A Sivens, les milices de la FDSEA multiplient les agressions dans l’impunité
Un nouveau cap a été franchi ce mercredi dans la stratégie de la tension imposée par la FDSEA du Tarn. Alors qu’un convoi alimentaire tentait d’être acheminé depuis Gaillac pour alimenter la zone du Testet en vivres, les attaques des pro-barrages se sont multipliées. Récit d’une journée folle, devenue le quotidien à Sivens.
Gaillac (Tarn), reportage
Il est près de 14 heures mercredi 4 mars quand nous parvenons sur la place de la Libération à Gaillac. Environ deux-cents personnes sont là, rassemblées pour témoigner de leur soutien aux occupants de la zone du Testet et pour mettre en place un convoi alimentaire afin de ravitailler la cinquantaine d’occupants présents sur la Zad de Sivens. L’ambiance est bon enfant et calme. Le préfet du Tarn, Thierry Gentilhomme, est là et discute avec Jean-Claude, un militant anti barrage à qui il explique : « Je veux éviter la confrontation et ne faire prendre de risque à personne ». Une consigne qui n’a pas empêché de multiples agressions depuis plusieurs mois, avec une intensification depuis le début de la semaine et le blocage total de la zone par les agriculteurs pro barrage.
Le maire de Gaillac, Patrick Goisserand, regarde ce qui se passe. Il insiste sur la nécessité de « respecter la loi. Il faut qu’ils partent, agriculteurs comme zadistes, ensuite, je me ferai l’écho pour que tout le monde se mette autour de la table et qu’on reparte à zéro ». Intention louable mais à Sivens, rien n’est jamais si simple.
L’odyssée des poireaux de Gaillac
L’épisode du convoi de ravitaillement a été le fil conducteur de la journée. Ce qui devait être une simple transmission de légumes et de matériel de pharmacie aux zadistes a pris une tournure absurde jusqu’à devenir impossible.
Au départ, le préfet refuse l’entrée de tout véhicule sur la zone « pour éviter les contacts ». Les manifestants rassemblés sur la place centrale de Gaillac s’insurgent contre cette décision. Les voilà enfermés dehors, pendant une heure, entre divers cordons de policiers qui se déplacent dès que les manifestants bougent. Devant l’impuissance, une discussion s’improvise entre le préfet et Patrick, charpentier, repéré comme interlocuteur par un commandant de gendarmerie.
Voilà donc Patrick parti pour « négocier », bien qu’il précise d’emblée qu’il n’a aucun mandat et qu’il se fait juste « la bouche et l’oreille » du collectif. Proposition du préfet : acheminer les vivres par un autre camion, neutre, de la municipalité ou par un camion de gendarmerie. Dehors, on discute, chante, crie des slogans, tente des percées, proteste contre les mouvements policiers.
Une information tombe : à Sivens, un « commando » d’agriculteurs a fait une incursion en traversant les bois et a créé du grabuge sur la ZAD : une camionnette retournée, la tente dédiée à l’espace radio ravagée, un chapiteau mis au sol, une ferme avec des animaux d’élevage dégradée et enfin, ultime provocation, l’arbre érigé au milieu de la zone déboisée le 24 octobre dernier a été coupé. Philippe Jougla, de la FDSEA du Tarn, confirme l’information auprès de l’AFP dans l’après midi.
En réaction, à Gaillac, la majorité des personnes décide de partir en voiture vers les abords de la zone, en évitant les routes principales. J’entends plusieurs personnes sur la place indiquer discrètement au téléphone : « Ca y est, ils s’en vont vers la zone » sans savoir s’il s’agit de pro ou d’anti barrage.
Des milices organisées pour des agressions éclair
Arrivés à proximité de Barat, les manifestants sont bloqués par des CRS disposés pour maintenir à distance les opposants des agriculteurs bloqueurs. Ceux-ci sont une centaine à Barat, et une autre centaine à l’autre extrémité de la zone. Beaucoup sont armés de bâtons de bois, barres de fer, de manches de pioche ou de battes de base-ball. Je reste du côté zadiste, les agriculteurs s’en prenant souvent aux journalistes, comme cela m’est déjà arrivé.
Sodain, à cent mètres, au bout du cortège de voiture garées, trois 4x4 surviennent et leurs occupants commencent à s’en prendre à des véhicules et aux quelques manifestants venus de Gaillac et restés sur place. Zadistes et gendarmes accourent, les agresseurs sont déjà repartis, parfaitement organisés et rompu à ces exercice d’agression éclair. Puis, deux jeunes casqués traversent un champ sur une moto tout-terrain et s’approchent du groupe d’opposants en contournant le dispositif policier. D’un peu trop près, puisqu’un militant, fou de rage, saute littéralement sur la moto et frappe le conducteur qui est bien obligé de s’arrêter au milieu du champ. Alors seulement les gendarmes interviennent.
