Une plainte déposée par Sherpa et la Fédération nationale des salariés de la construction de la CGT (FNSCBA) vise les activités du groupe de BTP français Vinci au Qatar, dont une filiale commune à Vinci et à l’émirat [1]. « Les enquêtes menées sur place concluent à l’utilisation par ces entreprises de menaces diverses pour contraindre une population vulnérable à des conditions de travail et d’hébergement indignes et à une rémunération dérisoire », dénoncent Sherpa et la CGT. En clair, il s’agit de travail forcé et de servitude.
Les conditions de travail sur les chantiers qataris du Mondial 2022 défraient la chronique depuis que plusieurs médias, dont Basta !, et associations humanitaires ont tiré la sonnette d’alarme sur le nombre d’accidents mortels sur les chantiers. On estime qu’au rythme actuel des accidents de travail, près de 4000 ouvriers pourraient trouver la mort d’ici 2022. Les ouvriers sont souvent maintenus dans une situation de servitude, contraints de vivre et travailler dans des conditions terribles sans possibilité de protester ni de partir puisque leurs passeports sont confisqués d’entrée par les employeurs.
Comme le rappelle une enquête à ce sujet publiée il y a quelques mois par l’Observatoire des multinationales et Basta ! (lire Conditions de travail sur les chantiers du Qatar : quel est le rôle de Bouygues et Vinci ?), Vinci a profité de ses relations étroites avec les dirigeants qataris pour décocher plusieurs contrats dans le pays. Le groupe de BTP emploie plusieurs milliers d’ouvriers pakistanais ou népalais sur ses chantiers, directement ou par le biais de ses sous-traitants.
Responsabilité des multinationales
La direction de Vinci a toujours assuré – comme Bouygues également présent dans l’émirat – que ses filiales n’étaient pas concernées par ces accusations et que le groupe assurait à ses ouvriers des conditions décentes de vie et de travail. Vinci avait même organisé une visite de journalistes français pour le démontrer... sans toutefois laisser entrer les syndicats !
Sherpa et la CGT ont mené l’enquête sur le terrain et déclarent aujourd’hui avoir réuni suffisamment d’« éléments accablants » pour porter plainte contre les filiales de Vinci concernées. Une enquête difficile, selon Marie-Laure Guislain, responsable du contentieux à Sherpa : « Les migrants sont terrorisés à l’idée des représailles qu’ils pourraient subir. Nous avons pu néanmoins collecter sur place des preuves formelles de conditions de travail et de logement indignes, pour une rémunération sans rapport avec le travail fourni, et effectué sous la contrainte de menaces. »
Cette plainte est déposée quelques jours avant l’examen à l’Assemblée, le 30 mars, de la nouvelle mouture de la loi sur le devoir de vigilance des multinationales vis-à-vis des activités de leurs filiales et sous-traitants à l’étranger. Cette loi a été considérablement édulcorée comparée à la première version, rejetée il y a quelques semaines (lire notre article). Le nouveau projet ne prévoit plus de sanction pénale, mais seulement une amende relativement modeste. Et rend l’imputation de la responsabilité beaucoup plus difficile. Même allégé, ce projet de loi n’en suscite pas moins une étonnante levée de boucliers de la part des milieux patronaux français. Selon Sherpa, « pour éviter des morts au Qatar comme au Bangladesh, le texte devra être impérativement amendé lors du vote ». Laetitia Liebert, directrice de Sherpa, espère « que cette plainte obligera Vinci à respecter scrupuleusement le droit des travailleurs migrants dans les années à venir et sera un exemple pour le secteur du BTP dans son ensemble. »
• Une pétition en ligne a été mise en place pour appuyer la plainte de Sherpa et de la CGT.
* Lire notre enquête « Conditions de travail sur les chantiers du Qatar : quel est le rôle de Bouygues et Vinci ? »
Olivier Petitjean