Étayé par un sentiment nationaliste fruste, mon engagement initial dans le mouvement social remonte à 1971 (j’avais alors 14 ans) à l’occasion – coïncidence ! – de la campagne pour défendre les îles Diaoyu [Senkaku pour les Japonais]. Mon état de conscience nationale élémentaire avait commencé à se former quand j’étais beaucoup plus jeune, mais n’avait pas été nourri durant ma scolarité : sous le règne colonial britannique, ce que j’ai appris de la Chine à l’école primaire se montait pathétiquement à bien de choses que l’on peut virtuellement réduire à l’histoire de deux icônes individuelles : Confucius et Sun Yat-sen. J’étais au courant des invasions japonaises en Chine continentale ou à Hongkong et du sentiment nationaliste qu’elles avaient suscité, mais tout cela provenait des souvenirs d’adultes m’entourant, transmis de bouche à oreille. De temps en temps, mon père évoquait la « chute de Hongkong » entre les mains japonaises et en particulier une scène remontant à cette période – « un passant ayant négligé de le saluer, un soldat japonais a sorti sa baïonnette en un rien de temps et d’un bruissement l’a plantée dans son dos, le tuant sur le coup. »
Mon histoire en défense des Diaoyu
La jeunesse radicalisée de ma génération s’est rapidement polarisée en deux courants principaux – nationaliste et gauche internationaliste. Pour la plupart, ces jeunes s’identifiaient au premier, soutenant souvent de façon inconditionnelle la « tendance Guo Cui » [4], un front du Parti communiste chinois (PCC). À l’époque déjà, les nationalistes pro-Kuomintang (KMT, ou Guomindnag) étaient marginalisés. Les jeunes attirés par des idéaux libéraux, qui éprouvaient beaucoup d’empathie pour les résistants au bas de la pyramide sociale, constituaient aussi un courant distinct, mais ils évitaient alors toute action politique tant contre le gouvernement que contre le PCC.
Après avoir observé et mûrement réfléchi un couple d’années, j’en suis arrivé à adopter une position socialiste, puis à rejoindre un groupe trotskiste. Nous étions en 1976 et je n’étais plus attiré par le nationalisme. À chaque fois que je lisais sur la résistance anti-japonaise sous le Kuomintang, je ne pouvais m’empêcher de disséquer mentalement la conception d’ensemble du nationalisme. Une chanson populaire satirique touchait droit dans le mille : « Alors que sur la ligne de front on souffre de la faim, certains se gavent à l’arrière », faisant allusion aux gros lards et mettant à nu derrière l’image d’Épinal d’une « communauté nationale homogène » le fait que les disparités et polarités sociales restaient plus flagrantes que jamais. Quel que soit l’importance de la question de l’indépendance nationale, ne la résoudre seule, sans toucher au système, ne mènerait pas loin : les classes privilégiées du groupe national se trouveraient en position favorable pour exploiter et opprimer leurs concitoyens. Telle était la réalité de la Chine sous le KMT.
Même si situation n’était pas aussi mauvaise dans la Chine de Mao, on ne peut se contenter de balayer sous le tapis les inégalités sociales de cette période : bien que moindre qu’à l’époque du KMT, elles n’étaient pas insignifiantes. De plus, à moins de faire sienne l’approche des maoïstes en ne s’attachant qu’à l’économie et pas à la politique, en fermant les yeux sur la dictature du parti unique (à savoir une violation grossière de l’égalité politique la plus élémentaire), ne doit-on pas admettre que cette polarisation flagrante entre les gouvernants et leurs sujets restait fort vivace dans la nouvelle « nation chinoise » de Mao ?
Quoi qu’il en soit, je continuais à défendre les îles Diaoyu. Cette position n’était plus fondée sur le nationalisme, mais sur l’internationalisme. À l’époque, la Chine venait de rompre avec son héritage semi-colonial dans la foulée d’une révolution par en bas – menée par les classes laborieuses – alors que le Japon était un pays impérialiste qui visait à la « contenir », main dans la main avec les États-Unis. Certes, le régime du PCC n’était certes pas aussi socialiste qu’il le prétendait (sous son règne la Chine n’était certainement pas un pays socialiste, ni même en transition au socialisme). Mais il était anti-impérialiste, quelles que soient les limites de ce que cela signifiait, et était une force progressiste comparée au Japon. De plus, il fallait condamner tout ce qui permettait d’étendre les gains territoriaux et la base de l’impérialisme, tel que l’occupation par le Japon des Diaoyu. Voici pourquoi, avec d’autres camarades, nous avons continué à défendre ces dernières. L’inégalité des rapports de forces entre les deux camps était un autre point à prendre en considération : la puissante alliance nippo-américaine contre une faible Chine. Le cadre moral applicable aux relations entre nations coïncide sur une question avec celui qui guide les relations humaines – à savoir, se ranger du côté du faible pour faire face à la brute.
