Première partie : la malédiction des ressources et la montée des résistances sociales
On prévoit que l’African National Congress (ANC), dirigé au cours de la décennie 1990 par feu Nelson Mandela, sera réélue lors des élections nationales d’Afrique du Sud le 7 mai 2014 par une majorité, vraisemblablement entre 50 et 60% des suffrages. Mais sous la surface de l’apparente popularité du parti gouvernemental, la société bouillonne de fureur, en partie en raison de la mauvaise gestion des vastes richesses minières. Les politiques et pratiques de plus en plus vénales des dirigeants économiques et politiques sont tellement graves que non seulement les élites de l’ANC ont joué un rôle direct dans le massacre des mineurs en grève, en août 2012, mais que le monde des affaires d’Afrique du Sud fut bientôt classé par la société d’audit PriceWaterhouseCoopers comme « chef de file mondial en matière de blanchissement d’argent, versement de pots-de-vin et corruption, fraude dans les approvisionnements, détournement de biens et autres crimes » dont les directions internes sont responsables à plus de trois quarts de ce qui est appelé des niveaux « époustouflants » de vol [1]
Face à un tel degré de dégénérescence au sommet, la gauche socialiste impuissante du pays a été agréablement surprise, en décembre 2013, lorsque le plus grand syndicat en Afrique, le National Union of Metalworkers of South Africa (Numsa) fort de 342.000 membres, a rompu avec l’ANC. Le Numsa s’est engagé à organiser les mineurs et n’importe quel travailleur mécontent ainsi qu’à reconstruire sans relâche une nouvelle gauche sud-africaine à partir d’en bas, comprenant les mouvements sociaux radicaux qui étaient alors qualifiés comme « gauchistes », pour la simple raison qu’à partir du début des années 2000 ils s’étaient déjà coupés de l’ANC. Le « moment Numsa » – qui peut, je pense, être opposé au récit et à la défense du « moment Lula » (Brésil), soutenu par des syndicalistes officiels d’Afrique du Sud qui ont une orientation similaire à celle de l’appareil de la CUT brésilienne – est d’une importance énorme. Cela, en particulier, s’il conduit à une « approche de front unique » ainsi qu’à un « mouvement vers le socialisme » tels que promis lors du Congrès « Ouvrons de nouvelles voies » (Breaking New Ground ») de 1300 délégués qui s’est tenu juste une semaine après le décès de Mandela, le 5 décembre 2013 [2].
Confrontés toutefois à un mouvement de libération nationale aussi fort et prestigieux, l’ANC, dont le dirigeant le plus célèbre est resté membre jusqu’à la fin de sa vie, le Numsa et ses nouveaux alliés ne vont pas s’engager dans une bataille de pouvoir lors des prochaines élections. Ils doivent travailler à la construction d’alliances à l’échelle locale, alors que les conditions sociales et économiques sous-jacentes continueront de se détériorer. Voilà une des conditions pour que le Numsa puisse – c’est sa volonté – ranimer la confiance des « vieux révolutionnaires » et créer une nouvelle génération de militants.
C’est précisément ce qui se déroule, 20 ans après les premières élections démocratiques du pays, le 27 avril 1994. Alors que commence l’année 2014, les meurtres par l’Etat de militants s’opèrent régulièrement : neuf au moment d’écrire cet article, fin février 2014. Début février, un « incident » lié à des brutalités policières, dans une région de plantations d’agrumes dans le nord, a poussé 2000 habitant·e·s en colère à manifester devant un poste de police. Ils brûlèrent l’édifice, laissant trois agents de police dans un état critique – alors qu’une grêle de tirs à balles réelles de la police tua deux manifestants. A l’est de la capitale Pretoria, une protestation similaire, avec l’incendie d’un poste de police, se déroula dans le sillage de coupures d’électricité si régulières pour les zones démunies. Début février, à East London, une ville portuaire de 750.000 habitant·e·s, les travailleurs municipaux prirent d’assaut l’hôtel de ville, bombardant avec des cocktails Molotov une salle du Conseil municipal. Des explosions semblables se sont fait sentir dans des townships à travers le pays. Mais, en 2014, l’intensité de ces heurts semble s’accroître. On estime que 2014 dépassera l’année record précédente : une moyenne quotidienne de cinq « protestations violentes » enregistrées par la police, auxquelles il est généralement répondu par l’usage de la force la plus extrême.
Richesse minière et pauvreté des travailleurs
La partie du pays où la tension était la plus grande était probablement le vaste district minier rural à l’ouest de Pretoria, où il semblait que tout s’effondrait au même moment : Madibeng, où vivent un demi-million de personnes. Son appellation dans la langue locale setswana, « place d’eau », fut choisie à la suite de la construction de quatre grands barrages à l’époque de l’apartheid pour fournir en eau les fermiers blancs et les compagnies minières.
