Présentation
Face à la crise systémique très grave du capitalisme, une alternative marxiste-révolutionnaire est objectivement urgente. Mais nous sommes dans une nouvelle période historique de conscience et d’organisation où la référence à la révolution russe et la lutte contre sa dégénérescence stalinienne ne sont plus des facteurs déterminants. Partout se pose la question de la construction de nouveaux partis, de nouvelles expressions politiques des luttes et des aspirations de la majorité sociale.
Les courants politiques issus de la période précédente n’ont pas disparu pour autant. Certains s’investissent dans les nouvelles expressions politiques, les nouveaux partis, tels que Syriza en Grèce. D’autres cherchent le chemin de leur propre adéquation aux caractéristiques de la période. De nouvelles collaborations apparaissent, l’espoir du changement renaît. Mais les grandes questions stratégiques demeurent. En particulier, un point commun décisif entre hier et aujourd’hui reste plus que jamais l’impossibilité de satisfaire les besoins des exploité.e.s et des opprimé.e.s sans remettre en cause le système capitaliste et ses lois.
Cette remise en cause – rendue encore plus impérieuse et urgente par la crise écologique – ne peut venir d’élus dans les parlements. Elle nécessite une stratégie extra-parlementaire basée sur la mobilisation et l’auto-organisation de la classe ouvrière, de la jeunesse et des femmes. Et cette mobilisation à son tour nécessite un programme qui lie les revendications immédiates à des réformes de structure amenant en pratique à la conclusion qu’il faut abolir le capitalisme et démanteler les institutions étatiques qui en assurent la protection (armée, corps répressifs, magistrature, corps des hauts fonctionnaires, etc.).
Au fil du temps, les Partis communistes ont abandonné cette perspective, alors qu’elle était à la base de leur création. Notre site publie une série de quatre articles qui revient sur l’origine et les caractéristiques de leur évolution vers la social-démocratie et en examine les répercussions actuelles, notamment dans le cas de Syriza. Cette contribution traite non seulement des partis issus directement de l’Internationale Communiste mais aussi des organisations issues du courant « marxiste-léniniste » auquel appartenait le PTB, dont l’évolution dans un certain nombre de pays est analogue à celle des PC.
LCR-web
I – 1934, le grand tournant
Au fil du temps, tous les partis communistes ouest-européens ont abandonné de plus en plus clairement la stratégie internationaliste de lutte révolutionnaire pour le socialisme au profit d’une stratégie nationale, gradualiste et parlementaire, analogue à celle de la social-démocratie. L’évolution a été lente, elle n’a pas été linéaire – elle a même connu des reculs temporaires dans certains pays – et elle n’a pas encore été poussée partout jusqu’à la conséquence ultime, qui est l’intégration pure et simple au jeu parlementaire bourgeois. Mais elle a été générale.
Le PCI, le KKE et les autres
Toute une série de cas de figure se présentent aujourd’hui. Le stade de l’intégration pure et simple a été atteint par le plus grand parti communiste d’Europe occidentale, le PCI : au terme d’un long processus, et après une phase « eurocommuniste » (sur laquelle on reviendra plus loin), il a décidé en 1991 de se saborder pour fonder le Parti Démocratique de la Gauche (PDS).
A l’autre extrémité du spectre, le PC grec, effrayé par l’exemple italien, déstabilisé par le bilan de sa participation gouvernementale de 1989 (avec la Nouvelle Démocratie et sans le PASOK !), s’est séparé en 1991 de son aile « eurocommuniste » (Synaspismos) pour protéger son identité par une politique ultra-sectaire. Cette stratégie du bunker lui a permis de survivre jusqu’aujourd’hui mais elle n’offre aucune alternative d’ensemble au monde du travail (comme le montre le fait que le KKE a refusé récemment de soutenir un gouvernement dirigé par Syriza, et même de discuter de ce soutien).
Entre ces deux extrêmes – PCI et KKE – il y a en Europe occidentale autant de variantes que de PC nationaux. Mais toutes ont en commun ceci : la position institutionnelle et la stratégie électorale en tant que parti national priment en dernière instance sur les intérêts de classe de la masse des travailleurs et travailleuses. Comment en est-on arrivé là ?
Front populaire, mythe et réalité
Cette évolution trouve son origine dans le tournant vers le « Front populaire » décidé en 1934 lors du septième – et dernier- congrès de l’Internationale Communiste. Les militants des PC qui refusent l’enlisement social-démocrate de leur parti contestent généralement que celui-ci remonte si loin dans le passé. Le Front populaire, pour eux, c’était plutôt l’âge d’or où leur courant politique influençait largement le mouvement ouvrier dans son ensemble et s’appuyait sur les luttes pour forcer la social-démocratie à sortir de sa politique de collaboration de classe. Pour ces camarades, le Front populaire est ce qui a permis de gagner les congés payés, les conventions collectives et la semaine de 40 heures.