Mais la question du convoi alimentaire n’est pas réglée. La discussion reprend avec un représentant du ministère de l’Intérieur. Patrick est de nouveau reparti pour entendre les propositions. Deux heures d’aller retour lui seront nécessaires pour aboutir à une proposition qui en surprend plus d’un : « Ce qui a été dit c’est que la FNSEA et les agriculteurs s’en vont si nous aussi on s’en va. Et le responsable de la gendarmerie s’engage à acheminer les vivres sur la zone, mais il faut que nous les amenions à Gaillac dans un camion prêté par la municipalité ». Patrick n’est pas décideur, beaucoup font la moue, et exigent que les agriculteurs partent les premiers, que des garanties soient prises. Quasiment personne ne fait confiance à la gendarmerie : « Ils nous ont déjà tellement trompés, ils sont complices des milices » soupire Camille (pseudonyme). Finalement, de mauvaise grâce et sous l’avancée des cordons policiers, le convoi des automobiles repart dans l’autre sens, signe de bonne volonté. En face, les agriculteurs, eux, ne bougent pas.
Quant aux vivres, au lieu de traverser le kilomètre restant vers les campements du Testet, ils font marche arrière eux aussi pour être transbordés dans une autre camionnette. Mais celle-ci reste ensuite clouée sur le parking de la gare de Gaillac. La raison ? Il semblerait que, craignant pour sa sécurité, le maire ait appel au Préfet qui a lui-même appelé le ministère. Les zadistes décident de récupérer la moitié de la marchandise et de « l’acheminer avec leurs propres moyens ».
La nuit tombée, la violence des pro barrage redouble d’intensité
Rien n’est encore fini. Revenant de l’intérieur de la zone, après avoir été menacée de mort par des pro-barrage, une confrère raconte l’incapacité totale des occupants à faire face à la situation.
A l’extérieur de la Zad, on peine aussi à faire face. En deux heures, après la tombée de la nuit, plusieurs agressions se produisent. Une jeune fille est interpellée par une patrouille d’agriculteurs en voiture et découvre en fuyant que ses agresseurs discutent paisiblement avec les gendarmes. Plus loin, un autre zadiste, tentant de venir voir le cortège depuis l’intérieur de la zone, est pris a partie et cogné par plus d’une vingtaine d’agriculteurs. Les gendarmes le sauvent d’agressions plus graves et l’évacuent de la zone. On apprend qu’à Saint-Jérome, hameau où le cortège avait fait une halte en quittant la zone, certains se font fait attaquer, deux voitures étant prises d’assaut. Un des occupants témoigne avoir reçu un coup de barre à mine dans le bras. Et la liste semble encore longue des faits et gestes incontrôlables des milices pro-barrage.
Au soir, beaucoup de militants ont le sentiment que les autorités pratiquent deux poids, deux mesures, entre un convoi alimentaire bloqué toute la journée et l’impunité pour les multiples agressions commises par les pro-barrages.
Une cinquantaine d ’agriculteurs avait également mis en place un barrage à l’entrée de Saint Sulpice La Pointe, première étape pour les marcheurs partis de Toulouse à une vingtaine hier matin. « On a appris la menace, on a décidé de continuer quand même », raconte l’une des cinq marcheurs restants hier soir. Les marcheurs repartent ce jeudi matin dès 8 heures de la mairie de Rabastens en espérant arriver sur la zone dans la journée et à Albi vendredi.
LES JOURNALISTES MENACES
La parole des agriculteurs est absente de cet article. « Ils connaissent ton nom », « fais gaffe », « ils parlent de toi derrière, attention à toi ». Les conseils ont été nombreux et salutaires pour révéler le danger qu’il pouvait y avoir pour Reporterre à se rendre à proximité des zones contrôlées par les pro barrage pour les interroger. Un confrère journaliste s’est par ailleurs vu menacer de mort un peu plus tôt juste pour avoir voulu se rendre à l’intérieur de la ZAD.
Reporterre, qui donne la parole à tous les agriculteurs quelle que soit leur carte syndicale et mène un travail continu sur les questions agricoles et écologiques, proteste contre cette atteinte à la liberté d’expression et à notre travail de journaliste.
Grégoire Souchay pour Reporterre, jeudi 5 mars 2015
* http://www.reporterre.net/A-Sivens-les-milices-de-la-FDSEA
Autour de Sivens, la solidarité s’organise face au blocage des pro-barrages
A deux jours du vote du Conseil général du Tarn sur l’avenir du projet de barrage, le blocage de la zone du Testet continue. Les zadistes endurent et font face tant bien que mal aux provocations des pro-barrages. La solidarité extérieure s’organise.