L’un des sites les plus assoiffés – et en colère – au sein de la région de Madibeng est le township d’Hebron, où des protestations de quartiers explosèrent en janvier 2014 parce que l’eau courante n’était pas fournie depuis plusieurs semaines, bien qu’il se situe à seulement 30 kilomètres au nord-ouest du principal bureau du président Jacob Zuma (en place depuis mai 2009), sis dans l’Union Buildings [siège du gouvernement, édifié par les anglais entre 1910 et 1913].
Environ 10 kilomètres plus à l’ouest on trouve Mothutlung, lieu de manifestations intenses au cours desquelles la police répondit en abattant quatre personnes.
En direction de l’ouest, à encore 30 kilomètres, on rencontre Majakaneng où les protestations pour l’eau, en février, obligèrent le gouverneur provincial à non seulement effectuer de nouveaux sondages et à prendre en charge l’administration municipale, mais – de manière significative – à rediriger l’eau d’une mine importante vers l’agglomération.
Environ 60 kilomètres plus au nord, il y a Jericho, sans eau également depuis plusieurs semaines, également aux prises avec des protestations violentes. Si, au contraire, vous voyagez 20 kilomètres à l’ouest, vous arriverez à Marikana, le puits minier le plus célèbre d’Afrique où 34 mineurs en grève (qui extraient du platine) furent massacrés par les tirs de la police le 16 août 2012.
Cette région pourrait, à condition d’être administrée différemment au niveau local et de l’Etat national, devenir l’une des plus prospères d’Afrique. Au moins 80% des réserves connues de platine sur Terre se trouvent en Afrique du Sud, dans un arc dont la base passe à travers Madibeng où 1,1 million d’onces furent extraites en 2007 au sommet du boom des minéraux. Le site internet de la municipalité se vante que « certains des plus riches gisements de platine et les plus importantes réserves de chromate se situent à Madibeng. S’y trouvent d’autres produits miniers tels que le ferrochrome [utilisé pour rendre l’acier inoxydable], des carrières de granite et de pierre, des sables de silice [utilisé dans la fabrication de verre et d’instruments dérivés du verre, appareillage d’optique par exemple ; c’est aussi un excellent isolant électrique] et de vanadium pentoxyde [utilisé également dans des alliages et comme antixoydant]. » [3] En 2011, les neuf principales compagnies minières actives principalement dans cette région enregistrèrent 4,5 milliards de dollars de profits.
On trouve également dans la région de riches plantations, le site internet continuant ainsi : « En raison des ressources disponibles en eau, du climat agréable et de différents types de sols fertiles, la région se prête bien à la production d’une variété de produits agricoles tels que, entre autres, les légumes, les fruits, les fleurs, les grandes cultures, la volaille, le bœuf et les produits laitiers. » L’agrobusiness aux mains des Blancs bénéficie d’excellentes installations développées pendant plus d’un siècle et demi, ce qui inclut l’irrigation. Des arrosages abondants verdissent également le Pecanwood Golf Estate, dont le parcours a été conçu par Jack Nicklaus [américain âgé de 74 ans, après une carrière en tête des joueurs professionnels de golf, il se consacre à la conception de parcours de golf ainsi qu’à la vente d’équipements liés à ce sport « de classe »] près du barrage de Hartbeespoort, juste de l’autre côté du lac qui arrose certains des quartiers les plus riches du pays. Par exemple, Kosmos Village qui est une « gated community » [« résidence protégée », dans le cas de cette localité il y a un seul accès] dont les domestiques vivent, à un jet de pierre, dans l’un des sites où la mise face à face de la pauvreté et de la richesse est l’une des plus criantes d’Afrique du Sud.
La misère des bidonvilles
Il y a vraisemblablement un million de baraques dans un rayon de 200 kilomètres autour de cette chaîne minière, le Witwatersrand. Elles surgirent tout d’abord après 1884 lorsque de l’or fut trouvé à Johannesburg, une ville qui est encore aujourd’hui la principale mégapole industrielle d’Afrique. Mais la plupart des baraques dans cette mégapole de 10 millions d’habitant·e·s furent construites en 1986 après la fin des Pass Laws [instaurant un système de passeports interne au pays, contrôlant, restreignant et interdisant donc la liberté de circulation] de l’apartheid et l’annulation, en 1991, du ségrégationniste Group Areas Act [établissant des « zones réservées » selon les « races »].
Des migrations plus rapides des campagnes vers les villes en furent la conséquence. Toutefois la grande majorité de la construction de ces baraques s’effectua sur des terres sans système « formel » de fourniture d’eau, d’électricité et d’évacuation des eaux usées. « Solution » : faire ses besoins dans des latrines non desservies ou même dans le veld [terme qui désigne les savanes du sud de l’Afrique]. Par conséquent, en particulier après les pluies, les excréments s’écoulent dans les rivières Crocodile, Jukskei et Hennops qui s’écoulent dans le lac artificiel de Hartbeespoort provoquant de dangereuses poussées de concentrations de colibacilles [abrégé E. coli, il s’agit d’une bactérie intestinale, dont certaines souches peuvent provoquer infections urinaires, méningites, gastro-entérites…]. A partir de 2010, ces dernières ont atteint des niveaux tellement élevés que le principal grand magasin dans lequel se fournissent les élites du pays menaça de cesser d’acheter des produits agricoles provenant des fermes fertiles de Madibeng irriguées par le vaste système de canaux qui s’approvisionnent à partir de la retenue d’eau.
