Parmi les favoris du scrutin législatif, « Le Front Populaire », le « Bloc de Petro Porochenko » et « Samopomitch ». Ces partis ont formé la nouvelle coalition au pouvoir, constitué de 302 députés, qui a également intégrée l’Union panukrainienne « Patrie » et le Parti radical.
Toutes ces forces politiques ont des points communs : pour arriver au pouvoir, elles ont profité des manifestations sur le Maïdan et de la fuite de l’ex-président Viktor Ianoukovytch. Elles prônent une politique pro-européenne, des mesures libérales dans l’économique, ainsi qu’un conservatisme et un nationalisme modérés dans les domaines de l’éducation et de la culture. La réalisation la plus rapide des termes de l’accord d’association avec l’UE constitue leur priorité majeure. .
Le « Front Populaire », présidé par le premier-ministre Arseni Iatseniouk, a mené un discours de guerre le plus systématique, en plaçant en tête de ses priorités la reconquête des territoires occupées par les séparatistes et la guerre jusqu’à la victoire finale. Sur la liste du parti, on trouve le Chef du gouvernement et le Président du parlement, le Ministre de l’intérieur, le Ministre de la justice, ainsi que les chefs de bataillions des bénévoles. Une des promesses électorales phares de Iatseniouk a été la construction du mur de séparation à la frontière russo-ukrainienne, dont la longueur devrait dépasser les 2 000 km. Ce projet porte le nom de « Mur européen ». Dans le domaine économique, Iatseniouk soutient une étroite collaboration avec le FMI et se présente comme partisan des « réformes » néolibérales, dont plusieurs ont été promues jadis par le vice-premier-ministre de Ianoukovytch, Serhiy Tihipko.
Le bloc pro-présidentiel a obtenu la deuxième place. Lors de la campagne éléctorale, ce parti s’est présenté comme une force politique plus modérée, en faisant appel à l’union nationale. Sur la liste de ce parti, menée par le maire de Kiev et ex-boxeur Vitali Klitschko, figurent des écrivains, des médecins, des hommes d’affaires et des personnalités publiques influentes. Effet de surprise, le parti du président a été soutenu par Moustafa Nayyem et Serhiy Leshchenko, deux journalistes célèbres qui auparavant se sont montrés très critiques à l’égard de Porochenko. Pendant cette campagne, les deux journalistes se sont notamment fait remarquer par leur revendication de tripler le salaire des députés.
A la tête du parti « Samopomitch », qui a obtenu la troisième place, on trouve le maire actuel de Lviv, Andriy Sadovyi. Partisan fervent de l’Euromaïdan, cet homme a beaucoup gagné en popularité grâce aux manifestations. Sadovyi a une réputation d’un gestionnaire efficace et d’un adversaire des nationalistes de « Svoboda ». Son parti joue surtout sur la carte des « nouveaux visages en politique » et promet de lutter contre la corruption et de défendre les intérêts des petites et moyennes entreprises. Parmi les partis ayant franchi le seuil électoral, « Samopomitch » est le parti le plus proche de l’idée d’un « parti des militants » (même si, à l’instar des autres partis favoris, il n’a pas évité la tentation d’ajouter à sa liste le chef de bataillon « Donbass »).
Le boycott dans l’Est
Compte tenu de l’annexion de la Crimée et du manque de contrôle sur un certain nombre de régions de Lougansk et de Donetsk, seulement 420 députés sur 450 ont été élus. Le sens de cette omission est clair : il est supposé que les membres restants du parlement seront élus après la reprise de contrôle sur la Crimée et les deux régions de l’Est.
Or, même dans les zones contrôlées par le gouvernement, le taux de participation était à son plus bas niveau : seulement 52% de citoyens se sont rendus dans les bureaux de vote.
Rompre avec le passé ?
Le parlement précédent a cessé son existence au bout de deux ans. La moitié des partis qui le constituaient ne sont plus dans le nouvel organe législatif selon les résultats des élections anticipées d’octobre. Même « Batkivchtchina » (« La Patrie ») de la populiste Ioulia Timochenko a à peine obtenu les 5 pour-cent de votes nécessaires pour passer au parlement. C’est d’autant plus significatif qu’après les élections de 2012, « Batkivchtchina » était le deuxième plus grand groupe parlementaire.