Il faut dire que cette image est très répandue, bien au-delà des rangs communistes. Elle est notamment diffusée par les grands médias, ce qui conforte les militants des PC dans la conviction que la social-démocratisation de leur famille politique peut avoir toutes sortes de cause, mais sûrement pas celle-là. Seulement voilà : cette image ne correspond pas à la réalité historique !
1933, défaite sans combat
En quoi consistait le tournant du 7e congrès ? Pour répondre, il convient de rappeler le contexte de l’époque. Les nazis venaient d’arriver au pouvoir en Allemagne. Des milliers de communistes, de socialistes, de syndicalistes étaient massacrés. Le mouvement ouvrier le plus puissant d’Europe -et du monde- était écrasé, pulvérisé sans avoir livré bataille.
La responsabilité du PC allemand (KPD) dans la défaite était immense. En effet, pendant les huit années qui avaient précédé la victoire d’Hitler, il avait refusé d’appeler au front unique ouvrier contre la menace national-socialiste et mené une politique de division absurde, en martelant que la social-démocratie était « social-fasciste », que c’était « l’arme principale de la bourgeoisie » contre la classe ouvrière, et que la gauche social-démocrate était « l’ennemi principal » du Parti communiste. Le KPD avait été jusqu’à l’alliance de fait avec les nazis contre la social-démocratie : en septembre 1931, il appuyait le « référendum brun » que le parti de Hitler organisait en Prusse pour renverser la majorité social-démocrate au niveau de ce Land !
Ne tirant aucune leçon de l’Italie mussolinienne, les dirigeants du KPD avaient répété stupidement, pendant des années, que la victoire des nazis serait de courte durée et que leur gouvernement s’effondrerait rapidement, ouvrant aux communistes la voie du pouvoir… On sait, hélas, ce qu’il en est advenu : les nazis sont passés sur le mouvement ouvrier allemand comme un tank.
Front unique ou front populaire ?
Après le désastre de janvier 1933, le désarroi était à son comble. Non seulement dans ce qui restait de la direction du KPD, réfugiée à l’étranger, mais aussi et surtout dans les hautes sphères, à Moscou. En effet, cette politique ultragauche insensée (dite « de l’offensive », ou « de la troisième période »), avait été dictée par les responsables de l’Internationale Communiste (IC) et, à travers eux, par Staline en personne.
Une fois Hitler au pouvoir, Staline a pris peur, car le danger d’une guerre contre l’URSS augmentait manifestement. Que faire ? La réponse à cette question aurait dû être d’appeler partout, et de toute urgence, à l’unité de combat des socialistes et des communistes contre la peste brune. Cette politique de « front unique ouvrier » avait été élaborée lors des 3e et 4e congrès de l’IC, et mise en pratique avec un certain succès par le parti allemand en 1922 et 1923. C’était la stratégie par excellence pour organiser efficacement la défensive, rendre ainsi confiance aux travailleurs, et créer les conditions d’une contre-offensive ultérieure.
Mais Staline a fait un autre choix : au front unique ouvrier, il a préféré l’alliance avec les partis bourgeois « démocratiques », opposés au fascisme. C’était ça, le « front populaire », et il a été adopté comme orientation sans aucun bilan de la ligne suivie précédemment…
Une logique terrible
Ce choix avait une logique terrible : il ne s’agissait plus d’aider les partis communistes des différents pays à développer dans les luttes une orientation internationaliste visant à étendre la révolution hors d’URSS, seul moyen d’empêcher la guerre ; il s’agissait au contraire de subordonner la lutte des classes à la diplomatie du Kremlin en direction des bourgeoisies « démocratiques » de ces pays, dans l’espoir que celles-ci renonceraient à la guerre contre l’URSS.
Du coup, les PC abandonnaient la perspective de la conquête du pouvoir par une épreuve de force extra-parlementaire basée sur la mobilisation des travailleurs pour leurs revendications. Ils la remplaçaient par la perspective d’une participation gouvernementale avec des partis bourgeois sur base d’un programme de réformes acceptable par ceux-ci, la mobilisation des travailleurs servant seulement de force d’appoint, à maintenir dans certaines limites.
D’autre part, pour les partis bourgeois « démocratiques », ce Front populaire présentait l’intérêt de canaliser la mobilisation des travailleurs et de brider leurs revendications. Un avantage non négligeable au cours des années 34 à 38, où la menace fasciste et la dureté des retombées de la crise capitaliste de 1928 favorisaient une remontée des luttes dans plusieurs pays européens.
II – Le Front populaire en pratique : France et Espagne
Le cas français
Canaliser la mobilisation et brider les revendications : telle a été très clairement la fonction du Front populaire en France. Ce pays a servi de banc d’essai pour la nouvelle orientation. Dès octobre 1934, le PC adressait sa proposition de front aux socialistes de la SFIO et au Parti radical. Celui-ci était à l’époque le principal parti de la classe dominante (il participait au gouvernement bourgeois dirigé par Doumergue).
D’abord incrédules, les dirigeants radicaux ont compris très vite le profit qu’ils pouvaient tirer du front avec le PCF dans un contexte politique très instable, où une gauche anticapitaliste se développait dans la social-démocratie.