« Pro-barrages en bas de chez nous, les mensonges fusent. Impossibilité d’aller chercher notre fils à l’arrêt de bus qui se situe sur la D999 qui est une route a grande circulation. Les pro-barrages refusent catégoriquement que l’on sorte de chez nous. Menace de mort, de dégradation de véhicule, coup de téléphone de pro barrages qui se trouvent en bas de chez nous, etc. » Tel est le témoignage que livre Nadine Lacoste.
Habitante de Barat, confinée chez elle à cause du blocus des pro-barrages, venus nombreux depuis lundi matin pour bloquer les accès à la zone. Le tort de cette famille : ne pas suivre une supposée « volonté des habitants de vallée » de faire le barrage de Sivens. Sauf si l’on est riverain (favorable au projet) ou journaliste disposant de la carte de presse, il est presque impossible d’accéder à l’intérieur de la zone du Testet, soit sous la pression des pro-barrages, soit de celle des gendarmes.
« Il faut savoir si on est dans un Etat de droit ». La tirade de Philippe Jougla, responsable de la FDSEA (Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles) du Tarn, pourrait faire sourire en d’autres circonstances. Car de fait, c’est bien son syndicat agricole qui organise des opérations d’entrave manifeste aux libertés de circulation sur la zone. Pourtant, son propos vise les occupants, réduits à une petite cinquantaine sur place depuis le début de l’hiver, qui « menacent la démocratie » par le seul fait d’être présents sur la ZAD du Testet.
Blocus 24h sur 24
Jour et nuit, venus de tous les coins des départements voisins, les agriculteurs en colère campent et barrent l’accès à la zone du Testet. Sur les route adjacentes et les sentiers forestiers, d’autres groupes patrouillent, menaçants. Et quand la voie n’est pas barrée par les agriculteurs, elle l’est par les gendarmes. Des forces de l’ordre passives face à ces actions qui « troublent l’ordre public » selon les définitions légales.
Mais pour l’heure, le préfet tente d’empêcher les affrontements directs. Les gendarmes appliquent cette consigne avec une ardeur mesurée, selon leur tempérament personnel. Philippe Jougla, conscient de l’existence de ces tentatives violentes, explique : « Ce blocus c’est aussi un moyen de gestion » de ses propres affiliés. Sans condamner directement les excès de certains, il précise que « l’objectif est de dénoncer l’inaction des pouvoirs publics qui ne mettent pas en œuvre les décisions de justice » en ayant « pour ligne de conduite d’éviter la violence ».
Ce qui n’empêche pas des débordements. Ainsi, en fin de matinée, ce mardi, aux abords de la D999, un groupe très décidé, armé de barres de fer et de bâtons, décide de franchir les bois séparant la route du premier campement zadiste. Un face à face s’engage, un cordon de gardes mobiles bloque les zadistes, un autre retient les pro-barrages, sans les empêcher de se rapprocher. Et forcément, à un moment donné, la tension monte. Des coups sont échangés au milieu des bois. Après des pierres et des insultes, c’est un engin incendiaire qui est jeté par un pro-barrage sur une yourte plantée à côté.
Le temps est humide et les opposants parviennent à éteindre l’incendie naissant sur l’habitation, mais l’acte délictueux est bien là, filmé et avec des témoins. Sauf que les gendarmes, plutôt que de s’en prendre aux assaillants, demandent fermement aux zadistes de reculer car « leur présence fait monter la tension ».
Les délits des pro-barrages restent impunis par la police
Comme si la faute de la montée de violence des pro-barrages revenait aux militants écologistes. A ce jour, aucune arrestation de pro-barrage n’a été jusqu’ici recensée depuis le déclenchement de cette stratégie de la tension permanente, orchestrée par le syndicat agricole majoritaire. Bilan de la journée : « Des coups sur la tête, dans les côtes et coup de poing sur un jeune de 22 ans ainsi qu’un autre blessé par des coups de bâton sur la tête », rapporte Camille (pseudonyme). Ces blessés seront finalement évacués à l’hôpital.
« Ils nous empêchent de travailler et d’accéder à nos terres », expliquent en réponse les pro-barrages. Pourtant, dans une lettre d’apaisement, les occupants de la zone avaient fait part il y a déjà plusieurs semaines de leur accord pour dégager les terres que les riverains souhaitaient cultiver, situées aux alentours de la zone.