L’échec des anciens partis ne veut pas dire que la composition du Conseil suprême est radicalement renouvelée. Beaucoup de personnes importantes de l’ancien establishment ont juste changé de carte du parti en passant ainsi au parlement en tant que membres des nouveaux projets politiques, les autres ont gagné les élections dans les circonscriptions majoritaires – moyennant des capitaux importants : le prix d’une place dans la liste d’un parti ou celui d’une victoire dans une circonscription majoritaire est quelques millions de dollars au bas mot.
Cette circonstance met en évidence le fait, que malgré toutes les déclarations des politiciens, l’impact des oligarques sur le processus politique est loin d’être marginal. On peut commencer par Petro Porochenko, qui, en ayant les actifs de $ 1,3 milliards sous sa gestion, est parmi les dix plus riches hommes d’affaires dans le pays. Avant d’occuper le poste de président il avait promis de vendre son affaire, et pourtant, on n’en entend plus parler depuis.
Il y a d’autres personnes très riches dotés des postes et du pouvoir. Yourij Kosiuk, magnat agricole avec le capital de 1,3 milliard $ occupe le poste du chef adjoint de l’administration du président. Le gouverneur de la région de Dnipropetrovsk tout en étant le copropriétaire de la plus grande banque en Ukraine, « l’oligarque patriotique » Ihor Kolomoïsky, dispose de $ 1,8 milliards. D’autres personnes odieuses n’ont pas disparu : Rinat Akhmetov ($11 milliards), Dmytro Firtash ($400 millions), Serhiy Lyovochkin, Viktor Pinchuk ($3 milliards) – presque tous ces personnages de la centaine de Forbes ukrainien ont conservé leurs capitaux et leur influence.
Aucun parti dans le parlement actuel n’échappe ainsi aux soupçons du financement dissimulé de la part de l’oligarchie. Ces accusations ne sont pas injustifiées. Les agents des grandes entreprises sont présents dans toutes les listes de partis. De même, les rapports avec les grandes entreprises se manifestent dans les programmes des partis : aucun n’aborde la question de l’imposition progressive, personne ne promet d’arrêter le reflux des fonds offshore ou de combattre les monopoles artificiels – des petits groupes de la nouvelle gauche sont les seuls à soulever ces sujets. Tous les partis existants, y compris le parti communiste, sont de droite dans la sphère sociale, ainsi qu’économique.
Il y avait un certain avancement dans ces questions avant les élections, en printemps et en été. Le gouvernement avait augmenté la rente sur le pétrole, le gaz et les ressources minières. Les compagnies minières ont payé les sommes dérisoires dans le budget tout en gagnant des surprofits avant ces modifications. Par exemple, la rente sur l’extraction du minerai de fer en 2013 était inférieure à 4 hryvnias pour une tonne, le prix du marché étant environ $100. Selon UNIAN (une agence d’information ukrainienne), avec la production annuelle de 80 millions de tonnes du minerai de fer, les combinats miniers vendaient les ressources minières pour $8 milliards, tandis que le budget de l’état ne recevait que 300 millions de hryvnias de rente. La rente est maintenant augmentée jusqu’à 8% de la valeur des produits finis. Il est évident, que la rente aurait pu être augmentée encore plus sans endommager les companies. Cependant, le sujet n’était plus abordé après les élections.
La percée néolibérale
À en juger par les programmes des partis, les citoyens doivent se préparer à la détérioration de l’infrastructure sociale et à la réduction des normes sociales. Ce cap avait été pris également par le fugitif Ianoukovytch, qui, étant obligé de manœuvrer, s’efforçait de reporter les mesures impopulaires le plus possible.
Le nouveau gouvernement va agir d’une manière radicale. L’accord de coalition permettant de privatiser les entreprises d’état dans la sphère de transport, réduire le nombre des hôpitaux et fermer les mines de charbon, prépare la dérégulation générale de l’économie.
On attend des licenciements des fonctionnaires, la suppression des subventions budgétaires et la réduction des dettes fiscales des entreprises privées en même temps que l’adoption du nouveau Code du travail, qui permettra de licencier les travailleurs sans l’accord du syndicat, l’augmentation des prix du gaz pour la population suite à la demande du Fonds monétaire international.
