Un an et demi après sa diffusion en avril 2013, une liste d’instructions du Comité central connue sous le nom de « Document n°9 » apparaît aujourd’hui comme ayant tracé la feuille de route exacte de la répression qui n’a cessé de s’intensifier, dès l’automne 2013 et la fin du procès de Bo Xilai, contre la société civile chinoise, les intellectuels, les blogueurs, les avocats ou les militants d’ONG. C’est sa divulgation par la journaliste dissidente Gao Yu qui a valu à celle-ci d’être arrêtée en mai 2014 et jugée, le 21 novembre, pour « divulgation de secrets d’état ».
C’est à la journaliste Gao Yu que l’on doit la divulgation, en avril 2013, du « Document 9 ». La dissidente a été arrêtée en mai 2014 et jugé le 21 novembre pour « divulgation de secrets d’Etat ».
Cette « note de l’Office général du Comité central du parti », diffusée jusqu’aux plus bas échelons de l’organisation, a pris le nom de « Document n°9 », car il est alors le neuvième document de ce type diffusé depuis le début de l’année, selon le site China File, qui en offre une traduction intégrale en anglais, tirée de la version en chinois publiée par le magazine papier du site Mingjing News aux Etats-Unis en septembre 2013. Mingjing News (littéralement, miroir news) est un site proche des milieux dissidents en exil et c’est à lui que Gao Yu, proche du courant le plus libéral au sein du parti, est accusée de l’avoir transmis.
A ce moment, son contenu a déjà été largement dévoilé par la presse officielle chinoise, qui en rapporte de nombreux « éléments de langage » à travers les multiples réunions auxquelles assistent les cadres de province. La presse étrangère, dont The Economist en juin 2013, et le New York Times en août 2013, consacrent des articles entiers au « Document n°9 » et ses « sept périls » en provenance de l’Occident.
Car le « Document n°9 » se lit comme le pense-bête d’un régime obnubilé par l’Occident, un « kit anti-subversion » qu’il faut suivre à la lettre. Il prévient que « les forces occidentales antichinoises et les “dissidents” de l’intérieur sont toujours en train d’essayer activement d’infiltrer la sphère idéologique chinoise et de mettre au défi notre principale idéologie ». Le combat est « complexe et intense », prévient le préambule. Pour ce faire, sept tendances ont été identifiées comme autant de moyens inventés par l’Occident pour saper l’autorité du parti et le renverser. Le document expose les principaux arguments en leur faveur, et les condamne d’autorité.
« Journalisme à l’occidentale »
On y trouve la « démocratie constitutionnelle occidentale » : Certains « attaquent les dirigeants en disant qu’ils se placent au-dessus de la Constitution ». « D’autres prétendent que la Chine a une Constitution, mais qu’elle n’est pas gouvernée de manière constitutionnelle ». « Leur objectif est d’utiliser l’idée de la démocratie constitutionnelle occidentale pour saboter le rôle dirigeant du parti, abolir la démocratie populaire et nier la Constitution de notre pays ». Les « valeurs universelles » : « Ces gens croient que la liberté, la démocratie, les droits de l’homme sont universels et éternels. C’est évident dans la manière dont ils tordent la promotion par le parti de la démocratie, la liberté (etc.) ». « Le but est d’utiliser le système de valeurs de l’Occident » pour « supplanter les valeurs fondamentales du Socialisme ».
Suivent la « société civile », accusée d’être « une tentative de démantèlement de la fondation sociale du parti dirigeant » ; le « néolibéralisme économique » ; le « journalisme à l’Occidental » (qui « met en question le principe que les médias et l’édition doivent être soumis à la discipline du Parti »). Le « nihilisme historique » : certains « dénient la valeur scientifique et pédagogique de la pensée Mao Zedong », d’autres « tentent de détacher ou même d’opposer entre elles la période de l’ouverture et des réformes [à partir de 1978] et celle qui a précédé [le maoïsme].
Enfin, la remise en question de la « nature socialiste du socialisme aux caractéristiques chinoises » : certains parlent, prévient le document, de « socialisme capitaliste, de capitalisme d’Etat, ou de capitalisme néobureaucratique », mais ces débats risquent de « perturber le consensus existant au sein du peuple » et « le progrès stable de notre nation sur la voie de la réforme et du développement ».
Le « Document n°9 » s’attache ensuite à démasquer tous ceux qui œuvrent et s’agitent contre le parti : « Certains ont diffusé des lettres ouvertes et des pétitions en appelant à la réforme politique, à l’amélioration des droits de l’homme, (…) à revenir sur le verdict du 4 juin [1989] ». D’autres ont « monté en épingle la transparence du patrimoine chez les dirigeants », l’idée de la « supervision du gouvernement par les médias », ou ont prétendu « combattre la corruption sur l’Internet ». D’autres encore « réalisent des documentaires sur des sujets sensibles », « manipulent et montent en épingle les immolations de Tibétains » ou les « problèmes ethniques ou religieux ». Attention « aux ambassades étrangères, aux médias et aux ONG » qui « opèrent en Chine sous diverses couvertures, répandent les valeurs occidentales et cultivent à dessein les forces antigouvernementales ».
Brice Pedroletti (Pékin, correspondant)
Journaliste au Monde