Quant à Mme Maurel, habitante de la zone qui, selon les pro-barrages, « ne pouvait pas accéder à son domicile » [information démentie par l’intéressée dans le Canard Enchainé], Camille raconte avoir vu « ce matin les barricades à l’intérieur de la zone être ouvertes pour laisser passer le fils Maurel qui est allé récupérer des meubles de sa mère » et repartir de la zone sans avoir aucunement être menacé.
La solidarité se réveille
Face à ce statu quo où les zadistes sont face à deux groupes peu amènes, gendarmes et pro-barrages, le soutien s’organise. « Des soutiens locaux et autres personnes motivé-e-s sont rassemblé-e-s dans les locaux de la FDSEA à la chambre d’agriculture d’Albi ». Après l’action parisienne devant le siège de la FNSEA, c’est dans les locaux de la Chambre départementale, soutien fervent du projet, que des opposants au projet de la région se sont retrouvés mardi 3 mars après midi.
Selon l’AFP, ils étaient une trentaine à avoir envahi les locaux de la Chambre d’Agriculture. La directrice, Maire-Lise Housseau, raconte : « Il y a eu une grosse bousculade. La police a mis tout le monde dehors à coups de lacrymogène ». Selon Helios (pseudonyme), présent dans cette action et joint par Reporterre, « les choses avaient démarré calmement, avec un affichage de messages comme l’agriculture toxine’ ou ’que vont devenir les paysans’ sur des papiers ».
Le ton monte, des agriculteurs s’invitent dans les discussions lançant des « Je vais t’écraser, t’es pas chez toi ici » à des personnes habitant pourtant sur les communes voisines. Quelques coups sont échangés, conduisant les gendarmes, observateurs jusqu’ici, à faire sortir tout le monde à coup de lacrymogènes. La suite, raconte Helios, c’est « l’arrivée de la Brigade anti criminalité, beaucoup plus énervée, qui nous menaçait ’Vas-y, donne nous une raison de te frapper, viens, viens’. Le directeur de cabinet du Préfet est enfin arrivé sur place pour clore l’accrochage, disant ’on ne peut pas être partout à la fois’ ».
Dans la foulée, à Toulouse, on s’organise à la hâte pour réagir au blocage continu de la zone. Issu de l’association Les amis des bouilles, un petit groupe décide d’organiser une marche « sur le modèle de celle de Nice à Notre-Dame-des-Landes ». La « Marche de la solidarité avec les zadistes assiégés » a pris le départ ce mercredi matin à 8 heures de la mairie de Toulouse.
Camille est optimiste : « Il ne faut pas se décourager. A Nice, ils ont commencé à quatre seulement après avoir décidé ça la veille pour le lendemain ». Arrivée prévue cet après-midi à Saint Sulpice La Pointe et Rabastens avant de converger vers la ZAD jeudi et à Albi vendredi.
Ce mercredi également, un rassemblement est prévu à Gaillac, pour organiser un soutien alimentaire « et même humanitaire » pour ravitailler la zone où « ils n’ont plus que des lentilles ». Presque une blague, et pourtant... Si l’action de porter des légumes et des médicaments est symbolique, c’est un problème réel de pénurie alimentaire que pourrait connaître la ZAD du Testet.
La stratégie de siège est assumée par le syndicat agricole. « Notre objectif c’est bien qu’ils partent de la zone et qu’ils ne reviennent plus », y dit-on. il n’est pas sûr que la stratégie de blocus généralisée par les agriculteurs et riverains n’engendre pas l’effet inverse et re-propulse la lutte de Sivens au cœur des attentions des mouvements militants de toute la région. En tout cas, elle n’empêche pas les premiers bourgeons de fleurir sur les lieux même du chantier.
Dernières manœuvres avant le vote du Conseil Général
Plus l’échéance du vote du Conseil général de ce vendredi se rapproche et plus la situation se précise. Dans une lettre datée du 27 février, Ségolène Royal, ministre de l’Ecologie, a annoncé que l’Etat s’engagera à indemniser le porteur du projet pour les coûts liés à l’arrêt du projet initial. « Je me suis engagée à ce que l’Etat vous accompagne pour solder financièrement les opérations déjà mises en œuvre au titre du projet initial et qui ne pourront pas être redéployées pour réaliser le nouveau projet », explique-t-elle.
La contrepartie : "L’abandon définitif et irrévocable des travaux et de tout recours indemnitaire contre l’Etat, en cas de l’annulation de [l’autorisation]. » Cette affirmation est directement liée à la menace d’une sanction européenne pour non respect de la loi sur l’eau ainsi qu’aux recours juridiques toujours pendants sur l’arrêté initial d’autorisation des travaux à Sivens.
De leur côté, les écologistes ont une nouvelle fois appelé « au calme » et réitèrent « leur opposition à tout projet destructeur de la zone naturelle du Testet ».
