La manipulation du taux d’intérêt Libor
La manière laxiste dont les autorités des principaux pays industrialisés traite la manipulation des taux d’intérêts démontre que la nouvelle doctrine « Too Big to Jail » est belle et bien appliquée à grande échelle. En 2010, a éclaté le scandale de la manipulation du taux LIBOR (London Interbank Offered Rate) par un groupe de dix-huit banques pendant la période 2005-2010. Le LIBOR est le taux d’intérêt de référence sur base duquel se calculent les taux sur un marché de 350 000 milliards (350 millions de millions) de dollars d’actifs et de dérivés financiers, ce qui en fait le deuxième taux de référence le plus important au monde, après le taux de change du dollar. Ce taux est calculé sur base de l’information fournie par dix-huit banques quant à leurs coûts individuels de financement sur les marchés interbancaires. En 2012, des preuves ont révélé la collusion entre de grandes banques, comme UBS, Barclays, Rabobank (Pays-Bas), Royal Bank of Scotland afin de manipuler le LIBOR conformément à leurs intérêts.
Bien que des procédures ont été engagées par les autorités de contrôle aux quatre coins de la planète : États-Unis, Royaume-Uni, le reste de l’Union européenne, Canada, Japon, Australie, Hong Kong, finalement, jusqu’ici, il n’y a aucune poursuite criminelle à l’encontre des banques et les amendes payées sont d’un montant ridicule en comparaison de l’ampleur de la manipulation [1]. Les procédures ne sont pas toutes conclues. Grosso modo, jusqu’ici les amendes payées tournent autour d’un montant total de moins de 10 milliards de dollars et la part payée par chacune des banques est minime en rapport aux dommages causés. Suite au scandale, des dirigeants de banques ont démissionné, c’est le cas à Barclays (2e banque britannique) et à Rabobank (2e banque des Pays-Bas), des dizaines de traders ont été licenciés mais, et c’est le plus important, aucune banque ne s’est vu retirer le droit d’opérer sur les marchés qu’elles ont manipulés en bande organisée, aucun dirigeant de banque ne s’est retrouvé sous les verrous.
Alors que les banques en question ont reconnu les accusations de manipulation et par conséquent accepté les sanctions imposées par la justice britannique, la justice étatsunienne a statué de manière scandaleuse. Le 29 mars 2013, Naomi Buchwald, juge du District de New York, a exempté les banques impliquées dans le scandale de toute responsabilité légale face à des personnes ou institutions affectées par la manipulation du LIBOR [2]. Pour protéger les banques de possibles plaintes pour collusion et pratiques monopolistiques, elle a développé une argumentation selon laquelle la fixation du taux LIBOR ne relève pas des lois sur la concurrence. Les banques peuvent dès lors s’accorder sur le taux sans que cela ne constitue une violation des lois antitrust aux États-Unis. La fixation des taux sur les marchés des Swaps et des CDS étant similaire - via l’envoi des taux par les participants, dont on fait la moyenne pour obtenir le résultat final -, ce verdict crée un dangereux précédent, ouvrant la porte à la manipulation manifeste par de grandes institutions financières des prix et taux clefs qui régissent le fonctionnement des marchés financiers globaux. Aux Etats-Unis, le scandale du Libor a connu un rebondissement en mars 2014 quand l’agence de garantie des dépôts bancaires (FDIC) des Etats-Unis a porté plainte contre plus d’une douzaine de grandes banques (JP Morgan, Citigroup, Bank of America, UBS, Credit Suisse, HSBC, Royal Bank of Scotland, Lloyds, Barclays, Société Générale, Deutsche Bank, Royal Bank of Canada, Bank of Tokyo-Mitsubishi UFJ,...) [3]. On verra si comme lors de la plainte précédente, l’affaire se terminera par un non-lieu. Bien sûr, cela pourrait également se terminer par une amende sans condamnation.
De son côté dans le cadre de cette affaire du LIBOR, la Commission européenne a infligé des amendes pour un montant total de 1,7 milliard € à huit banques en les accusant d’avoir constitué un cartel qui a manipulé le marché des dérivés [4]. Quatre banques formaient un cartel pour manipuler le taux des dérivés sur le marché de change de l’euro, six manipulaient ensemble le taux des dérivés sur le marché de change du yen. La logique de la non condamnation est de nouveau d’application.
De plus, vu que les banques ont accepté de payer une amende, celle-ci est réduite de 10 %. Les banques qui sont mises à l’amende sont : JPMorgan et Citigroup (1re et 3e banque aux Etats-Unis), Deutsche Bank (1re banque allemande), Société Générale (3e banque française), Royal Bank of Scotland (3e banque britannique), et RP Martin. Vu le fait qu’elles ont dénoncé le cartel, deux banques, UBS (1e banque suisse) et Barclays (2e banque britannique), sont exemptées du paiement d’une amende.
En résumé, on est retourné au système des indulgences : « Payez pour racheter vos péchés et vous pourrez rester au paradis de la finance. Abjurez vos fautes et dénoncez les autres larrons, vous serez dispensés de payer les indulgences, pardon, les amendes ».
En Australie, les autorités ont versé encore un peu plus dans la farce : elles ont réprimandé BNP Paribas pour mauvaise conduite potentielle (« potential misconduct », sic !) concernant les taux d’intérêt interbancaire australien de 2007 à 2010. BNP Paribas a licencié des traders et a déclaré qu’elle ferait un don d’1 million de dollars australiens pour promouvoir la littérature financière [5]. Quelle générosité ! De qui se moque-t-on ?
Conclusion : Il faut mettre fin aux marchés non régulés, interdire la spéculation et les produits dérivés. Les banques doivent prendre des assurances classiques pour se couvrir des risques sur les taux d’intérêt.
Éric Toussaint
Partie 1 : La finance : Les banques et la nouvelle doctrine « Too Big to Jail »
Partie 3 : La finance : Les barons de la banque et de la drogue
Partie 4 : La finance : HSBC, une banque au lourd passé et au présent sulfureux