Hartbeespoort Dam, célèbre pour les sports nautiques, pue désormais souvent. Cela est dû à une algue toxique, les cyanobactéries [algues bleu-vert] et la jacinthe d’eau [plante invasive qui constitue aujourd’hui l’un des fléaux les plus importants des plans d’eau douce dans le monde] qui toutes les deux détruisent la salubrité de l’eau et la valeur esthétique immédiate du lieu. La couleur de l’eau est souvent d’un vert brillant à l’apparence sinistre. Pourtant, de loin, l’odeur et le poison sont invisibles ; depuis les dizaines de stations de montagne de Magaliesberg on a une vision intacte du lac.
Chaque week-end les manoirs et les réserves au sud du lac abritent toujours des mariages démonstratifs pour les riches couples (presque toujours blancs) de Johannesburg et de Pretoria. Les montagnes de Magaliesberg abritent également le site, patrimoine de l’humanité, du « berceau de l’humanité », où le crâne le mieux conservé de l’Australopithecus africanus – ancêtre commun de l’humanité, âgé d’environ 2,1 millions d’années – a été surnommé Miss Ples. Lors du boom de la construction des années 1950, le crâne fut découvert par des compagnies fabriquant du ciment qui creusaient pour extraire de la chaux, dans laquelle ces os étaient bien préservés.
De l’autre côté du barrage de Hartbeespoort, la Crocodile River, s’écoulant en contrebas, est rapidement à nouveau polluée par le lixiviat [liquide résiduel qui provient de la percolation de l’eau au travers d’un matériau] des mines, les pesticides agricoles et les écoulements d’engrais, sans oublier les déchets humains provenant des bidonvilles. Près de la mine Barplats Crocodile River, par exemple, non loin des locaux municipaux de Madibeng dans la petite ville de Brits, la puanteur de la rivière est devenue insoutenable fin 2012. Nic Fourie, membre de l’administration qui gère l’irrigation de Hartbeespoort, déclare : « nous avons convoqué à une réunion la municipalité de Madibeng, la mine de Crocodile River et le département du service des eaux au canal afin de démontrer la gravité de la situation. Bien sûr de nombreuses promesses furent faites par tous les acteurs principaux, mais rien n’a été fait. » Ce que réfute la porte-parole de la mine, Zelda le Roux « Le campement de cabanes informel est situé sur une terre possédée par Monsieur J. Goosen. Barplats [la mine] ne promeut pas les pratiques d’installation informelle. Les occupants de ce campement sont employés par divers fermiers, des firmes de sous-traitance et des entreprises autour de la région. » [4]
Encore non résolu aujourd’hui, ce conflit local révèle à quel point la planification municipale à Madibeng échoue complètement à intégrer les intérêts sur le long terme des élites de la région, qu’il s’agisse des compagnies minières, de l’agrobusiness ou du secteur des services. Ces entreprises ont besoin – et obtiennent – de la force de travail à un prix extrêmement bas. Mais dans leur infatigable stratégie visant à diminuer les niveaux de salaires, ils souillent leur propre nid [soil their own nest]. Ils demeurent réticents à financer les infrastructures sociales et écologiques qui assureraient une profitabilité « soutenable ». La reproduction de classe, elle-même, est ainsi remise en question. En janvier 2014, les soulèvements de plus en plus violents de Madibeng obligèrent finalement la ministre de l’eau, Edna Molewa – ironiquement, elle-même une habitante de Madibeng, venant d’une banlieue riche près de Hartbeespoort –, à effectuer une visite des lieux. Elle donna des instructions pour que les autorités nationales fassent des réparations des canalisations et des pompes municipales.
Les contradictions sociales et écologiques dans cette partie de l’Afrique du Sud sont aussi extrêmes que celles aiguës ailleurs dans le monde. Pourtant, les élites de Madibeng avaient de nombreuses possibilités de partager la richesse de la municipalité au cours des deux dernières décennies. Il aurait été possible de le réaliser, par le biais d’une taxe élevée mise sur la consommation de forts volumes d’eau. De manière à disposer de ressources suffisantes pour fournir des services répondant à des besoins de base des habitant·e·s les plus pauvres et, aussi, pour améliorer l’entretien des conduites et du pompage ainsi que pour étendre le réseau d’eau ; ceci au moment où les minerais de la région étaient excavés et que des dizaines de milliers de nouveaux emplois étaient créés dans les mines de Madibeng au cours des années 2000. En particulier, à l’occasion du boom du cycle des matières premières. En l’absence de mesures aussi élémentaires, éclatèrent de nombreuses explosions sociales et politiques en janvier, culminant dans la grève massive des mineurs de la platine.
