Le président chinois, Xi Jinping, qui arrive en France ce soir pour une visite d’Etat de trois jours, doit dîner en tête-à-tête avec François Hollande au château de Versailles. Le palais de Louis XIV sera on ne peut mieux seyant pour cet autoritaire « prince rouge » qui, depuis sa promotion en novembre 2012 à la direction du Parti communiste et à la tête de l’armée, puis au sommet de l’Etat en mars 2013, n’a eu cesse de concentrer davantage encore le pouvoir sur sa propre personne. Il a en effet dépouillé le Premier ministre, Li Keqiang, d’une partie de ses prérogatives ; créé et pris la direction d’une Commission de sécurité nationale coordonnant l’armée et les services secrets ; et préside même un nouveau « groupe dirigeant » gérant la censure sur Internet. Au point que beaucoup, en Chine, se demandent si la direction du pays est toujours bel et bien « collégiale ».
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Xi Jinping avait tenu à consacrer sa première visite officielle à l’étranger, l’an dernier, à la Russie. A Moscou, il aurait d’emblée déclaré à Vladimir Poutine : « Vous et moi avons des caractères très semblables », selon l’hebdomadaire The Economist. La communion d’esprit avec François Hollande, elle, s’arrêtera sans doute à l’attendue signature d’un gros contrat de vente d’Airbus, et à de denses échanges de satisfecit sur le cinquantenaire de l’établissement des relations diplomatiques franco-chinoises.
« Mouches et Tigres ». « Jamais depuis Deng Xiaoping un dirigeant chinois n’a détenu autant de pouvoir que Xi Jinping », souligne le professeur d’histoire Xiao Gongqin. L’instance dirigeante suprême du parti, le très secret Comité permanent du politburo, composé de sept personnes, est passé, avec Xi Jinping, des mains des technocrates aux mains des princes rouges - c’est-à-dire des enfants d’anciens dirigeants. Xi Jinping, premier d’entre eux, est le fils de Xi Zhongxun, naguère compagnon de route de Mao. Il n’est pas le seul héritier « biologique » puisque quatre des membres de cette « bande des sept » appartiennent à cette caste, ou bien ont une épouse qui en fait partie.
Depuis son arrivée au pouvoir, Xi s’est imposé en lançant une féroce campagne anticorruption. Il a pour cela remis au goût du jour un mot d’ordre de Mao remontant à 1951 : « Attrapons les mouches et les tigres. » Cette campagne a servi de couverture à une purge politique de ses rivaux au plus haut niveau. Zhou Yongkang, ancien chef du KGB chinois, et le général Xu Caihou, qui a pratiquement dirigé l’armée pendant huit ans, sont sur le point de rejoindre en disgrâce l’ancien chef du parti de Chongqing, Bo Xilai, condamné à la prison à perpétuité. Bo est un prince rouge qui briguait le trône sur lequel est assis Xi Jinping. « Xi Jinping est un empereur, et un vrai empereur combat toujours les fonctionnaires corrompus, explique la journaliste Gao Yu. Il n’épargne personne, pas même ses propres amis car, en les sacrifiant, il sait qu’il en retirera un prestige considérable auprès de la population. »
Avant Xi Jinping, la Chine était déjà le seul pays au monde qui se permettait d’emprisonner un Prix Nobel de la paix (Liu Xiaobo, militant des droits de l’homme, incarcéré depuis 2009). Depuis son accession au pouvoir, « on est entré dans l’âge d’or du néo-autoritarisme », commente Xiao Gongqin, qui voit dans ses méthodes autoritaires un mal nécessaire pouvant permettre l’accomplissement de réformes difficiles. D’autres pensent que le numéro 1 de l’Etat-parti renforce son autorité car c’est simplement ainsi qu’il entend tenir la Chine. Ils en veulent pour preuve la violence de la répression qui frappe la dissidence, les opposants, les internautes et le Mouvement des nouveaux citoyens (Libération du 24 janvier).
Pour l’historien du parti Zhang Lifan, le président chinois est « un nationaliste qui parle de faire de la Chine la première superpuissance du monde ». Le périlleux face-à-face entre les marines chinoise et japonaise au sujet de la souveraineté des îles Senkaku (Diaoyu en chinois), et celui avec les Philippines à propos d’un autre archipel, devraient beaucoup à ce tournant vers le nationalisme.
« Lors de l’éclatement de l’URSS, en 1991, les princes rouges ont convenu dans un document secret de remplacer l’idéologie communiste, qui selon eux avait perdu tout son attrait, par le nationalisme… afin qu’il serve de nouvelle base au Parti communiste chinois, relate l’universitaire dissident Chen Ziming. C’est cela le programme de Xi Jinping. » « Le rêve chinois » : Xi a imposé ce nouveau slogan potentiellement fédérateur, que la propagande décline par voie d’affiches sur les murs de toutes les villes, et quotidiennement sur les radios, à la télévision et dans les journaux. Il est associé à celui de la « renaissance de la nation chinoise » - conçu comme une revanche sur « l’humiliation » subie naguère lorsque la Chine était colonisée.
Légitimité patriotique. Sous Xi Jinping, l’Etat-parti a encore accéléré l’augmentation de son budget militaire (+12,2% cette année). L’an prochain, Pékin dépensera ainsi plus pour sa défense que la Grande-Bretagne, l’Allemagne et la France réunis. En 2024, la Chine consacrera autant à son armée que l’ensemble de l’Europe occidentale, selon les experts de l’institut britannique IHS Jane’s. L’armée « doit renforcer son efficacité au combat et être capable de gagner des batailles », vient d’annoncer Xi en prenant, ce mois-ci, la direction d’un « groupe dirigeant » chargé de « réformer la défense nationale ». « Il y a un risque que tout cela débouche sur le militarisme », s’inquiète l’universitaire Chen Ziming.
Tout se passe comme si l’Etat-parti avait un besoin crucial de cette légitimité patriotique face à un public qui se satisfait de moins en moins d’une croissance économique en baisse, et qui laisse de plus en plus libre cours à son insatisfaction sur Internet, et parfois dans la rue. A l’heure où la Chine est contrainte de changer de modèle économique, il devient de plus en plus difficile pour le Parti communiste de s’extirper de la contradiction fondamentale selon laquelle plus il renonce à son contrôle sur la société, mieux l’économie marche. « Une chose est sûre : le parti a perdu la confiance du public, et il a peur de perdre le pouvoir »,expliquait en décembre l’historien Zhang Lifan. Le prince rouge pourrait-il devenir le dernier empereur ?
Philippe Grangereau, correspondant à Pékin