En effet, inversant brutalement les rôles au sein du mouvement ouvrier, la direction du PCF a écarté du programme qui était proposé par la SFIO les revendications susceptibles de gêner son partenaire de la droite « démocratique » : la diminution des heures de travail sans perte de salaire, les nationalisations, la mise sous séquestre des entreprises en faillite, notamment. Il fallait donner des gages à la droite…
Le parti radical obtenait de surcroît 1°) que le modeste programme du Front populaire ne soit pas un programme de gouvernement et 2°) que toute initiative passât par le comité national du rassemblement. Les radicaux disposaient ainsi d’un droit de véto d’autant plus commode qu’ils continuaient entre-temps à participer au pouvoir.
Des élections devaient avoir lieu en mai 1936. Une vague de grèves « sauvages » a éclaté quelques mois auparavant, que les directions syndicales ont endiguée avec peine. Un gouvernement du Front populaire s’est constitué, avec les socialistes comme force principale. Il était dirigé par Léon Blum, avec le radical Daladier comme numéro deux (mais numéro un de fait). Le PCF a choisi de ne pas y participer – pour ne pas effrayer les classes moyennes – mais il l’appuyait à fond de l’extérieur.
Juin 36, l’explosion ouvrière
Face aux grèves, communistes et socialistes prêchaient le calme et la modération. Mais la classe ouvrière est restée sourde à ces appels. Une puissante dynamique de luttes s’est enclenchée spontanément. Elle était encouragée par le fait que la masse des travailleurs et des travailleuses percevaient – à tort, on va s’en rendre compte !- le Front populaire comme une alternative politique d’ensemble, au service de leur classe. Le 28 mai, les 38.000 ouvriers de Renault ont débrayé. La contagion a été immédiate. Tout le pays a été secoué par de grandes grèves avec occupation des entreprises. Il régnait une ambiance de bal musette dans les usines, mais le spectre de la révolution hantait le pays.
La gauche de la SFIO, animée par Marceau Pivert, soutenait le mouvement et prônait « une vraie prise du pouvoir » par la classe ouvrière. Blum n’en a pas voulu pas : « Non seulement le Parti socialiste n’a pas la majorité, mais les partis prolétariens ne l’ont pas davantage, dit-il. (…) Il y a la majorité du Front populaire dont le programme du Front populaire est le lieu géométrique. Notre mandat, notre devoir, c’est d’accomplir et d’exécuter ce programme. Il s’ensuit que nous agirons à l’intérieur du régime actuel ».
« Eviter tout désordre »
Il aurait été naïf d’attendre autre chose de la part d’un leader social-démocrate tel que Blum… Mais le secrétaire du PCF, Jacques Duclos, l’a appuyé : « Nous obéissons à une double préoccupation : d’abord éviter tout désordre, ensuite obtenir que des pourparlers s’engagent le plus vite possible, en vue d’un règlement rapide du conflit ».
Des pourparlers se sont engagés, en effet, qui ont débouché le 8 juin sur les accords de Matignon. Une victoire historique pour le mouvement ouvrier. Mais, surprise : au lieu de les apaiser, cette victoire a encouragé les grévistes ! Le 11 juin, constatant l’extension du mouvement, le PCF jetait donc tout son poids dans la balance : « Il faut savoir terminer une grève. Il faut même savoir consentir au compromis si toutes les revendications n’ont pas encore été acceptées. Tout n’est pas possible maintenant » déclarait Maurice Thorez, le secrétaire général.
Le 13, le Comité Central entérinait cette ligne, répétait son plaidoyer pour l’alliance avec la classe moyenne, et concluait : « Le mot d’ordre capital du parti reste : ‘Tout pour le Front populaire ! Tout par le Front populaire !’ » (Un peu comme si Lénine, face à la menace allemande, en avril 1917, avait dit : « Tout pour Kerenski, tout par Kerenski ! ») Les grèves ont reflué. Quelques mois plus tard, on a découvert le complot que les fascistes de la Cagoule fomentaient avec de hauts gradés de l’armée française. Le gouvernement de Front populaire a offert l’impunité totale aux militaires…
Le cas espagnol
La vague de lutte était à peine terminée en France que les yeux se tournaient vers l’Espagne. Dans ce pays, ce qui allait devenir le Front populaire était né en 1934, après la défaite de l’insurrection des Asturies. L’initiative émanait des Républicains bourgeois et du leader socialiste Prieto, qui cherchaient une troisième voie entre la réaction et la révolution. Un pacte électoral a ensuite été conclu entre les deux parties, sur base d’un texte très modéré. Rédigé par les Républicains, il leur faisait la part belle. Les communistes ont ensuite pris le train en marche.
