chute de l’activisme propagandiste de Renzi par rapport aux premiers mois suite à son élection (février 2014) et à l’effacement de la distribution magnifiée de 80 euros « à chacun ». A cela s’ajoutent, comme dans de nombreux pays, les scandales de corruption qui sont le propre de la gestion régionale et municipale.
Dans la période à venir, Renzi va chercher à imposer sa réforme « Bonne école » (Buona Scuola) qui fait face à une résistance sérieuse dans le corps enseignant. Renzi présente le choix de manière classique : l’engagement de 100’000 (?) nouveaux enseignant·e·s et, en contrepartie, une renonciation à de nombreux droits. A cela, il ajoute une politique de division des syndicats – plus exactement des appareils syndicaux prêts à accueillir ses avances – pour casser le mouvement unitaire qui, pour l’heure, se manifeste. Dès manifestations unitaires (Cobas, Flc-Cgil, CISL, Uil Scuola, Gilda et Sanls) sont appelées dans les grandes villes depuis le 18 juin, avec l’objectif d’une mobilisation nationale du 23 au 25 juin.
Afin de mettre dans leur contexte plus étroitement politique ces mobilisations sociales, nous publions ci-dessous une analyse des élections régionales faite par Franco Turigliatto à la sortie des urnes, fin mai.
Rédaction A l’Encontre
Six considérations sur les élections régionales en Italie
Les éléments de fond qui ressortent des récentes élections régionales dans les sept Régions d’Italie [Campanie, Vénétie, Pouilles, Toscane, Ligurie, Marches et Ombrie], où plus de 23 millions d’électeurs et électrices ont été appelés aux urnes, sont clairs et simples. A l’heure actuelle, les résultats des élections dans les communes, où la participation au vote est majeure, ne sont pas encore connus. Il est difficile de dire s’il y a des éléments de nouveauté par rapport au vote dans les Régions.
• La donnée principale et extrêmement significative est la chute ultérieure de la participation au vote qui a atteint le 53,90%, 10% de moins par rapport aux dernières élections régionales, il y a 5 ans. Cela signifie qu’environ un électeur sur deux n’est pas allé aux urnes. Cela est le témoignage d’une société déçue, désorienté, fortement secouée par la crise et par la politique d’austérité menée par toutes les deux principales formations électorales [le Parti démocrate (PD) et le bloc de « droite » constitué par Ligue du Nord et Fratelli d’Italia de Berlusconi] et laissée sans espoir et sans points de repère politiques et sociaux. Naturellement, cette situation n’impressionne pas les forces capitalistes qui considèrent normale, si non souhaitable, cette dynamique électorale à l’« américaine », à partir de laquelle ils peuvent bénéficier de plusieurs avantages. Le fait que la participation majeure au vote a été enregistrée dans la Vénétie (57,15%), suivi par l’Ombrie (55,42%) alors que dans d’autres Régions « rouges », comme la Toscane (48,28%) et les Marches (49,78%) la participation se situe au-dessous du seuil de 50% (en Ligurie ce seuil est dépassé de justesse). Cela témoigne de l’énorme désorientation de ce qu’historiquement était appelé le « peuple des gauches » [référence à la forte présence des électeurs de la « gauche » historique dans ces Régions].
• Le deuxième élément à souligner est que, au-delà de l’énorme présence sur tous les médias et le soutien ouvert des pouvoirs forts, le président du Conseil (Renzi) a connu un premier recul significatif. Le résultat du Parti démocrate (PD) n’a pas été au niveau de celui des élections européennes du 25 mai 2014 [40,81% des votes pour le PD, soit 11’203’231 des votes en chiffres absolus ce qui équivaut à 31 députés au Parlement UE] : une défaite en Vénétie [face à Luca Zaia, président réélu et membre de la Ligue du Nord], une victoire étroite en Ombrie (traditionnellement du PD), une dure défaite en Ligurie grâce au score du bras droit de Berlusconi [Giovanni Toti] et victoire en Campanie avec l’élection d’un personnage embarrassant comme Vincenzo De Luca [1]. Le recul de Renzi et de « son » PD est encore plus évident si on compare les résultats, en nombre de votes absolus, des élections régionales avec ceux des élections européennes de 2014.
Dans l’ensemble des sept Régions appelés au vote, le 25 mai 2014 Renzi a obtenu 4’264’691 votes alors que lors des récentes élections régionales les sept candidats du PD pour la présidence des sept Régions ont récolté 2’954’922 votes. Donc 31% des électeurs et électrices ont choisi de ne pas voter le PD, ni un candidat à la présidence régionale provenant du PD. Cette donnée se révèle significative si on considère que les candidats du PD étaient soutenus aussi par d’autres listes plus ou moins importantes. Donc, les 69% des électeurs restants qui ont choisi de voter un candidat PD ne proviennent pas tous de la base électorale traditionnelle du PD. En outre, si l’on prend en considération la Région des Pouilles où le candidat du PD – Michele Emiliano qui prônait une campagne électorale avec une tonalité d’ « anti-renzisme » – a obtenu un résultat plus positif par rapport à ses homologues présents sur d’autres listes (767’572 votes contre 550’086 conquis par Renzi l’année passée dans cette Région) et que l’on évalue les votes absolus des autres six Régions, la perte effective est de 41 électeurs sur 100. Ces données n’indiquent pas que Renzi va subir un arrêt dans sa trajectoire politique. Au contraire, il est probable qu’il continuera sa route en procédant avant tout à une « purge » au sein même du PD et à une ultérieure « normalisation » de son parti au niveau local.