Des batailles pour l’eau
Ainsi, le 13 janvier 2014, à Mothutlung, ce qui avait débuté comme une manifestation pacifique contre le manque d’eau pour des milliers de ménages – en raison d’une pompe qui ne fonctionnait plus – aboutit à la présence des mêmes officiers de police et policiers qui avaient massacré les mineurs de Marikana, dix-sept mois plus tôt. Ils tuèrent quatre personnes en utilisant des balles réelles qui avaient été prétendument interdites huit ans plus tôt.
L’une des victimes fut un photographe free lance de soixante-cinq ans. Furieux, les habitant·e·s de Madibeng s’engagèrent dans des manifestations sur la question de l’eau au cours de la semaine suivante. Elles commencèrent dans la localité voisine de Hebron puis s’étendirent à Jericho où l’eau du réseau municipal n’avait pas été fournie depuis des mois.
Résoudre ces problèmes a été rendu plus difficile parce que l’on découvrit, lors d’une seule enquête, que plus de 340 bureaucrates municipaux de Madibeng – qui traitaient avec le gouvernement entre 2005 et 2010 – dirigeaient illégalement des affaires [5]. On désigne ce problème avec mépris en faisant usage de l’expression « tenderpreneurship », ce qui signifie accorder au travers d’un processus corrompu d’adjudication de petits contrats aux nouveaux entrepreneurs africains. Ce stratagème fut concocté par le parti dirigeant [l’ANC] et le grand capital au cours de la fin des années 1990 au titre de leur stratégie « profit-friendly » pour déracialiser l’apartheid. Le « partenariat privé-public » dans le vol est bien avancé à Madibeng. Il était fort connu que la panne de la pompe à Mothutlung était le résultat d’un sabotage réalisé par un contractant privé qui souhaitait qu’on lui attribue la réparation de cette même installation.
Avec une dégénérescence d’une telle ampleur, il n’est pas surprenant que la lutte de classes explose ouvertement et régulièrement. Au début 2012, la plus grande des trois plus importantes firmes de platine, Implats, a subi une grève qui l’a paralysée. Au début 2013, la deuxième plus importante, Anglo American Platinum, annonça la fermeture de puits et le licenciement de 13’000 mineurs. Elle retira les menaces les plus extrêmes et « seulement » quelques milliers furent jetés à la rue. Fin février 2014, les trois plus importantes firmes de platine furent touchées par la grève des 80’000 membres de l’Association of Mineworkers and Construction Union (AMCU). Les travailleurs insistèrent sur une augmentation salariale de 100% comprenant un minimum de 1’160 dollars par mois. La plupart des compagnies minières offrirent 40% de ce qui était revendiqué. Au moment où cet article est sous presse, fin février 2014, les propriétaires de la mine campent sur leurs positions avec une offre au-dessous de 9% (avec une augmentation pour les gens à bas revenus atteignant 7%). [6]
Les travailleurs étaient désespérés alors que leurs salaires étaient retenus régulièrement par un système usuraire de « garnishee » (un ordre judiciaire de retenue de salaire), mis en place par des créanciers de la microfinance omniprésents ainsi que par leurs juristes. [7] Ceux-ci étaient principalement les mêmes hommes blancs afrikaners qui, des générations plus tôt, occupaient simplement la bureaucratie d’Etat pour opprimer les travailleurs noirs. Aujourd’hui, le système financier et légal reproduit le même pouvoir de classe/race. Cette crise de la dette des ménages affecte plus de 13% de tous les mineurs à travers l’Afrique du Sud et 9% de l’ensemble de la force de travail. Au moins la moitié des emprunteurs du pays appartiennent désormais formellement à la catégorie des « prêts douteux », pour non-remboursement de la dette. Si vous vous promenez dans la principale rue de Marikana, plus d’une dizaine de locaux de « prêteurs le jour de paie » (pay-day lender) et de microfinance (« mashonisa ») s’imposent dans un fatras de points de vente de biens de consommation de basse qualité.
Continuez un kilomètre en direction de l’est et vous tomberez sur la tristement célèbre « montagne » – une butte rocheuse, que l’on nomme « kopje » dans la région –où les mineurs se réunirent avant le massacre. Il y a, à proximité, un bidonville, Nkaneng, ce qui signifie dans la langue sotho et xhosa « emporter quelque chose par la force. » Les baraques de tôle de Nkaneng ne bénéficient d’aucun service visible de l’Etat et seulement quelques projets insignifiants de la Corporate Social Responsibility-CSR [soit la « philanthropie d’entreprise » ou la « responsabilité sociale » de celle-ci].
Le travail migrant [de pays voisins] prévaut, reproduisant nombre des aspects les plus durs sous-tendant l’économie politique de l’apartheid. Et cela à un jet de pierre de l’un des gisements de minéraux les plus riches du monde et de mines qui appartiennent aux trois plus importantes compagnies minières de platine : AngloPlats, Implats et Lonmin.