Aujourd’hui, je ne défends plus les Diaoyu. Les considérations mentionnées ci-dessus n’existent plus. Non seulement la Chine n’est aujourd’hui ni anticapitaliste ni anti-impérialiste, elle est de fait revenu au capitalisme – et qui plus est à l’une de ses variétés les plus méprisables. Avec le PCC pour noyau, le capital bureaucratique chinois prospère et se gave aux cruels dépends du peuple chinois. Tout en prétendant défendre l’intérêt national et afin d’entrer dans l’Organisation mondiale du Commerce (OMC), il s’est sans scrupule aucun attaqué aux moyens d’existence de la population rurale, mettant ce faisant l’économie des campagnes en banqueroute, marginalisant 250 millions de ruraux sans ressources, forcés à chercher un travail salarié dans les centres urbains. Chaque fois que ces migrants de l’intérieur tentaient de se mobiliser pour leurs droits et leurs libertés, le PCC leur opposait les forces de répression étatiques, voulant leur régler leur compte pour défendre les capitalistes privés (qui incluent une bonne part de capital étranger) et assurer le bon fonctionnement du système d’exploitation. Si, au cours de ce processus, le PCC avait refusé de danser un tango avec l’impérialisme US, la constitution de la Chine en atelier global du monde n’aurait pas été possible. Le régime n’a eu aucun scrupule à vendre au sens figuré les populations appauvries du pays, ainsi qu’au sens propre les ressources naturelles, amassant ainsi d’énormes recettes en devises.
Graduellement, la Chine n’est pas seulement devenue le principal exportateur mondial de marchandises, elle a aussi commencé à gagner une suprématie similaire dans l’exportation de capitaux. Rapidement, la « saga » de la montée en force du capital chinois a inauguré son deuxième chapitre, dans lequel il jette ses tentacules économiques sur le globe comme toutes les multinationales le font, ciblant en particulier les pays sous-développés, perpétuant le colonialisme économique. Dans la foulée, les travailleurs de ces contrées ont été exploités et leur environnement ravagé. Au Pérou, la Shougang/Capital Steel Corporation a réprimé ses salariés du fait de leur militantisme syndical, provoquant de nombreuses grèves, les ouvriers refusant de plier face aux attaques de leur direction. En Birmanie, les habitants ont dénoncé la pollution provoquée par la compagnie minière chinoise Wanbao. Dans le principal port de Grèce, la COSCO (China Ocean Shipping Company) a brutalement licencié une bonne partie des employés après avoir acquis une tranche de propriété du Pirée. Pour récompenser COSCO de cette audacieuse mesure, le gouvernement grec lui a offert une part de propriété encore plus grande (ce qui a conduit les syndicats maritimes des salariés de 16 pays à publier, le 16 mars 2014, une déclaration commune condamnant cette décision).
Quand la Chine s’est engagée, voilà trois décennies, dans la voie du retour au capitalisme, les économies chinoises et japonaises étaient plus complémentaires qu’elles n’entraient en compétition l’une avec l’autre. Maintenant que la Chine grimpe progressivement l’échelle technologique et s’est métamorphosée en la principale exportatrice de capitaux, les deux pays ne font plus la paire, mais deviennent rivaux, particulièrement en Asie. Cette évolution constitue le cadre d’ensemble du conflit opposant les deux gouvernements sur la question des Diaoyu/Senkaku : il n’est qu’un aspect de l’expansion hégémonique de ces deux puissances qui n’apportera aux populations laborieuses d’Asie que des malheurs, quelle que soit celle qui prend le dessus.