Le pays était sous haute tension. Les questions centrales étaient : la libération des quelque 30.000 prisonniers politiques, la réintégration des travailleurs licenciés en 34 et la réforme agraire. Quand les élections de février 1936 ont donné la victoire à la gauche, la coupe a débordé. Sans attendre le vote d’une loi d’amnistie, la population a donné l’assaut à des prisons, des usines ont été occupées, voire remises en route en autogestion, des paysans sans terre ont occupé de grands domaines…
Comme en France, la polarisation s’exprimait aussi au sein du PSOE : la gauche dirigée par Largo Caballero appelait la classe ouvrière à prendre le pouvoir par l’action directe. Son influence au sein du parti était telle que les socialistes ont dû s’abstenir de participer au gouvernement. Les Républicains ont donc gouverné seuls, appuyés de l’extérieur par les socialistes et les communistes.
La révolution triomphe du coup d’Etat
Cependant, à l’autre extrémité du spectre politique, Franco et les autres généraux fascistes préparaient un coup d’Etat militaire. Le gouvernement l’a su, mais a affirmé qu’il contrôlait la situation. Aucune mesure n’a été prise contre les conspirateurs.
La tentative de coup d’Etat a eu lieu le 17 juillet. Elle a échoué dans la plupart des grandes villes grâce à l’auto-activité de la classe ouvrière. Avec un sens politique et un courage remarquables, celle-ci a encerclé les casernes, s’est procuré des armes et s’est organisée en comités autogérés. Face à la vacance du pouvoir, ceux-ci se sont mis à assumer toutes les tâches de gestion de la société.
Les fascistes n’ont réussi leur coup que dans les villes où le Front populaire avait gardé le contrôle des masses. Dans ce cas, celles-ci l’ont payé au prix fort (20.000 victimes à Séville, par exemple).
Fin juillet, il n’y avait plus que deux camps qui se faisaient face : la révolution et la contre-révolution. Entre les deux, les autorités officielles de la République se réduisaient au gouvernement de Madrid et à quelques instances régionales qui subsistaient mais n’exerçaient plus aucun pouvoir réel. La guerre civile a alors commencé.
La révolution étranglée
Pour la gagner, il aurait fallu étendre la révolution, armer la population. Des centaines de milliers de manifestants ont défilé pour appuyer cette demande, notamment à Madrid. Le Front populaire a refusé. Il aurait fallu aussi proclamer l’indépendance du Maroc espagnol, car c’était la base arrière des putschistes. Le Front populaire a refusé également.
Ces décisions contre-révolutionnaires – et bien d’autres- ont été soutenues activement par le PC : pas question pour Staline de soutenir une insurrection, pas question non plus de mettre le feu aux empires coloniaux. Cela aurait été contraire à sa politique, dont l’objectif était d’amadouer Paris et Londres.
En France, en juin 36, Staline a utilisé le Front populaire pour empêcher la possibilité d’une révolution contre les institutions de la classe dominante. En Espagne, entre juillet 36 et avril 39, il a été beaucoup plus loin : persuadé qu’une victoire de la révolution amènerait tous les impérialistes à s’unir contre l’URSS, il a commandité l’étranglement de la révolution – qui seule aurait permis de gagner la guerre – afin de reconstruire les institutions de la classe dominante et de rassoir leur autorité.
Pour parvenir à ses fins, Staline a tiré prétexte de la nécessité de professionnaliser la lutte militaire. De fait, les milices ouvrières manquaient d’armes, d’instructeurs et, souvent, de discipline. Après quelques mois sans réaction, l’URSS a répondu par une aide conditionnée strictement au respect de l’autorité du gouvernement et de l’état-major, qui craignaient la révolution autant que les fascistes –sinon davantage. Ceux et celles – anarchistes, communistes de gauche du POUM, socialistes de gauche – qui ont refusé de s’inscrire dans ce cadre ont été éliminés, y compris physiquement, par les agents de Moscou.
C’est ainsi que Franco a fini par l’emporter : avec le soutien d’Hitler et de Mussolini, en pataugeant dans le sang de la révolution poignardée dans le dos par Staline et ses alliés républicains !
3 – La guerre rebat les cartes, mais le pli est pris
L’étouffement du mouvement de juin 36 en France et l’écrasement de la révolution espagnole ont ouvert la voie vers la guerre de 1939-45. L’amoncellement d’horreurs au cours de celle-ci a effacé en partie les leçons des luttes d’avant-guerre. D’autant plus que l’URSS et les PC sont sortis de l’épreuve auréolés du prestige de Stalingrad et des combats de la Résistance. Bref, la guerre a rebattu les cartes.
C’est pourquoi les militants communistes peuvent croire que l’alliance d’avant-guerre avec les partis de la droite démocratique était une stratégie exceptionnelle, rendue nécessaire par la menace fasciste, et que la glissade réformiste de leur parti a commencé plus tard.
La facilité avec laquelle le PCF, le PCI et d’autres ont appelé la Résistance à rendre les armes en 1945 – la facilité avec laquelle le PC belge, par exemple, participa après-guerre à un gouvernement de reconstruction nationale et appela les travailleurs à modérer leurs revendications pour « produire d’abord » – montre pourtant qu’il n’en est rien. Le pli d’une stratégie réformiste/gradualiste dans le cadre national était pris, et bien pris, depuis 1934.
