Ancienne colonie du Soudan français, le Mali est devenu indépendant le 22 septembre 1960... mais notre impérialisme continue – comme on l’a vu ces derniers mois – à y jouer un rôle essentiel. Intervention militaire française au Mali – toujours en cours –, négociations à Alger entre l’État malien et certains groupes armés, questions économiques (avec au cœur le rôle du FMI) et front social : sans prétendre à l’exhaustivité, nous revenons ici sur quelques aspects centraux du Mali contemporain.
Réalisé par un camarade qui a séjourné au Mali en août et septembre 2014, ce dossier est publié dans l’Anticapitaliste, et dans Afriques en lutte, bulletin de soutien aux combats sociaux et politiques sur le continent africain publié par des militantEs anticapitalistes dont des camarades du NPA.
Les armes continuent à parler
Les interventions militaires, on sait quand ça commence, mais on sait rarement quand (et dans quelles conditions) ça se termine. C’est particulièrement vrai pour l’intervention française au Mali, et plus largement au Sahel, qui a officiellement commencé en janvier 2013 avec l’opération Serval...
Cette opération a changé de nom pour devenir l’opération Barkhane, mais aussi de siège : son quartier général est implanté depuis juillet 2014 à N’Djamena, la capitale tchadienne. En comparaison avec la situation qui prévalait encore il y a un an, elle a aussi et surtout changé d’envergure.
Opérations-interventions françaises...
À l’automne 2013, il fut encore annoncé que les troupes françaises allaient être réduites à 1 000 soldats, après un maximum de 4 500 hommes début 2013. Or, ce nombre a de nouveau atteint cette année en juillet les 3 000 hommes depuis le début de l’opération Barkhane, puis est repassé à 4 000 depuis la mi-octobre. Une annonce faite le 14 octobre dernier par le général Jean-Pierre Bosser...
Évoquant les opérations successives Serval et Barkhane, le Monde du 23 octobre parle du « plus grand théâtre français depuis la Seconde Guerre mondiale ». Un propos qui se réfère aux théâtres d’opération extérieurs... et qui n’est correct que si on ne compte pas les guerres d’Indochine et d’Algérie, se déroulant à l’époque sur des territoires « français » !
Quoi qu’il en soit, le 29 octobre, un dixième soldat français a été tué depuis le début des opérations au Mali il y a un an et demi. Thomas Dupuy est mort au combat dans l’Adrar des Ifoghas, une chaîne de montages désertiques proche de la frontière algérienne.
Des jihadistes toujours présents
Une partie des jihadistes que l’armée française avait prétendu chasser du nord du Mali, y sont toujours bien présents. D’autres, en revanche, se trouvent plutôt dans le sud de la Libye, où les groupes armés du Sahel ont pu trouver un ancrage, mais se déplacent à travers la région.
Le 3 octobre, ce sont ainsi neuf soldats nigériens de la « Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali » (Minusma) qui ont été tués dans le nord du Mali. En septembre dernier, c’étaient dix soldats tchadiens.
Entre fin mai et mi-septembre 2014, au total 28 attaques armées émanant de groupes rebelles et/ou jihadistes contre la Minusma ont été enregistré dans le Nord du Mali. Par ailleurs, le 23 septembre, on a appris qu’un Touareg dénommé Hama Ag-Sid Hamed, auparavant enlevé par des jihadistes – probablement par AQMI (« Al-Qaïda au Maghreb islamique ») – avait été tué. Ses ravisseurs lui avaient coupé la tête pour l’accrocher sur la place du marché de la petite ville de Zouera...
Quels enjeux aux négociations d’Alger ?
Depuis ce 1er septembre, des négociations sont en cours à Alger, où une quarantaine de délégués représentant l’État malien, mais aussi les « organisations de la société civile » et les groupes armés, se font face. À l’heure où ces lignes sont écrites, les négociations directes sont suspendues pour reprendre le 17 novembre. L’enjeu principal : l’autonomie pour les régions du nord du Mali, et si oui, sous quelles formes ?
Pour l’État central, mais aussi pour de larges pans de la société au centre et au sud du Mali, un statut particulier du Nord (« autonome ») serait inacceptable, cela sans même parler d’une séparation et d’une indépendance des régions du Nord. Les habitantEs du Sud argumentent, en général, que les problèmes économiques et sociaux, de pauvreté et de mal-développement, se posent dans toutes les parties du pays, et pas uniquement dans les régions situées au Nord. Sous certaines conditions, une décentralisation serait acceptée, mais avec des règles générales appliquées à l’ensemble des régions, et donc pas de statut particulier.
