On comprendrait aisément que la perspective de passer trois années en prison conduit Jérôme Kerviel à multiplier les tentatives pour obtenir, sans succès, un nouveau délai. Dans ce combat, il aura trouvé le soutien d’une partie de l’Église catholique désireuse d’accréditer l’idée d’une nouvelle image plus sociale, et – plus étonnant – celui d’une partie de la gauche faisant passer l’ancien trader profiteur-perdant d’un système capitaliste sans vergogne pour un héros de l’anticapitalisme injustement condamné...
Certes, Kerviel est un lampiste. Et s’il va en prison, c’est que l’ordre établi, dont il aura voulu pousser la logique d’enrichissement sans limite à son propre profit, ne tolère pas que des francs-tireurs se prennent au jeu et détourne le système. Il fallait donc faire un exemple… Et la banque a trouvé dans le tribunal qui condamna le trader, une justice complaisante envers la richesse institutionnalisée, une justice qui s’en arrêta aux premières impressions sans chercher à savoir comment il était possible de détourner tant d’argent sans que l’environnement professionnel ne le décèle...
Aussi, un procès reste à faire : celui d’un système capitaliste prédateur qui, pour valoriser les profits d’une minorité de possédants, utilise un secteur bancaire tentaculaire qui multiplie les produits financiers et les opérations de marché... Et forme des salariés pour cela. Des pratiques qui conduisent périodiquement à des crises aux conséquences dramatiques, comme la crise des subprimes de 2008 dont les peuples n’ont pas fini de payer la facture.
Ironie de l’histoire, au moment où Kerviel est embastillé, les médias annoncent que de grandes banques européennes seraient sur le point de plaider coupable… aux USA. Accusées d’avoir aidé des contribuables étatsuniens à échapper au fisc, elles pourraient être condamnées à verser plusieurs milliards de pénalité – une somme dérisoire au regard des montants exorbitants planqués : quelque 4 000 milliards de dollars pour une seule des banques concernées selon le quotidien les Échos.
Notre salarié-spéculateur n’était donc qu’un amateur, mauvais joueur et mauvais perdant. C’est tout le système qu’il faut juger et condamner pour détournement.
Côme Pierron