Le scénario séculaire d’une Chine faible fixant des yeux un Japon fort a finalement laissé place à une situation d’hostilité plus équilibrée entre les deux puissances. En conséquence, dans le présent contexte, les mouvements populaires n’ont plus besoin d’intervenir pour donner un coup de main au plus faible, afin de l’aider à faire face à la brute.
Le peuple chinois garde une mémoire vivace de la résistance à l’invasion nippone, comme en témoigne le contenu anti-Japonais de l’hymne national. Cependant, la Chine étant devenue une puissance majeure, nous devons comprendre que nous ne risquons plus d’être victimes d’une nouvelle invasion. Les ennemis les plus menaçants de la Chine ne viennent plus d’ailleurs ; ce sont dans les maux jumeaux d’une dictature bureaucratique vicieuse et du capitalisme bureaucratique. De même, si l’on pouvait dire que le nationalisme chinois sous l’occupation japonaise était progressiste dans son contenu social, le nationalisme chinois d’aujourd’hui ne peut avoir qu’un caractère social réactionnaire, et n’a pour avenir que le chauvinisme grand Han.
La politique étrangère du PCC après sa reconversion capitaliste
Je ne défends plus les Diaoyu. Sans même parler d’engager une guerre, je veux dire par là que je ne soutiens pas les actions menées par la Chine, en tant que pays, pour défendre les Diaoyu. Je ne soutiendrai pas plus les personnes qui interviendraient en ce sens. Agir autrement ne ferait qu’ajouter de l’huile sur le feu. Cela ne veut pas dire pour autant que je soutiens la poursuite de l’occupation par le Japon des Diaoyu. Un auteur japonais de gauche qui la refuse présente ainsi sa position : « Nous avons toujours rejeté la prétention du Japon à la souveraineté sur les “Senkaku“, nous fondant sur le fait que l’occupation nippone de ces îles est inextricablement liée à la colonisation de Taïwan, suite à la première guerre sino-japonaise de 1894-95. Même le droit international ne saurait reconnaître comme légitime un tel acte de guerre. » [5] Avec l’arrivée au pouvoir de Shinzo Abe, le gouvernement japonais s’avère le plus réactionnaire depuis de longues années, comme l’illustre sa politique militariste visant à autoriser les forces armées à s’engager dans une « autodéfense collective » [au nom de la défense de ses alliés]. Nous ne pouvons laisser ce gouvernement de droite s’en tirer sur la question des Diaoyu/Senkaku.
En toute justice, il faut reconnaître que le gouvernement nippon porte la responsabilité majeure dans l’escalade récente du conflit Diaoyu/Senkaku. Depuis longtemps, la politique du PCC était de ne pas réveiller le chat qui dort. Tokyo a unilatéralement violé ce consensus vieux de plusieurs décennies en nationalisant la propriété de ces îles.
Bien que le PCC n’ait pas provoqué le dernier round du conflit, rien ne permet de croire qu’il pourrait, lors des prochaines tensions, agir dans le meilleur intérêt des peuples. En conséquence, non seulement la population en Chine, à Hongkong et Taïwan ne devrait pas poursuivre ses actions en défense de Diaoyu, mais elle ne devrait sans perdre une minute forger une alliance avec le peuple japonais en vue de construire un mouvement populaire pour la paix entre les deux nations et joindre leurs forces pour s’opposer à toute initiative militariste que leurs gouvernements pourraient prendre sur cette question.
Il y a une vingtaine d’années, un militant culturel anarchiste à Hongkong faisait remarquer que les iles Diaoyu devraient appartenir aux poissons [« yu » signifie poisson en chinois et la signification littérale de Diaoyu est « plateforme de pêche »]. Si à l’époque cette proposition n’était pas très convaincante, elle devrait l’être beaucoup plus aujourd’hui. Pourquoi ne pas faire des Diaoyu et de leurs environs une zone maritime protégée ! Nous ne devrions en aucun cas consentir à ce que les dirigeants des deux pays laissent dégénérer la situation en confrontation militaire sur les îles, sans même parler d’engager une guerre en leur nom.