Autonomie... et trafics
Du côté des groupes armés, il existe des intérêts différents. Les jihadistes ne sont pas directement assis à la table de négociations à Alger, mais le HCUA (« Haut conseil pour l’unité de l’Azawad »), qui participe aux pourparlers, se coordonne avec eux. Il constitue la vitrine civile du mouvement islamiste malien Ansar ed-Din (« défenseurs de la religion »). Par ailleurs, le mouvement, séparatiste mais non islamiste, MNLA (« Mouvement national de libération de l’Azawad »), soutenu par certains membres de la population Touareg, négocie sur ses propres bases.
Fin août, les groupes touareg (MNLA) et jihadistes s’étaient coordonnés à Ouagadougou, pour décider qu’ils ne parleront que d’une seule voix. Le choix de la capitale burkinabé n’était pas un hasard : c’est la ville où le MNLA possédait sa principale base arrière. Une base dont il risque d’être désormais privé, après la chute de Blaise Compaoré fin octobre. Le renversement du président Compaoré lui fait perdre un soutien de taille, ce pilier de la Françafrique ayant en effet longtemps apporté un soutien décisif aux dirigeants du MNLA.
Les séparatistes du MNLA utilisent un langage de « libération nationale », rappelant le vocabulaire de mouvements anticolonialistes et souvent progressistes dans le passé. Cependant, la réalité est plus prosaïque. Le principal enjeu pour les groupes armés, tels qu’ils existent, est de voir aménagée une zone, dans le nord du Mali, qui échappe au contrôle de l’État central malien. Leur intérêt est de maintenir ou de développer, sans être dérangés, les trafics divers qui prospèrent dans la zone saharienne : ainsi, certaines des principales routes mondiales de la drogue (pour le transport de la cocaïne de l’Amérique du Sud, arrivant par les ports de la Guinée-Conakry ou de la Guinée-Bissau, avant de partir vers l’Europe) passent par là. Mais aussi des trafics d’armes, de cigarettes, d’otages, et de plus en plus de migrantEs placés – bien malgré eux et elles – sous l’emprise de cartels et de « passeurs ».
La paix des armes ?
Au cours de l’été, l’État malien avait fait comprendre qu’il pouvait être prêt à intégrer par exemple une partie des troupes du MNLA dans les organes de l’État, notamment dans l’armée. Le MNLA a revendiqué, en réponse, l’intégration de 3 000 de ses hommes dans les rangs de l’armée et l’attribution de 100 postes de généraux (ce qui nécessiterait le doublement des postes actuellement disponibles...). Si le chiffre fera sans aucun doute l’objet de négociations – à la baisse –, le principe même pourrait éventuellement faire l’objet d’un accord.
Toujours est-il qu’un tel mécanisme pourrait être accompagné de différentes modalités. Ainsi, les groupes armés eux-mêmes souhaiteraient disposer de leurs propres unités de l’armée, formées à partir de leurs combattants, qui contrôleraient de larges parties du Nord sous leur propre responsabilité. Cela équivaudrait peu ou prou à la situation qui prévalait suite aux accords d’Alger de 2006, conclus avec une rébellion précédente du Nord-Mali, et jusqu’à la crise aiguë de 2011-2012. Certaines unités entières de l’armée avaient alors rejoint le MNLA, avec armes et bagages. À l’inverse, certains observateurs du Sud seraient pour accepter l’intégration de combattants du MNLA dans l’armée malienne… mais à condition qu’ils soient ensuite répartis sur le reste du territoire national, dans un « mix » des troupes à travers le pays.
Par ailleurs, le gouvernement central a déclaré que le principe même de l’« unité de la République » et son caractère laïque – les deux étant inscrits dans la Constitution – étaient intouchables, c’est-à-dire non négociables. Bien entendu, ce dernier point est contesté par les groupes islamistes et jihadistes.
L’économie... et la « bonne gouvernance » du FMI
La situation financière de l’État malien s’est quelque peu améliorée depuis la fin septembre. À cette date, le FMI (Fonds monétaire international) a repris sa coopération avec le gouvernement malien, qui reste malheureusement toujours autant dépendant de crédits extérieurs, puisque le pays occupe une place très défavorable dans la division du travail internationale du capitalisme.