La Banque mondiale (BM) a même jugé que Lonmin était l’une des plus grandes histoires à succès d’investissement externalisé de la responsabilité sociale d’entreprise, et sa subsidaire – Société financière internationale de la BM – autorisa en 2007 un investissement s’élevant à 150 millions de dollars afin de soutenir le CSR de Lonmin à Marikana. Ses pratiques, allant du développement économique aux procédures de soumissions progressistes d’un point de vue racial en passant par une implication de la communauté dans les relations hommes-femmes au travail, sont décrites comme étant « des plus exemplaires ». Cela s’est révélé être une farce [8].
De Lonhro à Lonmin
Lonmin a aussi justifié l’extraction minière sur des terres volées en ignorant le long contexte historique précédant la dépossession de terres en 1913. L’entreprise a minimisé la relégation de la zone riche en platine juste à l’est de Marikana à un statut de « Bantoustan » : elle était connue comme la dictature tyrannique « Bophuthatswana » entre 1961 et 1994.
Un autre élément important, lié au contexte historique, et ignoré dans toute la littérature de la Banque mondiale qui met en avant Lonmin, réside dans les origines de cette firme. De 1909 à 1999 – en tant que « Lonrho », soit the London and Rhodesian Mining and Land Company Limited, Lonrho avait une très mauvaise réputation pour son rôle en Afrique du Sud et ailleurs, en particulier au cours des années 1962-1993 lorsqu’elle était dirigée par Roland « Tiny » Rowland [1917-1998 - à la tête de Lonhro de 1962 à 1994]. Ainsi que l’explique le journaliste Brian Cloughly, le premier ministre britannique d’alors, Edward Heath [dirigeant des tories, à ce poste entre 1970 et 1974], appelait Lonrho : « la face désagréable et inacceptable du capitalisme. La description était exacte, car Rowland était un brigand omniprésent qui s’adonnait à la corruption, aux combines pour éviter les impôts et à l’ensemble des trucs ingénieux destinés à rendre des gens brutaux, sans scrupule, riches et pour le garder sous son contrôle. » [9]
Le 16 août 2012, Marikana a été le lieu d’un massacre prémédité, ainsi que cela est devenu clair lors des témoignages auprès de la Commission Farlam, nommée par l’Etat. Conduite par l’ancien juge principal Ian Farlam, la Commission a appris que des membres des services de police d’Afrique du Sud dissimulèrent des preuves (plaçant des armes sur les cadavres afin de pouvoir prétendre que le massacre était de la légitime défense), cachèrent des enregistrements vidéo cruciaux, rirent à gorge déployée sur le lieu. En fait, ils avaient planifié auparavant une grande partie du massacre [10]]]. On peut en partie retrouver l’origine de l’ampleur de l’intervention de la police suite à la mort de deux de leurs membres aux mains, à ce que l’on affirme, de mineurs quelques jours plus tôt. Mais le caractère de leur intervention doit être mis en relation avec les appels à l’aide urgents effectués par le principal propriétaire sud-africain de Lonmin au ministre de la police. Cet homme dont l’influence est grande – son entreprise Shanduka possède 9% des actions de la firme minière – fut élu au poste de président adjoint de l’ANC lors du Congrès de décembre 2012. Il s’agit de Cyril Ramaphosa, un ancien syndicaliste.
Seconde partie : Zuma, Ramaphosa et le « capitalisme des copains »
Cyril Ramaphosa a été lui-même dans le passé un dirigeant des mineurs (il conduisit une grève pionnière en 1987 s’étendant à tout le secteur). Au début des années 1990, il a été secrétaire général de l’ANC (African National Congress) ainsi que le principal auteur de la Constitution de 1996 de l’Afrique du Sud.
Le capitalisme des copains de l’ANC
Après avoir accumulé plus d’un milliard – 1000 millions – de dollars de fortune personnelle au cours des seize années suivantes à la tête de diverses entreprises, Ramaphosa a manifesté dans ses courriels du 15 août 2012 – lors de la grève réprimée par la police (34 morts) à Marikana – des propos qui le condamnent. Il affirma que le conflit de travail à Lonmin (société dans laquelle il siégeait au Conseil d’administration) était « lâchement criminel ». Il fit appel à ses alliés au gouvernement, y compris les ministres de la police et des mines, pour réprimer les mineurs. Le massacre se déroula un jour plus tard.