Tout cela étant donné que le niveau de vie dans le pays au cours de l’année 2014 a déjà considérablement baissé : les dépenses budgétaires ont été coupées dans les domaines sociaux et ont été redirigées sur les besoins militaires, la monnaie nationale s’est dépréciée de 85% (un record pour hryvnia), les tarifs sur les services publics ainsi que les prix ont beaucoup augmenté, tandis que les salaires sont restés les mêmes, voire ont encore diminué. Un grand nombre de gens ont perdu leurs emplois ou ont pris les congés non rémunérés (une forme latente de chômage), ou bien ont perdu leurs maisons à cause des dommages de guerre à Donbass. Huit cent mille résidents du sud-est ont été déplacés à l’intérieur du pays ou se sont réfugié dans des pays voisins.
Faut-il rappeler que le mécontentement social a été une des raisons sous-jacentes des manifestations de masse de l’année dernière contre Ianoukovitch. L’annexion de la Crimée et la participation directe de la Russie à la guerre dans l’est d’Ukraine, la croissance du patriotisme et de la rhétorique nationaliste ont éclipsé temporairement les enjeux sociaux-économiques. Il est important de mentionner le facteur russe. La classe dirigeante de la Russie profite de la déstabilisation artificiellement maintenue en Ukraine pour soutenir le régime de Poutine, grâce à la disposition conservatrice et nationaliste dans la société russe, et pour discréditer tout changement politique aux yeux de sa propre population. La pression sur l’Ukraine est facilitée par la dépendance de l’économie ukrainienne de l’importation des ressources énergétiques, ainsi que par la participation directe de la Russie dans le conflit militaire dans l’est du pays, où elle effectue le contrôle sur les « républiques populaires » auto-proclamées. Les « élections » qui s’y sont tenues ressemblent à une farce – la plupart des partis, y compris le parti communiste, n’ont pas été autorisés, le vote a été mené au bout des fusils des paramilitaires pro-russes, les listes électorales ont été inconnues, et le rôle des « observateurs internationaux » a été joué par les néo-fascistes européens.
Pendant ce temps, les tensions dans la société ukrainienne s’accroissent, puisque non seulement les vieilles contradictions n’ont pas été supprimées, mais il y en a de nouvelles qui s’en rajoutent. La nouvelle coalition par définition n’est pas capable de les résoudre.
Contrairement aux allégations propagées par l’association « Borotba », dont les membres ont soutenu les « républiques populaires » nationalistes, conservatrices et pro-russes dans l’est de l’Ukraine, et pour la plupart émigrés en Crimée annexée par la Russie (alors que les dizaines de militants de gauche de Crimée ont été obligés de partir en Ukraine à cause de l’impossibilité de continuer l’activité militante après l’annexion, et le radical de gauche anti-fasciste Alexander Kolchenko a été arrêté par les services de sécurité russes et jugé pour des accusations absurdes d’implication dans le « Secteur de droite »), les nouvelles organisations de gauche en Ukraine continuent à se mobiliser pour lutter pour un changement de système socio-économique. Il s’agit des organisations comme « L’Opposition de gauche » (les marxistes, orientés vers la Quatrième Internationale), « Contre le courant » (communistes de gauche), Syndicat indépendant des travailleurs (les anarchistes), « Action directe » (syndicat étudiant). Les militants de gauche de Kiev, Odessa et d’autres villes ainsi que des militants des syndicats indépendants des centres industriels de Dnepropetrovsk et Krivoï Rog impliqués dans le projet de créer un nouveau parti de gauche, visant à protéger les intérêts de la classe ouvrière et l’ordre du jour proposé de la révolution sociale et anti-capitaliste.
Selon les données de la commission électorale central les six partis ont passé dans le nouveau parlement :
« Narodnyi front » (« Le front populaire ») – 22.14 %
« Blok Petra Poroshenka » (« Le bloc de Petro Poroshenko ») – 21.82%
« Objednannia Samopomitch » (« L’union l’entre-aide ») – 10.97%
« Opozytsijnyj blok » ( « Le bloc de l’opposition ») – 9.42%
« Radykalna partija » ( « Le parti radical ») – 7.44%
« Batkivshtshina » (« La Patrie ») – 5.68 %
De Kiev, Vitalii Atanasov