Le 25 octobre 1977, après la mort de Franco, le PCE signait les accords de la Moncloa, qui bridaient les revendications de la classe ouvrière espagnole afin de garantir une transition « sereine » vers un régime « démocratique »… sous la houlette de la monarchie. « La démocratie d’abord, les revendications après » : tel était la ligne de Santiago Carrillo, le Secrétaire général. Elle était dans la continuité parfaite de celle de 1936 : « Gagner la guerre d’abord, la révolution après ».
On retrouve la même continuité au PCF. En Mai 1968, il dénonçait la révolte de la jeunesse comme une « provocation » visant à donner à De Gaulle le prétexte d’une répression contre les communistes… En juin 36, il avait dénoncé de la même façon les « provocateurs » et les « aventuriers » qui avaient amplifié les grèves après les accords de Matignon.
Social-démocratisation
Le pli pris en 1934 du fait de la subordination aux intérêts de la couche privilégiée au pouvoir en URSS avait toute une série d’implications à plusieurs niveaux, qu’il vaut la peine d’évoquer rapidement car elles sont caractéristiques de la social-démocratisation.
Première implication : les directions des PC ont remplacé la vision internationaliste du monde à travers la lutte des exploités et des opprimés au profit d’une vision à travers la lutte entre « camps » étatiques rivaux. Pour eux, dorénavant, il y avait d’un côté l’impérialisme le plus dangereux (les Etats-Unis), de l’autre le bloc de l’Est (la patrie socialiste) et ses alliés (changeants au gré des circonstances et pas tous recommandables, loin de là). Cette vision allait déboucher sur le plaidoyer en faveur de la « coexistence pacifique entre les blocs », puis alimenter divers avatars de « campisme » (qui survivent jusqu’aujourd’hui). Entre-temps (1943), Staline avait dissous l’Internationale Communiste, devenue à ses yeux inutile, et même nuisible.
Deuxième implication : un profond changement dans la stratégie syndicale. Former un front avec les partis bourgeois « démocratiques » nécessitait en effet des PC capables de contrôler les revendications ouvrières pour les maintenir dans des limites compatibles avec la collaboration de classe. Cela les a amenés à s’intégrer aux appareils syndicaux, voire à les noyauter, en mettant en sourdine le combat pour la démocratie ouvrière et contre les privilèges bureaucratiques.
Troisième implication : une autre conception de la lutte politique, de la lutte économique et des rapports entre elles. Avant le tournant, la ligne des communistes prenait bien entendu des formes différentes sur le terrain politique et sur le terrain syndical, mais c’était une même ligne, fondée sur l’émancipation économique du monde du travail en tant que condition sine qua non d’un vrai changement. A partir de 1934, de plus en plus, les PC ont repris à leur compte la conception social-démocrate : les syndicats se cantonnent aux relations entre le monde du travail et les patrons, le parti « dirige le front » car il défend un projet global de société. Dans ce cadre, il parle au nom « des syndicats », sans contester ouvertement la pratique de collaboration de classe de leurs appareils. Au contraire, il entretient avec ceux-ci des rapports diplomatiques dans le but d’appuyer ses propres manœuvres sur le plan politique.
Quatrième implication : comme dans la social-démocratie, le divorce – qui découle de ce qui a été dit plus haut- entre programme minimum (les revendications immédiates) et programme maximum (le socialisme). On continue la propagande pour le socialisme, mais on évite de mettre en avant le programme de réformes de structures anticapitaliste qui pourrait y mener – ou alors on le saucissonne de telle manière qu’il perde sa cohérence.
Enfin, sur un mode plus léger, le tournant a impliqué toute une série de changements de comportement : les dirigeants communistes se sont habillés autrement, exprimés autrement, ils se sont mis à flatter les intellectuels, les artistes, les sportifs, les journalistes… Bref, ils ont fait tout ce qu’il fallait pour paraître « respectables » et effacer la caricature du « bolchevik au couteau entre les dents ».
« Eurocommunisme »
Toutes ces tendances ne pouvaient que s’approfondir après la guerre. Cependant, à terme, le tournant a eu une conséquence que le Kremlin n’avait pas prévue : l’autonomisation croissante des PC. En effet, plus ils s’installaient dans les institutions et se rapprochaient du pouvoir, plus les PC (les grands PC en particulier) se sont mis à développer leur propre politique, non plus en fonction des intérêts de la bureaucratie soviétique mais en fonction de leurs propres intérêts.
Ce mouvement a donné naissance à « l’eurocommunisme », dont le PCI, le PCF et le PCE ont été les principaux porte-drapeaux. Il s’agissait pour ces partis de créer les conditions de leur participation à des gouvernements de coalition avec la social-démocratie et la droite « démocratique ». Comme pendant la période du Front populaire, mais dans un contexte différent.
Pour ce faire, ces PC ont adopté une posture critique face à l’Union soviétique (notamment en condamnant l’écrasement du printemps de Prague par les chars russes en 1968), et avancé un programme gradualiste qui remplaçait l’anticapitalisme par « l’anti-monopolisme ».