Ramaphosa est un personnage assez complexe. Des partisans de l’ANC, d’orientation libérale, sont convaincus qu’il fera revivre le parti au pouvoir. Par exemple, Richard Calland, commentateur influent et professeur de droit à l’Université de Cape Town, qualifie Ramaphosa de « dirigeant modéré, celui de toute la nation, bien dans sa peau et avec un curriculum vitae vraiment extraordinaire, talentueux au plus haut point ». C’est un homme qui tente de « donner une nouvelle orientation de fond au sein de l’ANC, celle la “gauche raisonnable”. » D’une manière optimiste, Calland souhaite que « les connaissances désormais étendues » de Ramaphosa « des salles de direction des entreprises d’Afrique du Sud soient déployées en vue de mettre une pression réelle sur le grand capital [sous-entendu blanc], de s’assurer qu’il joue son rôle en créant des emplois et qu’il soit disposé à opérer les changements nécessaires en vue de bâtir une économie faiblement consommatrice en énergies fossiles et employant une main-d’œuvre importante qui corresponde aux objectifs de compétitivité mondiale et qui, en outre, traite ses travailleurs de manière juste et décente. » [11]
Un tel enthousiasme en faveur de Ramaphosa, particulièrement courant dans la presse financière, implique de passer par-dessus les évidences de son parcours depuis 1994 qui contredisent cette image construite. « Mettre une pression réelle sur le grand capital » ? Ramaphosa, depuis le début, a présidé un processus d’élaboration de la Constitution dont la Déclaration des droits offre d’une manière exceptionnelle aux grandes entreprises – définies comme des « personnalités juridiques » – les mêmes droits humains dont nous jouissons en tant que mortels ; ce qui signifie que les profits dominent l’intérêt public [12]. Ensuite, Ramaphosa se fit publiquement le partisan de la libéralisation du contrôle des changes, une politique qui contribua à ce que l’Afrique du Sud devienne, selon le quotidien de la City londonienne, The Economist, le marché émergent le plus risqué du monde à partir du crash de 2008-2009 [13].
De vastes sommes du butin des riches blancs, sans même parler des sièges des plus grandes entreprises d’Afrique du Sud, cherchèrent refuge, rapidement, dans les paradis fiscaux. En 2007, la fuite de capitaux atteignit un sommet jusqu’ici jamais atteint : à hauteur de 23% du PIB [14]. C’est l’une des raisons qui fait que la dette extérieure de 150 milliards de dollars est actuellement six fois plus importante qu’en 1994, ce qui exerce une « pression réelle » bien plus importante sur le projet social et démocratique que sur le grand capital, car son paiement implique des restrictions budgétaires drastiques.
Une « économie employant une main-d’œuvre importante » qui « traite ses travailleurs de manière juste et décente » ? Le plaidoyer de Ramaphosa, en tant que vice-président du Plan national de développement, en faveur de nouvelles infrastructures d’une valeur d’au moins 100 milliards de dollars, penche fortement en direction de subventions supplémentaires aux investissements intensifs en capital dans les secteurs des mines et des transports, donc réduisant la main-d’œuvre [ce qui est la thématique du patronat face aux grévistes des mines de platine].
La plupart de ces infrastrucutures seront privatisées, à l’exemple de la plus grande partie du projet d’un complexe portuaire-pétrochimique, devisé à 25 milliards de dollars, à Durban sur le site du plus grand port d’Afrique. Un projet auquel les activistes locaux sont fortement opposés [15]. Pour ce qui a trait à l’exigence de traiter les travailleurs d’une manière juste, Marikana a dévoilé le véritable Ramaphosa, lorsqu’il est mis sous pression.
Une « économie faiblement consommatrice en énergies fossiles » ? En novembre 2012, dans un autre cas de connivence, un groupe d’enquête du Mail&Guardian a cité une source gouvernementale fiable. Elle révélait à quel point Edna Molewa craignait de perdre son poste de ministre des Eaux et de l’environnement dans le cas où Ramaphosa serait poursuivi pour faire fonctionner des mines à haute teneur en carbone sans licence pour l’utilisation de l’eau. Molewa a apparemment organisé la conclusion d’un accord en dehors des tribunaux. Les experts craignent qu’une telle entreprise hâte la dégradation de plans d’eau essentiels à l’irrigation de l’agriculture, de zones habitées et du parc Kruger, de renommée mondiale, ainsi que le Mozambique lorsque les rivières franchissent la frontière [16].
Dès le début, l’accumulation de la richesse douteuse par Ramaphosa a été liée à la destruction économique de deux entreprises majeures possédées par des Noirs (Sam Molope Bakery et Johnnic). Puis, il a accumulé une fortune personnelle de 1 milliard de dollars réalisée principalement via sa compagnie Shanduka, dont les ramifications atteignent toute l’économie de l’Afrique du Sud : les industries lourdes (Macsteel et Scaw Metals), les mines (Lonmin, Kangra Coal, Lace Diamonds, Pan African Resources), la finance (Standard Bank, Alexander Forbes, Investment Solutions et Liberty Group), la malbouffe (McDonald’s et Coca-Cola), ainsi que les transports (Bidvest).
Ramaphosa préside également le groupe de fabrication de pâte à papier Mondi et l’entreprise de téléphones portables MTN. Il était membre du conseil d’administration des bières SABMiller (qui est actuellement le second brasseur dans le monde). Il en a été président. Il a rejoint la direction de l’ANC en tant que deuxième dans la hiérarchie du parti en décembre 2012, se plaçant en position pour être le président adjoint d’Afrique du Sud lors des élections de 2014. Il plaça progressivement, par conséquent, certaines parties de son portefeuille d’actions aux mains d’organismes « indépendants » de gestion d’actifs. Il se débarrassa d’autres afin d’éviter des accusations en raison de conflits d’intérêts manifestes.
