Inquiétude sur la situation à la centrale accidentée de TEPCO à Fukushima
La situation reste extrêmement préoccupante en ce début d’année 2014 : incertitudes sur la localisation du corium, risques liés aux assemblages combustibles de la piscine du réacteur N°4 sur certains desquels TEPCO a détecté des fissures, découverte de nouvelles fuites (par exemple dans la chambre de surpression du réacteur N°2, ou au rez-de-chaussée du réac- teur N°3), fuites permanentes dans les eaux souterraines (plusieurs millions de becquerels par litre mesurés dans cer- tains puits) et dans l’océan, difficultés pour la mise en place de la station de traitement des eaux (ALPS) qui n’est toujours pas au point alors que l’entre- posage des eaux contaminées dépasse les 400 000 m3, etc..
Inquiétude pour les travailleurs
TEPCO a publié le suivi dosimétrique de 30 904 travailleurs engagés dans les tra- vaux d’urgence à Fukushima Daiichi sur la période mars 2011 à novembre 2013, dont 26 839 sous-traitants. Selon ces données, 6 travailleurs de TEPCO ont reçu plus de 250 milliSieverts (la valeur maximale annoncée est de 678,8 milliSieverts). Ces chiffres sont à prendre avec beaucoup de précau- tion puisqu’ils émanent de l’entreprise elle-même. Entreprise qui brille par les dissimulations et autres approximations. Il est avéré par exemple que TEPCO a sous-estimé les débits de dose mesurés à proximité des réservoirs d’effluents contaminés du fait de la non prise en compte des rayonnements X. De nom- breuses questions se posent également sur l’évaluation de l’exposition interne (par exemple par inhalation des gaz rares radioactifs et du tritium).
On peut être inquiets pour l’avenir de ces travailleurs d’autant que certaines entreprises en charge de la décontamination de la zone interdite n’hésitent pas à faire appel à des SDF et à des déficients mentaux.
Contamination du milieu marin
Le lessivage des sols contaminés sur plu- sieurs centaines de kilomètres le long des côtes japonaises et les fuites qui se trale accidentée constituent des apports permanents de substances radioactives dans le milieu marin. Sans compter les mécanismes d’accumulation des rejets de 2011 dans les sédi- ments, la flore et la faune marine.
Certains poissons restent fortement contaminés. Parmi les contrôles effectués par les laboratoires indépendants de CRMS, on notera des saumons à 2 456 Bq/kg en césium radioactif (avril 2013 à Iitate, préfecture de Fukushima).
TEPCO a installé des filets dans le port devant la centrale pour que les poissons les plus contaminés ne puissent aller au large. Les mesures de TEPCO montrent une très forte contamination de certaines espèces. Pour la campagne de décembre 2013, 21 échantillons sur 67 dépassent 10 000 Bq/kg en césium 134 et 137 ; 5dépassent100000Bq/kgavecun maximum de 244 000 Bq/kg.
L’angoisse est planétaire
Le monde entier est conscient que le pire est peut être à venir. Et il est regret- table que l’on ne dispose toujours pas sur place d’un réseau de balises indépendant et fiable facilement consultable par le public, lorsque l’on s’inquiète par exemple des dégagements de vapeur constatés au dessus du réacteur n°3 en fin d’année 2013.
Mais l’inquiétude porte aussi sur la dispersion de la contamination marine. La mise en ligne par un internaute américain le 24 décembre 2013 d’une video montrant des mesures de radiation anormalement élevées sur une plage de Californie (en particulier sur des sables de couleur noire) a semé la panique. Sa video était titrée « Fukushima radiation hits San Francisco ! (Dec 2013) ».