Ainsi, sur l’une de ses richesses principales, l’or, l’État malien touche au maximum 15 % sur les bénéfices d’exportation des groupes capitalistes qui l’exploitent (européens, canadien, sud-africains…). La plupart des biens exportés par le Mali ne subissent aucune transformation sur place, la plus-value résultant de la transformation étant réalisée ailleurs.
Industrie liquidée
Pendant la première décennie qui a suivi l’indépendance de 1960, le gouvernement de Modibo Keïta – renversé par l’armée en novembre 1968 – avait tenté d’y remédier, en substituant les produits d’une économie nationale aux importations (et aux exportations de bien non transformés). Or, après le putsch de fin 1968, la plupart des « expériences socialistes » ont été arrêtées et leurs produits liquidés. Il restait un certain nombre d’entreprises nationales, parfois productives, comme la Huicoma (pour « Huileries et cotonneries du Mali ») à Koulikoro, à soixante kilomètres de la capitale Bamako. Celle-ci transformait les grains du coton en huile, savons et d’autres produits transformés.
Or, objet d’une privatisation de type mafieuse au profit d’un richissime homme d’affaires malien, cette unité a été cassée en 2008. Les travailleurEs ont été licenciés, mais grâce à une lutte longue et exemplaire d’environ deux ans, ils/elles ont pu partir avec des indemnités substantielles. Récemment, en septembre 2014, le gouvernement malien a entre-temps publiquement évoqué l’idée d’un investissement public pour faire redémarrer la production de la Huicoma. Il reste à confirmer l’annonce par des actes…
Sous pression de la finance internationale
Le FMI avait sanctionné le gouvernement malien, lui reprochant une absence de « bonne gouvernance » : il aurait dilapidé l’argent public, ainsi que celui qui avait été emprunté. Cette critique était en partie fondée, dans la mesure où le président « IBK » (Ibrahim Boubacar Keïta), élu en août et arrivé au pouvoir en septembre 2013, s’était dépêché de faire acheter un deuxième avion présidentiel flambant neuf. Le précédent avion ne semblait pas assez bon à ses yeux ou à ceux de son entourage. Or, l’achat de cet Airbus, pour une somme d’environ trente millions de dollars, a donné lieu au versement de multiples et juteuses « commissions » à différents intermédiaires...
Ce type d’enrichissement plus ou moins mafieux – que connaissent aussi sous d’autres cieux les Pasqua, Sarkozy, Guéant ou Takieddine… – est bien entendu hautement critiquable. Cependant, il avait permis au FMI, mais aussi à l’Union européenne et à d’autres représentants des grandes puissances, de s’ériger en donneurs de leçon, à propos des bonnes manières de gérer l’argent public. Or, en réalité, ce sont surtout les dépenses publiques en matière de santé, d’éducation… qui sont dans la ligne de mire d’institutions telles que le FMI : pas question de laisser filer cette dépense socialement utile !
Au mois de septembre 2014, le FMI a cependant considéré qu’il avait suffisamment montré ses muscles et que sa leçon avait apparemment été comprise par les premiers intéressés. Depuis, la « coopération » a redémarré : l’« aide budgétaire » et de nouveaux emprunts permettant au gouvernement maliens de rembourser les anciens crédits et de payer le service de la dette (taux d’intérêt, etc.).
Cela ne permettra nullement au Mali de sortir de la dépendance structurelle, dans laquelle les grandes puissances voudraient le maintenir. N’oublions pas qu’en mai 2013, à la fin de la première phase de guerre, plusieurs puissances internationales réunies à Bruxelles avaient « généreusement » promis d’apporter une aide financière au Mali. À l’époque, cela était présenté comme s’il s’agissait de dons. Or, il s’est avéré par la suite qu’au moins une partie des sommes en question (dont 25 % de l’argent mis sur la table par l’exécutif français) correspondait à des crédits, remboursables et conditionnés. L’une des conditions était que le Mali ne doit surtout pas arrêter de payer sa « dette », aussi illégitime qu’elle puisse être…
Pour tout l’or du Mali...
En Europe, on a l’habitude de considérer le Mali – parmi d’autres États de la région – comme « un pays pauvre ». Or, ce pays compte évidemment des richesses qui, si les fruits de leur exploitation étaient moins inégalement distribués, pourraient garantir une vie plus décente à des millions de ses habitantEs.