L’expérience de l’Union de la gauche, en France, a montré que cette social-démocratisation approfondie débouchait sur une impasse approfondie. A peine au pouvoir, en 1981, le gouvernement PS-PCF a en effet été confronté au sabotage économique par la finance, qui l’a contraint à laisser tomber les revendications les plus avancées du Programme commun (notamment la nationalisation des banques). Le PCF a quitté le bateau piloté par Mitterrand en 1984, mais, trente ans plus tard, la survie de son appareil continue à dépendre de ses accords électoraux avec la social-démocratie, qui conditionnent son ancrage dans les institutions.
4 – Nouvelle période, nouveaux partis, vieilles questions
Quelles leçons ?
Dans quelle mesure ces leçons de l’histoire sont-elles utiles pour s’orienter politiquement aujourd’hui ? Il convient d’être prudent pour répondre à cette question. L’histoire est notre livre, mais ce n’est pas une bible. L’analyse concrète de la situation concrète reste le point de départ de toute stratégie.
Cinq grandes différences avec la période des Fronts populaires sautent aux yeux :
• le grand capital est engagé dans la construction de l’Union européenne, sorte de proto-Etat despotique dont la consolidation dans le cadre du capitalisme mondialisé passe par le démantèlement des conquêtes sociales de l’après-guerre ;
• les sociaux-démocrates d’aujourd’hui sont fort différents de ceux des années ’30 : ils sont devenus sociaux-libéraux, et sont de plus en plus discrédités par leur soutien au projet de l’UE ;
• la menace de l’extrême-droite est bien réelle mais ne se présente pas (encore ?) sous la forme d’un risque immédiat d’écrasement physique du mouvement ouvrier ;
• le mécontentement social est grand, la légitimité du néolibéralisme est réduite, mais la résistance de la classe ouvrière est faible et morcelée pays par pays, on ne note nulle part une poussée révolutionnaire ou prérévolutionnaire et de nouveaux mouvements sociaux se sont développés ;
• il n’y a plus de « patrie du socialisme » à défendre, plus de bureaucratie soviétique pour imposer une politique contre-révolutionnaire en fonction de ses intérêts, mais plus non plus de crédibilité large du projet socialiste en tant qu’alternative : la social-démocratie et le stalinisme en ont fait un repoussoir.
Le capitalisme est confronté à une crise systémique très grave, mais nous sommes dans une nouvelle période historique de conscience et d’organisation où la référence à la révolution russe et la lutte contre sa dégénérescence stalinienne ne sont plus des facteurs déterminants. Partout se pose la question de la construction de nouveaux partis, de nouvelles expressions politiques des luttes et des aspirations de la majorité sociale.
Les courants politiques issus de la période précédente n’ont pas disparu pour autant, ils s’investissent dans les nouvelles expressions politiques, les nouveaux partis, et les grandes questions stratégiques demeurent. En particulier, un point commun décisif entre hier et aujourd’hui reste plus que jamais l’impossibilité de satisfaire les besoins des exploité.e.s et des opprimé.e.s sans remettre en cause le système capitaliste et ses lois.
Cette remise en cause – rendue encore plus impérieuse et urgente par la crise écologique – ne peut venir d’élus dans les parlements. Elle nécessite une stratégie extra-parlementaire basée sur la mobilisation et l’auto-organisation de la classe ouvrière, de la jeunesse et des femmes. Et cette mobilisation à son tour nécessite un programme qui lie les revendications immédiates à des réformes de structure amenant en pratique à la conclusion qu’il faut abolir le capitalisme et démanteler les institutions étatiques qui en assurent la protection (armée, corps répressifs, magistrature, corps des hauts fonctionnaires, etc.).
Gouvernements « de gauche » ?
Cette stratégie n’exclut pas la formation, à une certaine étape, de gouvernements « de gauche ». Au contraire : tout dans la situation actuelle – en particulier l’extrême difficulté de remporter des victoires dans les luttes à la base- pousse en direction de réponses politiques d’ensemble. Il va donc de soi que les nouveaux partis, s’ils captent la confiance, sont poussés vers le pouvoir.
Mais la leçon de l’histoire est sans appel : lorsque se forme un gouvernement qui est porté par les aspirations et les revendications du monde du travail, il n’y a que trois scénarios possibles : soit ce gouvernement stimule la mobilisation sociale et s’appuie sur elle pour assumer l’épreuve de force inévitable avec le capitalisme international et les organes étatiques de la classe dominante, soit il est renversé par la réaction (comme le gouvernement d’Unité Populaire au Chili, en 1973), soit il s’aligne sur ce qui est acceptable par le Capital et trahit celles et ceux qu’il représente.
C’est ici que la social-démocratisation des PC risque d’être lourde de conséquences pour la trajectoire des nouveaux partis. Particulièrement en Grèce, où les eurocommunistes de Synaspismos, conduits par Tsipras, constituent, et de loin, le groupe principal au sein de Syriza.
Syriza au pied du mur
On peut et on doit bien entendu souhaiter que des camarades issus de l’eurocommunisme révisent leurs conceptions à la lumière de l’histoire et des luttes de classe, mais il paraît exclu que des partis qui ont accompli tout le chemin de la révolution vers la social-démocratie le refassent en sens inverse. C’est exclu parce que la nature de ces partis a changé entre-temps et que mille liens les unissent à l’ordre existant.