Grégoire Souchay pour Reporterre, mercredi 4 mars 2015
* http://www.reporterre.net/Autour-de-Sivens-la-solidarite-s
Une nuit sur la Zad du Testet
Alors qu’opposants et pro-barrages attendent la décision du Conseil général du Tarn quant à l’avenir du barrage de Sivens, la tension monte sur la zone humide du Testet. Les pro-barrages bloquent la Zad. Il y a quelques jours, Reporterre a passé une nuit avec les zadistes qui veillent face aux provocations.
Zad du Testet, Lisle-sur-Tarn (Tarn), reportage
1 h 30 du matin, la température extérieure tombe à -7 degrés. Une poudre glacée recouvre la vallée du Tescou. Il fait à peine plus chaud dans la guérite du checkpoint « Barikade », une cabane construite en bois, isolée par des couvertures et des bâches en plastique. Cette nuit de février, ils sont cinq zadistes dont une femme, âgés de 19 à 23 ans. Groupés autour d’un petit poêle centenaire, ils sirotent du thé à la menthe. Ils scrutent les environs avec leurs lampes frontales, guettant la moindre anomalie, les oreilles rivées au talkies-Walkies.
Bienvenue au principal point d’entrée de la ZAD du Testet. Tous les autres sont condamnées par des barricades et des ravins. Situé sur la départementale D999, on y pénètre après le passage de cinq chicanes et en attendant l’ouverture d’une lourde porte en métal.
Vingt-quatre heure sur vingt-quatre, des groupes se relaient à ce poste stratégique : c’est ici que se situe le dernier accès encore praticable par des véhicules. Militants, ravitaillements ou policiers et « pro-barrage »... tous passent par ici. « On observe qui entre sur la zone, car on est jamais à l’abri des infiltrés », expliquent les veilleurs, qui souhaitent garder l’anonymat. « On repère tout de suite les gens à leur attitude, on se rend vite compte s’ils connaissent les lieux et les usages. » En cas de problème, les veilleurs lancent une alerte par talkies-walkies. La nuit, toutes les heures, un « check radio » permet de vérifier que les autres postes de surveillance reçoivent bien les communications... et qu’ils ne dorment pas. Les noms de code sont d’usage, comme « Espion », « Stardust » ou « Kebab ».
« Des locaux nous soutiennent en apportant matériel et nourriture »
« Ici on est la première ligne. S’il y a une attitude agressive sur la barricade, même si on lance une alerte aux talkies et que les renforts arrivent vite, les premiers sur la zone, ce sont nous. » Boucliers, barrières, cailloux, bâtons. Les zadistes préfèrent garder quelques armes de fortune, au cas où. Pour la surveillance, ils élèvent aussi des chiens. « Certains sont particulièrement attentifs et arrivent à repérer des mouvements et des bruits à plusieurs centaines de mètres la nuit. Mais la plupart du temps, ils pensent surtout à manger. »
Les veilleurs nocturnes restent souvent au check point plus de dix heures. La cabane dispose donc d’une cuisine, et un lieu pour dormir est en construction. « C’est aussi un lieu de vie », précisent les zadistes. Le poêle permet de maintenir un peu de chaleur, mais rien à faire contre l’humidité. « On a beau mettre des sacs en plastique dans nos chaussures ou fabriquer des sur-chaussures en couverture, la flotte est partout », soupirent-ils.
Quand des visiteurs surgissent sur le chemin, ils se retrouvent nez-à-nez avec les veilleurs munis de masques et de boucliers. « Ceux qui viennent pour la première fois sont parfois perturbés, mais il y a surtout des locaux, qui nous soutiennent en nous apportant du matériel et de la nourriture. Il y a un même un groupe qui vient de Montpellier tous les jeudi avec du tabac, du vin et des bougies ! »
Des provocations fréquentes
Soudain on entend une, puis deux explosions, comme des coups de feu, provenant de l’autre bout de la vallée. Les talkies-walkies ne tardent pas à crépiter de tous les indicatifs. « Vous avez entendu ça ? Ça vient d’où ? » La réponse ne se fait pas attendre et arrive du poste avancé sur la D999 : « La barricade du pont est en feu ». Tout le monde pense immédiatement à une action nocturne des pro-barrages. « On a besoin de soutien sur la barricade du pont, la situation n’est pas claire et on voit des mouvements de lampes frontales dans les bois ».
