Pour l’essentiel Laclau, de manière assez sophistiquée, développait une orientation stratégique de « démocratie radicale », opposée à l’orientation social-démocrate. Il s’inscrivait toutefois dans un horizon post-marxiste, marqué par son expérience en Argentine, puis par ses liens avec Eric Hobsbawm qui appuyait sa carrière à Oxford. Dans l’orientation politique développée, pour faire court, il n’y avait pas place pour une « crise révolutionnaire », dès lors pour une pensée stratégique dans une perspective de double pouvoir, pour faire exemple, dans une perspective de rupture – toujours peu prévisible – pouvant intervenir après une accumulation de matériaux inflammables
Comme le résumait bien un de ses admirateurs français, Jean Claude Monod : « Pour Laclau, la gauche ne devait pas se couper du peuple, mais elle ne devait pas croire “faire peuple“ [formule à la Mélenchon avant la lettre], en renonçant à des avancées qu’on dit aujourd’hui avec dédain “sociétales“, comme le mariage gay ou la facilitation des conditions de vie souvent les plus précaires, des travailleurs immigrés par exemple. En revanche, il fallait que la gauche ne renonce pas à une certaine [sic !] capacité à désigner des ennemis ou des adversaires, et ne paraisse pas réconciliée avec toutes les réalités contre lesquelles elle s’est historiquement construite : l’exploitation, l’inégalité, la mise en concurrence des individus, etc. » (in Libération, 16 avril 2014)
Il faut noter la tournée en Amérique latine de la direction de Podemos, composée de Pablo Iglesias, Iñigo Errejón y Pablo Bustinduy. Ils ont, entre autres, rendu visite au président plus que normal d’Uruguay : Pepe Mujica. Ce dernier mène une politique économique social-libérale (privatisation, sous-traitance, ouverture au capital privé – uruguayen comme étranger – des entreprises publiques, etc.), avec quelques touches saupoudrées d’assistance sociale.
Le Frente Amplio est au pouvoir depuis 2004, avec le docteur Tabaré Vazquez comme premier président. Il va se représenter suite au mandat de Pepe Mujica, en fonction depuis le 1er mars 2010 et élu en novembre 2009. Le Frente Amplio est en recul dans les sondages, face aux deux partis bourgeois traditionnels. Tabaré exige un pouvoir incontesté pour se présenter un chef.
Pepe Mujica, ex-Tupamaros (sur l’histoire au pouvoir desquels il faudra revenir : un ouvrage d’Ernesto Herrera sera publié sur ce sujet), est une figure qui correspond au schéma « anti-caste » d’Iglesias. Ne vit-il pas dans sa petite ferme (chacra) et non dans le Palace présidentiel ou dans une maison de maître, comme Tabaré Vazquez. Pepe Mujica sait cultiver son image « populiste ». Pour preuve, Pablo Iglesias a déclaré : « c’est un exemple de décence, de vertu civique et d’engagement auprès des plus nécessiteux ». On se demande si la délégation de Podemos a étudié la politique économique et sociale du gouvernement d’Uruguay pendant les 10 dernières années. En particulier, envers les firmes transnationales.
Planet expert écrit à ce propos, après avoir vanté la « stabilité poltico-économique » du pays : « L’investisseur étranger a la possibilité de développer tout type d’activité et ce, dans les mêmes conditions que les investisseurs locaux. Dans certains domaines d’activité protégés par l’Etat, l’investisseur étranger peut développer des activités dans le cadre du système de l’octroi de marchés publics de travaux. Le gouvernement incite les investissements étrangers en proposant des exonérations fiscales pour l’investissement. » Une vraie politique « progressiste » ! L’évolution des IDE montre l’attraction du pays pour le capital brésilien, européen, chinois. L’ambassade américaine – dont l’infrastructure, à elle seule, démontre sa fonction régionale – dispose d’une vraie influence avec son ambassadrice : Julissa Reynoso.
Pablo Iglesias (selon le quotidien Publico de Madrid, en date du 2 octobre 2014) a consacré ses commentaires, dans cette rencontre d’une heure et demie avec Pepe Mujica, « à la nécessité de renforcer l’intégration latino-américaine comme pôle démocratique mondial » et à la « crise européenne et à la possibilité que cette dernière conduise à des changements démocratiques et populaires ».
Au-delà d’une adhésion politico-identitaire aux gouvernements « progresisstes » d’une partie de l’Amérique latine, on peut se demander si une connaissance informée effective de ces sociétés (et non pas de leurs seuls porte-parole) et des politiques menées – cela sans sectarisme euro-centré – ne serait pas utile pour une discussion internationaliste dans Podemos et en Europe. Il nous semble que oui.
Rédaction A l’Encontre