Si l’on pense que la position originelle du PCC sur les Diaoyu (mettre en veilleuse la question de la souveraineté) n’était pas excessive, on doit admettre qu’il est bien plus arrogant en mer de Chine du Sud. Déclarant faire sienne la « ligne en neuf traits » [6] tracée à l’époque de la République de Chine, sous le règne du KMT, il a considérablement étendu ses revendications maritimes, soulevant la protestation de nombreux pays. Contrairement à sa politique vis-à-vis du Japon où il avait proposé de mettre le contentieux en attente, le PCC a recouru de plus en plus fréquemment à des actions armées pour imposer ses vues en mer de Chine du Sud. Je ne suis pas un expert en droit international et ne saurait discuter sur ce plan de la question. Je voudrais plutôt revenir sur les proclamations nationalistes initiées par le PCC, selon lesquelles il « ne cèdera pas ne serait-ce qu’un pouce du territoire sacré du pays ». C’est un non-sens. Le PCC a négocié à maintes et maintes reprises les frontières avec ses voisins durant ses presque sept décennies au pouvoir. A-t-il toujours affirmé faire siens, en totalité, les territoires hérités de la dynastie Qing ou de la République de Chine ? Évidemment non. Ce ne fut certainement pas le cas concernant l’accord avec la Corée du Nord, après la fondation de la République populaire de Chine.
« Durant cette période, la direction centrale du PCC a progressivement défini les principes devant guider sa démarche concernant les frontières du pays. Premièrement, il mènerait une politique étrangère pacifique dans le cadre de laquelle les désaccords frontaliers seraient résolus par des négociations et qu’il ne recourrait pas à des actions armées pour modifier le statu quo. Deuxièmement, les archives sur les négociations frontalières du temps de la fin de la dynastie Qing, du gouvernement de Beiyang [7] et celui du KMT pourraient constituer la base légale des négociations à venir ; trois principes doivent être suivis en étudiant les archives historiques – les faits historiques doivent être reconnus ; sans se couper de l’histoire, les développements historiques doivent être identifiés ; la façon d’aborder l’histoire doit prendre pleinement en considération les circonstances présentes et la politique actuelle de la nation. Troisièmement, concernant la question des frontières de la Chine avec ses pays voisins, “celles qui ont été précisées lors d’accords anciens devraient être traitées en accord avec les principes généraux du droit international“… Mais dans son traitement il y a un couple d’années de la frontière sino-coréenne, la Chine ne semble pas avoir adhéré aux principes généraux du droit international, à savoir engager les négociations sur la base du traité de 1909. À la place, la Chine a renoncé à une zone importante où se trouve la source du fleuve Tumen et a plus ou moins accepté le tracé frontalier demandé par la Corée du Nord. C’est ainsi que le lac Céleste, avec 98 km carrés de terres, originellement entièrement chinois, est devenu pour 54% propriété nord-coréenne, la part de la Chine tombant à 45,5%. Concernant les territoires chinois dans la région où se trouve la source du fleuve Tumen, la surface cédée par la Chine se monte en gros à 1200 km carrés en fonction des concessions que la Chine a consenties depuis l’accord de Kando en 1909 jusqu’au traité frontalier sino-coréen de 1962, tel que l’on peut l’estimer en comparant les cartes anciennes et modernes. » [8]
Dans China’s Search for Security, Andrew Nathan et Andrew Scobell notent que « tout le territoire de la Chine n’a pas été non-négociable. Au fil des ans, Pékin a donné 1.3 million de miles carrés revendiqués par la Corée du Nord, le Laos, la Birmanie, le Pakistan, le Tadjikistan, le Kirghizistan, la Russie et d’autres États en vue de résoudre des conflits frontaliers » [9]
Le chauvinisme de grande nation du PCC
Le PCC ne s’est jamais appuyé sur un seul principe (ses territoires proclamés) pour guider la négociation de frontières disputées. Pas plus qu’il n’a jamais
