Avec 1 500m2 de surface, quinze salariés, un chiffre d’affaires net évoluant entre 15 et 20 000 euros par jour, le magasin de vêtements Fabio Lucci d’Alès (Gard) est important pour la région. Il approvisionne la Lozère, l’Ardèche et le Gard. La chaîne Fabio Lucci - appartenant au même groupe que Gemo et Tati - est spécialisée dans le hard discount du vêtement, ce qui fait dire au personnel qu’elle l’est aussi en matière de conditions de travail.
Celles-ci sont particulièrement difficiles. Si la moyenne d’âge est de 27 ans, l’ancienneté maximale ne dépasse pas cinq ans et, sur les quinze employés (80 % de femmes), on compte quatre CDD ainsi que des CDI à temps partiel à vingt ou trente heures avec obligation de travailler deux jours fériés par an. Les heures supplémentaires ne sont pas payées, la charge de travail va de l’accueil à la préparation des articles mis en vente, en passant par la vente elle-même, l’encaissement et le nettoyage du magasin.
La chaleur estivale a fait le reste. Avec 40 °C dans le magasin et dans la réserve le jour où le personnel doit préparer la marchandise, la grève est lancée le 10 juillet. Les salariés font valoir leur droit de retrait suite à l’absence de ventilation. Malgré sa réparation, deux jours plus tard, ils décident de poursuivre leur grève pour obtenir la pose d’une climatisation, le nettoyage du magasin par une entreprise spécialisée, la requalification des quatre CDD en CDI, une augmentation des salaires de 5 %, le respect des jours fériés et le paiement des heures supplémentaires. Autant de choses qui relèvent du strict respect de la dignité humaine et qui ne risquent pas de mettre Fabio Lucci sur la paille.
Cependant, la direction refuse toute négociation. Les grévistes font alors signer une pétition, appellent à la solidarité, organisent, avec le soutien de la CGT, des caravanes devant les autres magasins du groupe dans la région - aux Angles, à Alès, à Avignon, à Nîmes, à Montpellier -, en appelant la clientèle à différer ses achats. Et ça marche ! Pour tenter de débloquer la situation, les salariés montent, fin juillet, au siège social, à Paris, pour rencontrer le PDG, Lucien Urano : trois jours de discussion et, pour finir, un protocole bidon que les délégués refusent de signer. Le patron part en vacances...
Sous l’égide de l’inspection du travail du Gard et de la préfecture, une réunion de négociation est organisée entre la direction générale, le directeur des ressources humaines de Fabio Lucci et les délégués : les neuf heures de discussion s’achèvent sur un « Si vous ne signez pas ce protocole, on ferme Fabio Lucci Alès ! », qui indigne même les représentants des pouvoirs publics. Il faut savoir que le Gard est l’un des départements les plus touchés par le chômage et que le chantage à la fermeture d’une boîte, aussi petite soit-elle, ne passe pas.
Le 3 août, le bruit court de la volonté de la direction de déménager la marchandise. Une surveillance s’organise. Le 10 août, un camion amène effectivement palettes et cartons. Aussitôt, les salariés forcent l’entrée du magasin et l’occupent. La direction répond en assignant en référé une partie des salariés et obtient une décision de justice, le 24 août, obligeant l’évacuation du magasin et du parvis, sous astreinte de 1000 euros d’amende par jour. Elle en profite aussi pour engager une procédure de licenciement pour fin de contrat contre Sébastien, l’un des animateurs de la grève. Les grévistes libèrent alors le magasin, mais ils installent sur le parking une tente qu’ils occupent jour et nuit. Appel est déposé de la décision de justice, et les grévistes empêchent la réunion préalable de licenciement de Sébastien. Le ministre du Commerce passant par là, une délégation conduite par la CGT est reçue par un conseiller technique, qui s’engage à intervenir auprès de la direction de Fabio Lucci pour de nouvelles négociations.
On en est là : la lutte continue, après plus de 50 jours de grève pour ces jeunes salariés qui sont un exemple pour une région marquée par la fermeture des mines. La direction joue le pourrissement, de peur de voir les salariés du groupe exiger aussi leurs droits.