Nous avons indiqué aux personnes qui nous ont contactés que ces données ne permettaient absolument pas de conclure à une vague de contamination en provenance de Fukushima. Il nous paraissait plus plausible, compte tenu de l’aspect du sable, d’envisager les hypothèses d’une radioactivité naturelle due à l’accumulation de minéraux lourds [1] riches en uranium et thorium ou une pollution par des activités industrielles [2] locales. Dans le cas de la plage californienne, les enquêtes effectuées début janvier 2014 ont confirmé qu’il s’agissait bien de radio- nucléides naturels (sans rapport avec Fukushima). Il ne faut cependant pas banaliser l’impact de cette radioactivité (débit de dose de 1 μSv/h soit 10 fois le niveau naturel typique) et il est
souhaitable que l’origine du phénomène soit rapidement élucidée.
Inquiétude pour les réfugiés et personnes vivant sur des territoires contaminés
Cecile Asanuma-Brice, chercheuse au centre de recherche de la Maison Franco-Japonaise de Tôkyô nous a indiqué que le nombre de réfugiés est de 150 000 à 160 000 (dont 100 000 à l’intérieur du département de Fukushima). Elle précise que ces chiffres sont à considérer avec prudence « car le système d’enregistrement des réfugiés nécessite que les personnes aillent s’enregistrer à la préfecture de Fukushima avant de partir, ce que peu d’entre elles ont fait, cela engendrant la perte de droits divers ».
Nous avions fait état en décembre 2012 [3] des attentes de la population concernant la mise en œuvre de la loi de juin 2012 appelée « Child Victim’s Law ». Elle introduisait le concept de “Target support areas”, territoires où les habitants pourraient recevoir une aide en fonction de leur choix entre 3 possibilités : évacuer, rester ou revenir. Mais de nombreux aspects restaient à clarifier. Un des plus importants était de préciser à partir de quel niveau de dose un territoire pourrait être classé “Target support areas”.
Malheureusement, et comme on pouvait s’y attendre, la clarification n’est pas allée dans le bon sens. Selon les informations transmises par Wataru Iwata (CRMS) le Ministère de la Construction japonais a annoncé que seulement 33 communes du département de Fukushima seraient concernées en dépit des requêtes de ceux qui ont conçu cette loi et qui demandaient qu’elle couvre tous les territoires où la dose additionnelle excèdait 1 milliSievert par an, ce qui est le cas de nombreuses [4] autres communes y compris dans d’autres départements. C’est d’autant plus grave que, parmi les personnes concernées, nombreuses sont celles qui ont déjà subi une forte irradiation et contamination interne, en particulier au cours des premières semaines après la catastrophe. Les laisser vivre en territoire contaminé augmente encore chaque jour la probabilité qu’elles souffrent un jour de graves conséquences sanitaires.
Pire, le gouvernement japonais fait tout pour inciter les citoyens à revenir vivre en territoire contaminé. Cécile Asanuma Brice témoigne [5] : « Une incitation au retour est mise en place via une politique de communication impressionnante, notamment sur l’expression d’une nécessité du retour au pays natal, l’éloignement de celui-ci étant déterminé comme cause des dépressions conduisant au suicide des personnes dans les logements provisoires (ce qui est en grande partie faux, la cause de leurs suicide provenant essentiellement du fait qu’ils sont enfermés dans ces logements depuis trois ans sans espoir de pouvoir aller vivre ailleurs car rien ne leur est proposé, sinon le retour dans des zones invivables (une grande partie de l’ancienne zone d’évacuation ayant été réouverte en mai 2013) ».
La main mise de l’AIEA
En ce qui concerne l’évaluation des conséquences sanitaires, on est en droit d’être inquiets. Il se passe à Fukushima ce qui s’est passé pour Tchernobyl, la prise en main des données sanitaires par le lobby nucléaire à travers l’AIEA (Agence Internationale de l’Energie Atomique) qui a signé en fin d’année 2013 un protocole d’accord avec l’Université Médicale de Fukushima. Ce protocole précise en son article 8 que les 2 signataires vont garantir « The confidentiality of information classified by the other Party as restricted or confidential ». Si l’AIEA décide que des données ne doivent pas être publiées, elles ne le seront pas.
Rédaction : B. Chareyron, responsable du laboratoire