Le tournant de Marikana : Ramaphosa et la police
Mais le point d’inflexion le plus critique fut la manière dont Ramaphosa fit appel à la police pour servir le capital transnational dominé par des Blancs en tuant des dizaines de travailleurs noirs afin de mettre un terme à une grève brève, celle de Marikana en août 2012.
Au-delà des questions évidentes de droits de l’homme et de la nature des rapports entre employeurs et salariés, cet « événement » a créé la possibilité d’un renouvellement profond de la réflexion politique, dévoilant les caractéristiques, pouvant prendre des traits extrêmes, de la classe dominante représentée par la fusion du capitalisme noir de Ramaphosa, la collaboration (par le biais de Ramaphosa) de Lonmin avec les ministres des Mines et de la Police et la brutalité des procureurs de l’Etat qui accusèrent les victimes d’être responsables du crime.
Cela a aussi mis en lumière le prétendu « syndicalisme qui fait les yeux doux au pouvoir », celui du National Union of Mineworkers (NUM) dont l’impopularité est croissante ainsi que la fragilité du Congress of South African Trade Union (Cosatu). Ce dernier est divisé entre, d’un côté, les partisans du président Jacob Zuma et de Ramaphosa, et, de l’autre, ceux qui prennent à cœur les intérêts des travailleurs, soit celui du NUMSA (National Union of Metalworkers of South Africa). Cette division était déjà bien avancée en 2012, en partie parce que l’éviction de Thabo Mbeki, en tant président de l’ANC, fut menée par des syndicalistes et des militants communistes qui considéraient, entre autres, que le néolibéralisme de Mbeki avait récompensé d’une manière bien trop généreuse les intérêts du capital blanc.
L’un des courriels du 15 août [2012] de Ramaphosa reflète le rapport de pouvoir que Lonmin a gagné dans son association avec l’ancien dirigeant des mineurs. En voici la teneur : « Les événements terribles qui se sont déroulés ne peuvent être décrits comme un conflit de travail. Ils sont d’une entière lâcheté criminelle et doivent être qualifiés comme tels. Il est nécessaire que des actions soient prises en conséquence pour faire face à cette situation. » Ramaphosa écrivit à Albert Jamieson, de la direction de Lonmin : « Vous avez absolument raison d’insister sur le fait que le ministre ainsi que d’ailleurs l’ensemble des fonctionnaires du gouvernement, doivent comprendre que nous avons essentiellement à faire à un acte criminel. C’est ce que j’ai dit au ministre de la Sûreté et de la Sécurité. J’insisterai pour que cette ministre [Susan] Shabangu aie une discussion avec Roger [Phillimore, président de Lonmin]. » [17]
Révélant ces courriels, l’avocat des 270 mineurs arrêtés, Dali Mpofu, expliquait à la Commission d’enquête Farlam [du nom du juge Gordon Farlam, un ancien président de la Cour d’appel] : « Il y a plus bas une longue série de courriels qui, dans la même veine, encouragent effectivement à ce que soient prises desdites actions concomitantes pour se charger de ces criminels, dont le seul crime était qu’ils voulaient obtenir une augmentation salariale […] Au cœur de tout cela, on trouve la collusion toxique entre les services de police d’Afrique du Sud et Lonmin, et cela à un niveau direct. Sur une échelle bien plus large, on peut appeler cela une collusion entre l’Etat et le capital. C’est ce phénomène qui se trouve au centre de ce qui s’est passé ici.
Cette collusion entre Etat et capital est arrivée de nombreuses fois dans l’histoire de ce pays [y compris…] lors d’une grève massive de mineurs blancs en 1922, auquel le gouvernement Smuts [premier ministre d’Afrique du Sud entre 1919 et 1924 ainsi qu’entre 1939 et 1948] fit face en faisant appel aux forces aériennes et au cours de laquelle 200 personnes furent tuées. En 1946, dirigés par l’African Mineworkers Union, 70’000 travailleurs africains partirent dans une grève de masse et le gouvernement envoya 16’000 policiers qui arrêtèrent, de la même manière que cela a été fait aux personnes que nous représentons [les mineurs de Marikana], certains mineurs sur la base d’une loi nommée Loi sur les mesures de guerre (War Measures Act).