« cédé ne serait-ce qu’un pouce de son territoire ». Il a plutôt pesé politiquement ses relations avec les nations concernées, les rapports de forces relatifs, ainsi que les « politiques fondamentales guidant l’action du parti » à un instant donné. Tout d’abord, la Chine a été particulièrement arrogante en mer de Chine du Sud parce qu’elle s’oppose à de petits pays du Sud-est asiatique. Facteur non moins important, les « politiques fondamentales guidant l’action du parti » ont profondément changé depuis la reconversion au capitalisme. De 1949, quand le parti prend le pouvoir, jusqu’au début des années 1970, la rhétorique révolutionnaire et anticapitaliste était de mise pour le PCC et il l’avait même parfois exagérée. Non seulement cela avait bridé le chauvinisme dans le PCC, mais, dans une certaine mesure, cela avait parfois fait apparaître ce parti internationaliste. Quand, en ces temps-là, Mao Zedong et Zhou Enlai rencontraient des dirigeants asiatiques, ils s’excusaient invariablement pour les invasions commises sur leurs terres par d’anciennes dynasties chinoises. Cette démarche a aussi concerné les relations entre la Chine et la Corée du Nord. En 1958, Mao a dit à Kim Il Sung : « Historiquement, la Chine n’avait pas bien traité la Corée et en conséquence nos ancêtres avaient une dette envers les vôtres… Vos ancêtres disaient que votre frontière [avec la Chine] longeait la rivière Liao. Mais voyez-vous, vous avez été poussé [traductrice : plus à l’est] sur la rivière Yalu. » [10] Et voilà qu’aujourd’hui, les médias officiels martèlent inlassablement une propagande selon laquelle « la Chine a toujours été un pays épris de paix au long de son histoire ancienne et elle n’a jamais envahi un autre pays », ou que « ce bout de territoire a toujours appartenu à la Chine depuis des temps immémoriaux ». Alors que Deng Xiaoping avait emphatiquement fixé la politique étrangère dite « cacher son talent et gagner du temps » et avait suggéré de mettre aussi en veilleuse les contentieux en mer de Chine du Sud, l’actuel gouvernement Xi Jinping est devenu de plus en plus arrogant en matière de politique étrangère, particulièrement à l’égard de ses petits voisins d’Asie du Sud-Est. Il connait fort bien la puissance croissante de la Chine et apprécie comment une menace extérieure permet de détourner l’attention de contradictions montantes sur le front intérieur.
Pourquoi un tel changement ? La révision du caractère de classe du PCC a constitué une mutation qualitative qui a produit d’autres transformations qualitatives de la part du parti, tant sur le plan idéologique que dans l’arène matérielle. La politique étrangère d’un pays est en règle générale une extension de sa politique intérieure, et la politique intérieure est pour l’essentiel au service d’intérêts de classe. Si le caractère de classe d’un régime est lui-même « retourné », les politiques intérieurs ou étrangères peuvent difficilement rester les mêmes. Alors que la Chine sous Mao visait « l’autosuffisance », elle a été , durant l’ère post-Deng, profondément immergée dans le capitalisme global. En vue de soutenir son rôle d’atelier du monde, de « boite à sueur », et pour accaparer plus de devises étrangères, le pays est devenu dépendant des importations pour la moitié de ses besoins pétroliers, de même que pour des matières premières de toutes sortes, alors que sa croissance tient pour moitié des exportations. Aujourd’hui, la Chine est même devenue l’un des grands exportateurs de capitaux. L’expansion économique conduit inévitablement à l’expansion politique et militaire ; et cette logique constitue la raison fondamentale pour laquelle le PCC devait inévitablement être toujours plus infesté par le chauvinisme de grande nation.
Plutôt que d’avoir recours à la violence, un pays devrait faire tout son possible pour fixer le tracé précis de ses frontières par des moyens amicaux et pacifiques, d’autant plus quand les frontières en question concernent des îles lointaines, des centaines ou milliers de kilomètres au large de ses côtes principales. Il est clair qu’une solution impliquant quelques concessions est toujours possible. De telles concessions sont même préférables quand le pays voisin est beaucoup plus petit que le sien. Une formule telle que « ne pas céder ne serait-ce qu’un pouce de son territoire » n’a pas de sens ou sinon de quelle négociation parle-t-on ? Si dans le passé le pays a pu renoncer à des milliers de li (1 li = 0,5 km) de son territoire, mais aujourd’hui ne « concèderait même pas un pouce », cela veut dire que ses dirigeants ont connu un changement qualitatif ou prennent des postures face à des interlocuteurs beaucoup plus petits, pensant qu’ils ont le droit de mener une opération militaire pour leur « donner une leçon ».