Immédiatement une partie de l’équipe du checkpoint Barikade saute dans une vielle 106 déglinguée, fonçant toutes lumières éteintes à travers la ZAD. En chemin, ils se masquent et éteignent leurs lampes frontales. Une fois sur place, la barricade a été éteinte à grand renfort de neige et d’eau du Tescou. Ça sent l’huile et l’essence à des centaines de mètres. Les zadistes découvrent des bonbonnes de peinture, hautement explosives, dans le brasier. Certains se lancent à la poursuite des « assaillants ». On entend des cris, « Sortez de mon champ ! », et des imitations de hurlements de loups.
Si les actions de pro-barrages sont très fréquentes, les policiers semblent plus discrets. « Ils viennent jeter un coup d’œil, mais ils s’arrêtent à la première chicane. Et en général si on s’avance avec les boucliers et les masques, ils s’en vont. » Mais depuis quelques jours, la situation se tend à nouveau.
Gaspard Glanz (Reporterre), mardi 3 mars 2015
* http://www.reporterre.net/Une-nuit-sur-la-Zad-du-Testet
A Sivens, les pro-barrages font monter la tension
Les FDSEA de Midi Pyrénées ont lancé samedi une opération de blocage de la Zad de Sivens. La tension s’est accrue pendant le week-end. Reporterre publie la carte des blocages.
La tension est montée d’un cran, ce week-end, sur le site du barrage de Sivens.
Selon le collectif Tant qu’il y aura des bouilles, une attaque violente de pro-barrages s’est produite à l’entrée de la ZAD samedi 28 février. « Des affaires persos (outils, papiers d’identité,etc…) [ont été] brulées et un copain tabassé, les quelques gendarmes présents au moment des faits s’étant fait déborder. Grosse présence policière (fourgons de GMs) alentours depuis. »
Selon l’AFP, les gendarmes sont intervenus samedi pour bloquer les deux principaux accès au site. « Il y avait trop de monde pour qu’on assure la sécurité, on a reçu l’ordre de ne laisser entrer personne », a indiqué l’un des gendarmes.
« Les forces de l’ordre nous ont empêchés de poursuivre jusqu’à la Zad comme certains parmi nous le voulaient, et ils ont eu raison dans ce contexte tendu », indique à La Dépêche Bernard Boulze, conseiller régional (UDI) de Midi-Pyrénées.
La montée de tension est une stratégie délibérée des pro-barrages, à quelques jours de la discussion du Conseil général du Tarn, vendredi 6 mars, sur les projets de retenue de Sivens. Dans un communiqué publié le 26 février, la FDSEA (Fédération départementale des syndicats agricoles) du Tarn avertissait : « Afin de s’assurer que l’Etat prenne bien ses responsabilités et fasse effectivement évacuer le site, la FDSEA, les JA [Jeunes agriculteurs] du Tarn, la FRSEA [Fédération régionale] et les JA de Midi-Pyrénées ont engagé avec les huit FDSEA et JA de Midi-Pyrénées un blocage de la Zad pendant toute la semaine du 2 au 6 mars. Chaque département bloquera le site sur une journée, ce lundi 2 mars ce sera le tour de l’Aveyron, le Tarn se chargeant de maintenir le blocage pendant les nuits »…
« La comédie n’a que trop duré. Il faut passer d’une phase où les « anti-tout » peuvent tout bloquer, à une phase de développement responsable, où les projets économiques structurants pour nos territoires peuvent être engagés et réalisés », ajoute le communiqué.
En fait, les troupes de la FDSEA ont établi un véritable blocus autour de la Zad, dont voici la carte, établie par Gaspard Glanz, de Taranis News :
[non reproduite ici]
Dans un communiqué de presse, la coordination des opposants au projet, s’inquiète de la violence de pro-barrages : « Dans la vallée de Sivens, les pro-barrages sont toujours plus violents. Après avoir bloqué et interdit l’accès plusieurs week-ends de suite, ils se mobilisent nuit et jour jusqu’au 5 mars, quitte à affamer les occupants du site. Ils font pression sur les élus du Conseil général qui se réunissent le 6 mars, espérant que ces derniers opteront pour un barrage pourtant majoritairement contesté. Ils ont donné un premier assaut samedi matin qui s’est soldé par de la violence… »
Une barricade construite et détruite trois fois
Le point de tension est une barricade installée par les zadistes au carrefour de la D999. Elle a donc été détruite et reconstruite trois fois avant d’être définitivement démantelée dimanche matin.
Les agriculteurs ont obtenu samedi « l’autorisation de redétruire la barricade », selon la gendarmerie. Les zadistes l’ont ensuite reconstruite dans la nuit mais dimanche matin elle a de nouveau été démantelée par les agriculteurs.