Cette collusion entre capital et Etat s’est donc déroulée selon des schémas systématiques au cours de l’histoire, de l’histoire sordide, de l’industrie minière dans ce pays. Une partie de cette histoire comprend la collaboration avec de prétendus chefs tribaux qui furent corrompus et utilisés par ces gouvernements oppresseurs afin de transformer les fermiers africains, vivant en autosuffisance, en esclaves salariés. Nous nous trouvons aujourd’hui dans une situation où ces chefs ont été remplacés par de prétendus partenaires BEE [18] de ces mines, prenant le relais de la complicité [avec les entreprises]. » [19]
Les relations privilégiées symbolisées par le couple Ramaphosa-Lonmin révoltèrent les mineurs, accroissant leur endurance à des niveaux les plus élevés que nous connaissons [20]. L’offensive réussie de relations publiques de Lonmin ainsi que ses rapports étroits avec le parti gouvernemental donna probablement confiance à ses dirigeants pour poursuivre leur mauvais traitement des travailleurs migrants. Le NUM est tellement coopté que l’on rapporte que les délégués syndicaux sur les lieux de travail [shop stewards] sont payés trois fois plus que les travailleurs ordinaires. Frans Baleni, le secrétaire général du NUM, gagne alors 160’000 dollars par année. Il accéda à la notoriété lorsqu’il recommanda, fin 2011, à Lonmin de licencier 9000 des mineurs de Marikana de leur mine de Karee, parce qu’ils avaient participé à une grève sauvage. Quelque 7000 des travailleurs licenciés furent réengagés, mais ils démissionnèrent du NUM pour rejoindre le jeune syndicat rival Association of Mineworkers and Construction Union (AMCU). Dans la mine proche de Implats, le résultat fut le suivant : sur les 70% des 28’000 travailleurs qui étaient membres du NUM à la fin de 2011, le ratio était, en septembre 2012, aussi bas que 13%, l’AMCU acquérant la représentation ouvrière effective.
Les relations de copinage plongent profondément dans l’Etat, avec les gouvernements provinciaux et municipaux de la ceinture minière apparemment gagnés par la corruption. Un cas emblématique fut l’assassinat, en 2009, d’un lanceur d’alerte bien connu de l’ANC, Moss Phakoe. Un juge découvrit que cet assassinat fut organisé par le maire de Rustenburg, le district municipal qui se situe juste à l’est de Madibeng. Une fois encore, dans ce contexte, Lonmin et les autres grandes compagnies minières de la ceinture de platine peuvent avoir considéré l’Afrique du Sud comme rien d’autre qu’un autre pays du tiers monde méritant le qualificatif de « maudit en raison de ses ressources » – un terme qui s’applique habituellement à des lieux où les relations de clientèle dictatoriales et familiales permettent au capital transnational des industries extractives de, littéralement, disposer du feu vert en matière de meurtre. Lors des premières années de la présidence de Zuma, environ deux dizaines de lanceurs d’alerte anti-corruption, comme Phakoe, ont été tués [21].
Au niveau national également, les entreprises familiales correspondent bien au clan Zuma. Il est fait état qu’il possède 220 entreprises. Il n’était pas surprenant d’apprendre, par exemple, qu’il possédait en commun avec le rejeton de la famille Gupta – soutien généreux du système de patronage de Zuma – Dudazane et JIC. Cette dernière est la plus grande entreprise de la région du platine spécialisée dans la sous-traitance de travailleurs temporaires, ce que l’on appelle parfois le « courtage de travailleurs », bien que JIC nie cela et que le NUM dispose d’un accord de « reconnaissance » avec l’entreprise.
Ce n’était pas non plus un secret que le neveu du président, Khulubuse Zuma, joua un rôle destructeur dans le territoire voisin de mines d’or en tant que copropriétaire de l’entreprise minière Aurora (anciennement Harmony Mines), qui allait bientôt être en faillite, avec l’avocat de Zuma et Zondwa, le petit-fils de Mandela.
En effet, cette firme minière enregistre probablement le plus grand record de ravages écologiques et de conflits de travail de l’époque de l’après-apartheid, illustrant à quel point les compagnies minières possédées par des Blancs vendent des mines épuisées avec d’importantes charges en matière de drainage minier de boues acides à des propriétaires noirs, firmes mal équipées pour faire face aux inévitables crises écologiques, sociales et des « rapports de travail » [22].
La société sud-africaine a appris donc bien des choses sur son propre fonctionnement à la suite du massacre de Marikana. Et cela en raison d’une prise de conscience croissante du contexte socio-économique, politique et écologique.
Le décor fut planté, immédiatement après Marikina, lors de nouveaux débats pour savoir si l’Alliance tripartite [entre le Parti communiste d’Afrique du Sud, la Cosatu et l’ANC] était désormais une combinaison politique progressiste ou régressive. A l’occasion se dégagèrent deux orientations entre, d’un côté, les syndicalistes de centre-gauche et les communistes (lié au PC sud-africain) qui sont proches du pouvoir officiel et ainsi défenseurs du statu quo politique, et, de l’autre côté, les progressistes critiques et indépendants qui sont convaincus que la politique d’Afrique du Sud pourrait prendre un tour traduisant la polarisation de classe.
Chevauchant la crise et ces débats, on trouve la division interne à l’ANC entre les forces en faveur et celles qui sont opposées à Zuma. Cela s’exprima déjà avant et lors du Congrès de la Cosatu en septembre 2012. Et y compris avant que Zuma, lors de la conférence électorale de Mangaung de l’ANC, écrasa son seul opposant (Kgalema Motlanthe, le vice-président d’alors) dans la compétition pour la présidence de l’ANC, en réunissant 75% des votes. C’est cette même bataille politique qui paralysa initialement la direction syndicale, étant donné le danger que ce débat ne provoque dans la Cosatu des forces centrifuges que son secrétaire général populaire, Zuwelinzima Vavi, ne pourrait pas contrôler. )
Patrick Bond