La Chine de Mao, quelles que soient ses limites, avait gagné le respect des mouvements ouvriers, paysans et anti-impérialistes dans un grand nombre de pays ; tandis qu’aujourd’hui il est courant de voir des gens du peuple, de l’Afrique à l’Asie, dénoncer le capital chinois et lui disant de « retourner d’où il vient ». Plus inquiétante encore est la propension du PCC à piétiner tout type d’opposition, en particulier venant des classes laborieuses. Du coup, il est difficile aux yeux des travailleurs d’autres pays de faire la différence entre les gouvernants du PCC et le peuple chinois, de voir qu’il ne s’agit pas d’une seule et même chose.
Que les peuples chinois et japonais unissent leurs forces afin de forger entre les deux nations un mouvement populaire pour la paix
La nation chinoise sous le règne du PCC n’est de toute évidence pas une communauté homogène partageant les mêmes intérêts. Cette nation comprend en fait deux « groupes nationaux » opposés, les 1% au sommet et les 99% restants. La première de ces « nations » est despotique, sans vergogne et avide ; l’intérêt de son propre pays est le cadet de ses soucis. C’est pourquoi bon nombre de membres des couches dirigeantes ont probablement de discrets comptes bancaires à l’étranger, bien fournis, pour leurs familles ou pour s’offrir des gâteries, par exemple quand ils migrent outre-mer. La seconde « nation » est opprimée, réprimée, exploitée et trompée. Selon une enquête menée par le site Internet NetEast.com en 2006, 64% des Chinois interrogés souhaitaient âprement « ne pas être à nouveau un Chinois dans leur prochaine vie ». La principale raison pour cette aversion était que « l’on gagne fort peu de respect à être Chinois » [11]. Nous souhaitons que quand les peuples d’autres pays se lèvent et dénoncent le mal que leur fait le capital chinois, ils prennent soin de ne pas infliger des dommages collatéraux aux innocents. Je pense notamment à ce sujet aux attaques indiscriminées contre des Chinois au Vietnam en mai de cette année.
De même, le peuple chinois doit réaliser qu’il y a en fait « deux Japon » – un Japon des conglomérats (zaibatsu), magnats de la finance et hauts bureaucrates et un « Japon » des classes laborieuses. C’est le premier « Japon » qui devrait véritablement être rendu responsable des guerres d’agression et de l’expansionnisme économique ; alors que le second « Japon » m’a toujours donné chaud au cœur. De nombreux groupes progressistes et de gauche au Japon se sont des années durant opposés comme il le pouvaient à leur impérialisme, y compris la volonté du gouvernement d’autoriser ses forces armées à s’engager dans une soi-disant autodéfense collective. À l’époque où nous défendions encore les Diaoyu, nous avons reçu le soutien solidaire de la revue Bridge. Des militants syndicaux m’ont manifesté dans l’action leur internationalisme. En novembre 2010, j’ai participé à « l’Offensive générale pour les Droits de Tokyo Est » menée au printemps et à l’automne par le Zenrokyo/Conseil national des syndicats. L’un des cas ciblés lors de cette mobilisation concernait les salaires de retard et indemnités impayées de cinq « stagiaires » chinois [12]. Une délégation syndicale a accompagné les « stagiaires » auprès de leur employeur pour soutenir leurs revendications. Voici ce que j’avais alors écrit dans un rapport sur cette événement :
« M. Hiroshi Nakajima du syndicat Zentoitsu (Tous Unis) et M. Kishimoto, commandant en chef de « l’Offensive générale pour les Droits de Tokyo Est » (syndicat de Tokyo), ont accompagné ces stagiaires et d’autres travailleurs à l’agence . Le patron a tout d’abord refusé de négocier avec eux. Tout notre groupe a alors fait irruption dans son bureau, le forçant a reculer et commencer à négocier. Quand j’ai fait mes adieux aux stagiaires, juste avant mon départ, je me suis souvenu d’avoir rencontré par hasard, une décennie auparavant, des Chinois au Japon qui m’avaient dit que seule l’aile gauche des syndicats était prête à les défendre et leur apporter un soutien fraternel face aux abus commis par leurs patrons ou la police. Le dicton « tous les hommes sont frères » (et sœurs) a plus de sens que jamais pour les masses laborieuses. » [13]
J’ai eu la chance, cette dernière décennie, de pouvoir parler à des amis de divers mouvements en Europe, aux États-Unis et ailleurs, partageant un esprit internationaliste désintéressé. L’adage de Karl Marx « Prolétaires de tous pays unissez-vous ! » n’a rien perdu de son actualité.
Au Loong Yu