Camille Martin pour Reporterre, lundi 2 mars 2015
* http://www.reporterre.net/A-Sivens-les-pro-barrages-font
Sivens : les milices pro-barrage agissent dans l’impunité alors que l’expulsion de la Zad se dessine
Le 11 février au plus tôt, le tribunal d’Albi rendra sa décision sur l’ordonnance d’expulsion de la Zad de Sivens. Sur le terrain, les milices pro-barrages entretiennent un climat de violence, sous l’oeil indifférent de la gendarmerie. Mais le préfet cherche l’apaisement, et devrait rencontrer les occupants jeudi 4.
Actualisation mercredi 4 février :
Mardi, le tribunal de grande instance d’Albi a à son tour demandé le report de l’audience sur demande des occupants. Celle-ci a été fixée à vendredi 10 heures 30. Sauf surprise, aucune intervention policière ne semble attendue sur le site durant cette semaine. Par ailleurs, la semaine dernière, le Préfet du Tarn a envoyé pour la première fois une lettre aux occupants, proposant de les rencontrer « dans un lieu neutre ». La réunion devrait avoir lieu ce jeudi dans la journée. Dans un communiqué les occupants, tout en maintenant une grande vigilance sur l’avenir du projet, précisent : « Dans le contexte du 1er février, avec le laisser-faire et le laxisme dont ont fait preuve les gendarmes face aux exactions des extrémistes sur la population opposée au barrage (sorte de »Mexicanisation« comme on a pu l’entendre des victimes), avec la procédure d’expulsion enclenchée, on apprécie les gages d’apaisement et le ton conciliant du »chef de cabinet« du Préfet. »
Toulouse, correspondance
« Ce qui se passe est hallucinant » ! Les opposants au barrage de Sivens ne reviennent toujours pas de ce qui s’est déroulé ce dimanche 1er février. Durant toute la journée étaient prévues des activités naturalistes et conviviales sur la zone du Testet, à l’occasion de la Journée mondiale des Zones Humides. Le Collectif Testet et l’association naturaliste APIFERA organisaient l’évènement. Sauf que, dès le matin, des groupes d’agriculteurs et de riverains étaient présents et barraient tous les accès à la zone.
« On sentait une pression qui montait depuis plusieurs semaines mais on ne s’attendait pas à ça », raconte Paul, présent sur place : « Ils ont bloqué les routes, et patrouillaient en quad sur tous les chemins donnant accès à la zone ». Ils, ce sont les pro-barrages, ou plus clairement « anti-zadistes ». Rassemblant agriculteurs favorables au projet, riverains et militants locaux d’extrême droite, ils se rassemblent en demandant le départ de la zone des « peluts », patois de « pelés », désignation péjorative et injurieuse à l’intention de celles et ceux qui ne « sont pas du pays » - les zadistes et leurs soutiens.
Ces riverains ne parviennent pas à concevoir que des habitants « du cru » soient contre le projet de barrage. Durant toute la journée, les accès à la ZAD ont été bloqués, pour une part par ces groupes et d’autre part par les gendarmes. Ces derniers semblaient d’ailleurs s’accommoder de ces opérations pourtant illégales, discutant avec les bloqueurs de manière cordiale sans leur intimer l’ordre de partir.
Des milices violentes et menaçantes
Pourtant, les motifs d’interpellation ne manquent pas. Dès le matin, un opposant a découvert sa voiture, garée à proximité de la zone, les quatre pneus crevés. Plus tard dans la journée, alors qu’une réunion de crise s’organisait chez un particulier à Gaillac, une petite dizaine d’anti-zadistes ont débarqué et tenté de forcer l’entrée, armés d’armes de fortune, barre de fer, pioche, masse… Plus loin, d’autres opposants ont découvert le pare-brise de leur camionnette défoncé à coup de masse.
L’organisation de ce groupe ne laisse aucun doute si l’on en juge par l’habillage commun, treillis militaire ou un sweat-shirt portant l’inscription : « Club anti PLP, soutien aux gendarmes de Sivens ».
Même un élu, agriculteur, producteur de céréales et irrigant, a fait les frais de ces milices. Patrick Rossignol, maire de la commune de Saint-Amancet, a fait partie de ces élus locaux qui ont mis en garde sur de possibles dérives violentes début septembre lors du déploiement massif des forces de l’ordre pour protéger le chantier.