Le nouveau gouvernement grec a pris une série de mesures antilibérales très positives (sur les privatisations, les salaires, les conventions collectives, les droits démocratiques, etc.). Mais la courbe rentrante sur la question centrale de la dette (la recherche d’un compromis sur une restructuration au lieu de la répudiation de la dette illégitime) et la coalition formée avec les Grecs indépendants (un parti de droite souverainiste, qui a obtenu l’immunisation du budget militaire) n’augurent rien de bon.
Comme le disait, à chaud, Stathis Kouvelakis, au lendemain de la victoire de Syriza : « Une tâche redoutable attend les forces qui sont conscientes des dangers et déterminées à défendre les points clé du programme de rupture avec l’austérité qui est celui de Syriza. Plus que jamais il deviendra clair qu’entre la confrontation et le reniement l’espace est proprement inexistant. Le moment de vérité est imminent. »
Nous sommes en première ligne dans la solidarité avec le peuple grec. Nous appelons le mouvement syndical et les autres mouvements sociaux, dans toute l’Europe, à saisir la chance formidable qui s’offre de secouer le joug de la finance et d’ébranler cette machine de guerre capitaliste qu’est l’Union Européenne. Nous soutiendrons la résistance du gouvernement grec au chantage de la Troïka et toutes les mesures positives qu’il prendra en faveur des exploité.e.s et des opprimé.e.s. Mais nous ne versons pas dans l’unanimisme pro-Syriza : notre solidarité politique va aux forces « conscientes des dangers » et déterminées à construire l’unité dans les luttes sur base d’un programme anticapitaliste de rupture avec l’austérité. Dans Syriza et en-dehors.
Stalinisme et maostalinisme
Le passif des PC issus de l’Internationale Communiste n’est pas le seul facteur à tenir à l’œil quand on réfléchit d’un point de vue anticapitaliste à l’évolution possible des nouvelles expressions politiques de la classe ouvrière et de la jeunesse. Celui des organisations issues du communisme « pro-chinois » (ou « marxiste-léniniste ») en est un autre. Nettement moins important à l’échelle de l’Europe, ce facteur peut toutefois jouer un rôle important dans certains pays en particulier, dont la Belgique.
Dans la période précédente, les organisations « marxistes-léninistes » présentaient une grande homogénéité. Ce n’est plus le cas aujourd’hui : le SP hollandais a percé en se transformant en parti de gauche populiste ; l’UDP portugaise a fondé le Bloc de Gauche avec des « trotskystes » et des dissidents du PC ; le KOE grec s’est fondu largement dans Syriza dont il est la seconde composante (un cas étrange, ce KOE : il continue à se réclamer de « la pensée Mao Zedong » mais est aligné dans la majorité de Syriza dirigée par Tsipras)…
Quant au PTB, qui a entamé un grand tournant en 2008, il vient encore de surprendre en s’identifiant soudainement et sans nuances à la majorité de Syriza… alors qu’il soutenait le KKE depuis des années. Choix stratégique pour l’eurocommunisme, recherche d’une stratégie pour la recomposition anticapitaliste de la gauche ou… opportunisme en termes d’image ? Nous voulons croire que la question reste ouverte…
Cette désagrégation des organisations « marxistes-léninistes » présente certaines similitudes avec celle des PC. Le fond de l’affaire, en effet, est que la transformation de la Chine en puissance capitaliste dirigée par un Parti communiste (cherchez l’erreur !) laisse orphelines les organisations qui avaient cru trouver à Pékin une alternative révolutionnaire au « révisionnisme » de Moscou. Les liens étant distendus, chacune tend de plus en plus à suivre son propre chemin, en fonction des opportunités de son contexte national.
En même temps, ce processus présente des particularités par rapport à celui qui a affecté les PC. En effet, l’héritage idéologique des organisations « marxistes-léninistes » est particulier. D’une part elles se référaient à la révolution chinoise, c’est-à-dire à une révolution authentique (en dépit du caractère non démocratique et manipulateur de sa direction) dont le souffle secouait les PC en voie de social-démocratisation. D’autre part elles assumaient le régime interne de terreur et tous les aspects du bilan de la bureaucratie soviétique jusqu’en 1954 : selon elles, en effet la perte de substance révolutionnaire des PC découlait de la « déstalinisation » décidée sous la houlette de Krouchtchev, en 1954, lors du 20e congrès du parti soviétique.
Par rapport à ces organisations, la démonstration faite plus haut sur l’origine de la social-démocratisation des communistes « pro-Moscou » prend donc une importance spécifique.
Vous avez dit « transition pacifique » ?
Pendant des années, les organisations « marxistes-léninistes » ont dénoncé inlassablement le ralliement des PC à l’idée de la transition pacifique au socialisme par les élections, en faisant comme si ce ralliement était une conséquence du « révisionnisme » de Krouchtchev. Or, il est clair qu’il était déjà présent en pratique dans la ligne de Front populaire adoptée en 1934.