• Le troisième élément concerne l’émergence de la Ligue du Nord. Son succès s’insère dans un contexte de crise et de dégradation sociale et ne se limite pas à la confirmation de son président en Vénétie, mais aussi par les résultats des listes dans toutes les Régions : la Ligue du Nord obtient 22% des votes en Ligurie, 16% en Toscane, 13% dans les Marches et en Ombrie. La Ligue a su entraîner dans sa campagne la formation de Berlusconi, Fratelli d’Italia (FI), et elle continuera à développer des initiatives réactionnaires et racistes s’adressant aux couches populaires.
• Le quatrième élément concerne le score de FI. Cette formation a subi un recul. Elle a subi les effets de la montée de la Ligue du Nord. Toutefois, elle ne subit pas une défaite. Elle a conquis la présidence en Ligurie et elle maintient des pourcentages des votes assez réduits, mais en mesure d’influencer le cadre politique italien.
• Le cinquième élément concerne le Mouvement cinq étoiles (M5S) de Beppe Grillo. Selon l’analyse des résultats, ce mouvement constitue la seule opposition réelle et crédible vis-à-vis des partis de l’austérité et de la « caste ». Le M5S obtient son meilleur résultat dans les élections administratives – bien qu’il soit en dessous du résultat des élections politiques de 2013 et des Européennes de 2014 [respectivement 25,56% des votes, soit 8’797’902 et 21,16%, soit 5’792’865 votes] – en se situant comme deuxième force politique après le PD. Ainsi, le M5S démontre d’être une formation politique toujours présente en dépit du « boycott » partiel mis en acte par les médias. Il reste la force électorale principale en mesure de capter un vote non seulement de protestation mais aussi d’ « opposition ». Les récents phénomènes de corruption ainsi que les caractéristiques de certains candidats participent au renforcement de la crédibilité des positions de cette formation politique qui correspond à la « conscience politique moyenne » de larges secteurs de la population.
• Le sixième élément concerne le panorama de la « gauche de la gauche » en Italie. L’espoir des forces de la gauche de pouvoir poursuivre voie (et les succès) de Podemos dans l’Etat espagnol est loin d’être réalisé [après avoir invoqué le modèle Syriza]. En premier lieu, il faut souligner que les partis qui avaient composé la liste Tsipras aux élections européennes n’ont pas voulu et su se présenter au niveau national avec une position partagée et homogène qui aurait pu être potentiellement crédible en tant que projet alternatif [2].
SEL a choisi de s’allier au PD dans divers Régions. Etant donné que SEL dispose d’une importance électorale de quelques pour cent de votes, son soutien aux listes se révèle important. Dans chaque cas de figure, les caractéristiques politiques de ces formations politiques constituées sont apparus très inconsistantes sur le plan des contenus et des perspectives politiques. Le résultat le plus important (avec un score au-delà du 9%), mais avec des caractéristiques et un impact particulier, a été obtenu par Luca Pastorino, l’homme de Beppe Civati (ex-PD) [3]. Cette liste a obtenu donc le soutien d’une partie du PD. Toutefois, cette expérience est marquée par les positions modérées de ces personnages politiques qui visent à prendre le leadership dans le spectre de la gauche du PD, tant sur le plan local que sur le plan national. Cette considération devrait faire réfléchir les camarades de Refondation communiste…
Un modeste résultat a été obtenu en Toscane avec la liste « Toscane à gauche » (au-delà du 6%). Dans ce cadre, une large discussion politique et la participation des listes et mouvements locaux a permis une certaine crédibilité de la liste. Dans la Région des Marches, le résultat a été de 4%. Dans d’autres Régions, les résultats ont été beaucoup plus décevants tournant autour de 1% dans des Régions comme la Campanie, l’Ombrie, la Vénétie et les Pouilles. Les résultats des listes de « la gauche de la gauche » – se situant même au-dessous de 1% dans certains Régions – confirment la faible attractivité électorale des formations politique dites alternatives. Le travail politique et social visant à construire une opposition aux politiques patronales et du gouvernement sera encore long…
En guise de conclusion, on doit souligner la part de responsabilité des organisations syndicales, en particulière de la CGIL (Confédération générale du travail italienne), pour les résultats de ses élections régionales. Cette situation politique est en effet le résultat direct de l’absence d’une riposte et d’une mobilisation sociale du mouvement démocratique et des travailleurs visant à s’opposer aux politiques d’austérité, à la régression démocratique et aux attaques aux droits sociaux qui, aujourd’hui en Italie, se concrétisent surtout par l’adoption du Jobs Act et par le soi-disant projet de « bonne école » [voir sur le Jobs Act l’article de Franco Turigliatto publié sur ce site en date du 11 mai et sur la lutte des enseignants en date du 15 mai 2015]. Cette situation s’affirme aussi à partir de la subordination des dirigeants syndicaux aux politiques capitalistes. Cela contribue à priver les travailleurs et travailleuses d’une défense collective.
Nous sommes plus que jamais convaincus que pour inverser les dynamiques politiques actuelles et reconstruire une gauche de classe, y compris ayant une crédibilité électorale, nous avons besoin non seulement d’un « projet alternatif » au PD, mais aussi et surtout de la reconstitution de l’unité sociale des exploité·e·s qui se fera dans des luttes. Il s’agit de redonner de l’espoir aux gens qu’on peut changer la situation actuelle par le biais de l’action directe collective.
Franco Turigliatto