Ce dimanche, il venait sur place pour s’informer sur la zone humide et « apporter quelques vivres aux occupants ». Comme les autres, et malgré sa qualité d’élu, on lui a barré le passage. Il s’est retrouvé ensuite à Gaillac avec les opposants et a assisté à l’arrivée de ce groupe « habillé de treillis militaire et avec des barres de fer et des manches de pioche ». Tentant de rejoindre son véhicule après la réunion, il découvre avec stupeur « le pare-brise et les vitres latérales totalement explosés. On voyait même clairement les marques des barres de fer ». La raison ? « Il semblerait qu’ils aient pris en photo mon véhicule quand j’ai tenté de me rendre sur la zone. »
Une inaction coupable de la gendarmerie locale
Alors que Patrick Rossignol se rend à la gendarmerie de Gaillac pour porter plainte, comme d’autres, le même groupe, toujours aussi équipé, revient et tente de nouveau d‘agresser physiquement les opposants au barrage attendant leurs camarades à l’intérieur de la gendarmerie. Les personnes sur place témoignent « du calme conservé tout le long par les opposants au barrage pour justement éviter que la situation dégénère ». Un journaliste pour un média indépendant s’est alors fait arracher son appareil photo, piétiné et détruit. Une journaliste toulousaine a eu plus de chance et est parvenue à sauver son micro qu’un gros bras tentait de lui arracher des mains.
Tous ces événements se déroulaient devant le commissariat lui-même. Lorsqu’une des personnes a alerté les gendarmes, ceux-ci ont répondu : « Mais non, ils n’ont rien dans les mains ».
Devant la montée de l’hostilité manifestée par le groupe de miliciens, les gendarmes ont fini par sortir, pour séparer les groupes, récupérer une des barres de fer lancée contre la grille du bâtiment… et laisser partir les miliciens pro-barrage comme si de rien n’était. « Comment est-il possible d’avoir des groupes armés et équipés ainsi qui patrouillent dans les rues de Gaillac sans que la police n’intervienne ? » interroge un opposant.
Ce comportement de la gendarmerie a fait réagir des citoyens participants à la coordination et opposants au barrage de Sivens, le Parti de Gauche Tarn et le NPA 81 dans un communiqué : « Pro-barrages et gendarmes, même combat ? ».
Sur ce comportement récurrent des milices et de la gendarmerie, les syndicats d’agriculteurs pro-barrage ne disent mot, ou plutôt avertissent comme toujours que si le projet ne se fait pas et la ZAD n’est pas évacuée, ils ne seront pas en mesure de retenir des velléités violentes de certains agriculteurs et déplorent que l’Etat n’intervienne pas plus rapidement. S’ils n’appuient pas ouvertement ces comportements, ils ne les remettent en cause à aucun moment et nous avons pu observer une certaine bienveillance de la part des responsables agricoles sur de telles actions d’intimidation en décembre dernier.
Ce lundi soir, la Fédération régionale des Syndicats d’Exploitants Agricoles de Midi-Pyrénées annonçait par communiqué un nouveau pas dans leur mobilisation en faveur du projet : « Tant que l’Etat ne sera pas capable de faire respecter sa volonté et le droit à Sivens, il ne sera pas accepté un quelconque contrôle par les agents de l’Etat en Midi-Pyrénées ».
Expulsion de la ZAD attendue dans les prochaines semaines
Parallèlement, la sortie de crise n’est toujours pas claire en ce qui concerne le projet en lui-même. Les occupants de la zone maintiennent toujours leur revendication d’un abandon total du projet. La semaine dernière, un huissier est venu sur la zone du Testet constater l’occupation et notifier les occupants de l’illégalité de leur présence.
Lundi 2 février après-midi, une première audience avait lieu concernant l’expulsion de la ferme de la Métairie Neuve. Me Dujardin, avocate des occupants, nous indiquait que « l’audience a été renvoyée au 11 février, afin que tout le monde puisse disposer d’un avocat et constituer sa défense ». Selon elle, « sans qu’on ne soit sûr de rien, il semble que la justice ne soit pas aussi expéditive qu’elle l’a été à l’automne dernier où elle refusait systématiquement les renvois de jugement ».
Ce mardi 3 février, une nouvelle audience se déroule à Albi concernant les autres parcelles occupées sur la zone, notamment à proximité du lieu de la mort de Rémi Fraisse. Si beaucoup craignent une expulsion rapide dès le rendu du jugement à la mi-février, la ministre de l’Ecologie, Ségolène Royal, ainsi que le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve ont déclaré que celle-ci interviendrait dès le vote le 6 mars prochain de la décision du Conseil Général concernant l’avenir du barrage de Sivens.
Les conseillers généraux devront alors trancher entre les deux scénarios, élaborés par les experts dans la précipitation entre le mois de décembre et de janvier, et qui nécessiteront dans tous les cas des études supplémentaires et probablement une nouvelle enquête publique. Hasard du calendrier : cette décision interviendra une semaine avant les élections départementales. Dans ce département du Tarn, l’enjeu de Sivens sera certainement central pour en déterminer l’issue.
Camille Martin pour Reporterre, mardi 3 février 2015
* http://www.reporterre.net/Sivens-les-milices-pro-barrage