Au 14e siècle, plus précisément en 1324 et 1325, l’Empereur du Mali de l’époque a provoqué une inflation mondiale et ruiné les économies de certaines régions qu’il traversait, en raison de sa richesse propre immense. Appelé Kanga Moussa, l’homme fut à la tête d’une monarchie qui portait bien déjà le nom de « Mali », mais dont les frontières étaient différentes de celles d’aujourd’hui. Le site Slate Afrique a ainsi affirmé que ce monarque était « l’homme le plus riche de l’histoire et de la planète », en calculant son pouvoir d’achat et en tenant compte de l’inflation survenue depuis. Lorsqu’il se rendit en pèlerinage à La Mecque, ce monarque transportait avec lui tellement d’or (selon la légende, 80 chameaux portant chacun 150 kg d’or) qu’il allait provoquer une chute brutale du cours de l’or au Caire.
La raison de cet impact économique résidait dans les richesses aurifères du Mali. Or, les choses n’ont pas tellement changé : on extrait toujours le métal jaune au Mali et dans toute la région. Le véritable centre géologique des concentrations en or se trouve plutôt au Ghana, plus au sud, mais l’érosion naturelle et l’œuvre des rivières ont fait que des portions importantes du métal précieux ont été transportés vers le nord. On en trouve donc sur toute la bande allant de la Guinée au Burkina Faso, en passant par le Mali (dans ses frontières actuelles).
Qui en profite ?
Mais à la différence de ce qui se passait il y a 700 ans, l’État malien ne profite plus guère de son extraction. Le gouvernement a même du mal à faire respecter aux multinationales la règle selon laquelle 15 % du bénéfice (au maximum) doivent revenir au pays. Ainsi, on projette actuellement la fermeture de la Morilla pour 2015 en raison d’un désaccord persistant entre l’État et l’entreprise concernant les masses extraites et la somme devenant revenir aux autorités maliennes. Une réouverture ultérieure semble cependant envisagée... avec une exploitation par d’autres firmes.
Tout autour des mines « officielles » se sont greffés les campements des orpailleurs « sauvages », dont l’activité ferait vivre, selon des chiffres des autorités, jusqu’à deux millions de MalienEs. Grâce à ce travail potentiellement dangereux, les chercheurs et chercheuses d’or font vivre leurs familles ou financent leur scolarité, leurs études. Or, début septembre dernier, 16 jeunes orpailleurs ont trouvé la mort, à Kangaba (près de la frontière guinéenne), dans l’effondrement de leur trou.
Depuis, le gouvernement a tenu des assises le 18 septembre pour définir une « meilleure régulation » du secteur. À côté de mesures positives (ainsi l’interdiction du mercure, particulièrement dangereux sur le plan écologique, et d’autres substances chimiques, l’interdiction du travail des enfants...) se profilent cependant des mesures restrictives qui visent à écarter les orpailleurs du business juteux. De plus, la proclamation d’une interdiction de creuser dans le sol aux ressortissants des pays voisins (Guinée, Liberia, Burkina Faso) est particulièrement critiquable, d’autant plus qu’il y a tout autant de MalienEs qui tentent leur chance dans ces mêmes pays voisins. Quand la rumeur annonce que des quantités importantes d’or sont à découvrir, toutes les personnes qui participent à l’activité se déplacent d’un pays à l’autre, que ce soit du Mali vers la Guinée, ou de la Guinée vers le Mali, etc.
Le pays en grève générale
Les 21 et 22 août derniers, l’UNTM (Union nationale des travailleurs maliens) a appelé à une grève générale. Celle-ci a été très bien suivie.
Plus de 95 % dans les secteurs où le salariat « formel » est la règle – donc en dehors du très large secteur « informel » et de l’économie de subsistance –, tels que les transports publics ou les administrations.
L’UNTM n’est pas un syndicat de lutte de classe, mais plutôt un appareil bureaucratique dont la direction reste liée à l’État. Mais arrivé il y a moins d’un an, le nouveau bureau était obligé de « faire ses preuves » vis-à-vis d’une base socialement impatiente.
À côté de revendications salariales plus « classiques », la centrale syndicale a aussi défendu des revendications qui concernent toutes les classes populaires, au-delà du salariat (au sens strict).
Ainsi l’UNTM a-t-elle demandé une baisse des tarifs pour l’eau potable et l’électricité, qui venaient d’augmenter de 20 % parce que le FMI avait exigé du gouvernement qu’il arrête de « subventionner » ces services...
Jusqu’ici, l’UNTM n’a pas su imposer la satisfaction de ses revendications. Une nouvelle grève générale n’est actuellement pas exclue
Dossier réalisé par Bertold du Ryon