Selon Santiago Carrillo, dirigeant du PCE, Staline et deux de ses adjoints (Molotov et Vorochilov) avaient écrit une lettre en ce sens au Premier ministre espagnol Largo Caballero, le 21 décembre 1936. On y lisait ceci : « La révolution espagnole s’ouvre un chemin qui, par beaucoup d’aspects, diffère de celui parcouru par la Russie. (…) Il est fort possible que la voie parlementaire s’avère un procédé de développement révolutionnaire plus efficace en Espagne que ce qu’elle fut en Russie ».
On pourrait donner d’autres exemples dans le même sens. Mentionnons notamment le programme du PC britannique sur « la voie britannique au socialisme », qui n’était rien d’autre qu’un plaidoyer pour la voie parlementaire. Il a été adopté en 1951, et approuvé explicitement par Staline… Le document adopté au congrès de Vilvorde du PCB (1954) était du même tonneau : les courants « pro-chinois » ultérieurs n’ont eu de cesse d’en dénoncer le « révisionnisme » mais il avait été validé par Moscou.
D’où vient le danger social-démocrate ?
Du fait de cet héritage idéologique, on peut craindre que, dans le cadre de la formation de nouveaux partis, des organisations qui ont leur origine dans le courant « marxiste-léniniste » soient imparfaitement armées pour résister aux évolutions de type social-démocrate qui se profilent derrière les « dangers » évoqués par Stathis Kouvelakis.
Généralement, les cadres de ces organisations tendent à croire que la défense du bilan de Staline et de ses innovations « théoriques » (la révolution par étape, le socialisme dans un seul pays, le rôle dirigeant du parti en tant que dogme autoproclamé, le régime interne verticaliste, la coexistence pacifique…) les prémunit contre la social-démocratisation.
L’histoire montre qu’il n’en est rien : le PC britannique de 1951 assumait entièrement les procès de Moscou, cela ne l’a pas empêché de se prononcer pour la voie parlementaire au socialisme ; Staline orchestrait les procès en même temps qu’il invitait le Premier ministre espagnol à explorer la voie parlementaire au socialisme ; quant au régime interne verticaliste, c’est peu dire qu’il n’est en rien contradictoire avec la social-démocratie !
Quelles que soient leur héritage théorique, toutes les organisations anticapitalistes qui atteignent un certain niveau de développement sont exposées au danger de la social-démocratisation. Ce danger ne découle pas avant tout de révisions idéologiques mais du pragmatisme politique qui amène, parce que « ça marche », à accepter de former des majorités « antifascistes » avec des partis libéraux « démocratiques », à séparer ligne politique et ligne syndicale, à courtiser les appareils syndicaux sans dénoncer leurs pratiques bureaucratiques et de collaboration de classe, et, in fine, à laisser les parlementaires diriger le parti.
L’histoire montre en outre que cette social-démocratisation peut être particulièrement rapide dans des organisations cloisonnées qui sous-estiment la libre expression des points de vue, évitent les débats contradictoires et ne donnent pas à leurs membres une formation critique.
De la difficulté d’être révolutionnaire aujourd’hui
C’est peu dire que la situation actuelle n’est pas révolutionnaire. Les rapports de forces sont mauvais, la conscience de classe est à un niveau extrêmement bas, la recherche de boucs émissaires bat son plein… Cependant, une politique résolument anticapitaliste est nécessaire pour s’orienter dans cette situation sans risquer soit de perdre son âme, soit de se transformer en secte donneuse de leçons.
L’élaboration d’une telle politique est rendue difficile non seulement par la conjoncture ultra-défensive mais aussi par l’amoncellement de mythes et d’images d’Epinal qui bouchent ou déforment la vue vers les expériences du passé. Et vers les débats du passé. Par exemple les débats ébauchés lors des 3e et 4e congrès de l’Internationale Communiste sur le « front unique ouvrier », sur le « gouvernement ouvrier », sur les revendications « transitoires », sur la stratégie communiste dans les syndicats, etc.
Ces débats ne fournissent aucune solution toute faite : juste un point de départ qu’il est utile de dégager car il aide à (se) poser les bonnes questions, dans l’espoir d’inventer des réponses adaptées à la période actuelle. Dans l’espoir que ce retour sur la théorie révolutionnaire d’avant-hier pourra alimenter une pratique révolutionnaire aujourd’hui.
Poser les bonnes questions, tâcher d’inventer les bonnes réponses : nous sommes prêts à mener ce travail avec les militant.e.s anticapitalistes de toutes tendances, car il appartient aux militant.e.s de toutes tendances. Plus de vingt mille communistes étrangers vivant à Moscou dans les années trente ont été éliminés physiquement parce qu’ils s’opposaient à la liquidation stalinienne, notamment à la ligne des « Front populaires ». La plupart d’entre eux n’étaient pas « trotskystes », plusieurs d’entre eux avaient même été des adversaires politiques de Trotsky. Sortons des tranchées, camarades !
Daniel Tanuro