La France joue son propre jeu à l’ombre des USA
La politique étrangère, militariste et offensive, de François Hollande essaye de profiter du fait que les USA et l’Otan, confrontés à un monde « multipolaire », aussi sous la pression de la crise économique, sont contraints à un redéploiement. L’émergence de la Chine comme puissance économique, financière, développant une influence grandissante dans le monde, combinée à celle de nouvelles puissances économiques comme l’Inde ou le Brésil, redessinent les rapports internationaux. Dans ce contexte, la première puissance mondiale entend se décharger le plus possible d’une partie de ses tâches de gendarme du monde, en les sous-traitant à ses alliés, pour mieux se concentrer sur l’Asie.
Le fait que les États-Unis soient en passe de devenir indépendants énergétiquement du Moyen-Orient avec les gaz de schiste, les sables bitumineux et d’autres fournisseurs leur permet de prendre quelque distance avec Israël pour se satisfaire du « leading from behind » (« diriger depuis l’arrière »). Ils ont besoin de garder une certaine marge de manœuvre pour poursuivre les négociations avec l’Iran. Cela suppose une levée des sanctions par étapes, prélude à une réinsertion de l’Iran dans le système international, malgré les pressions tant d’Israël que de l’Arabie saoudite.
Ce redéploiement laisse une place à la France dans ses vieilles zones d’influence comme l’Afrique, le Liban, la Syrie ou la monarchie d’Arabie saoudite, tout en privilégiant les relations avec Israël. Cette politique accélère la rupture engagée par Sarkozy avec l’attitude de la diplomatie française depuis De Gaulle.
Hollande en espère des retombées pour les multinationales françaises, en particulier par son rapprochement avec l’Arabie saoudite (son excédent budgétaire s’élève à 55 milliards d’euros) après celui de Sarkozy avec le Quatar. « Obtenir des marchés en retour de ses investissements militaires, voilà son ambition », selon la formule du rapport Védrine de 2013. Hollande veut aussi mettre à profit la présence française au Maghreb pour faciliter la pénétration des marchés subsahariens ou l’extension de la zone CFA (monnaie utilisée dans 14 pays, soit 135 millions d’habitantEs) : autant d’atouts pour la vieille puissance coloniale.
En s’alliant avec les forces les plus réactionnaires du Moyen-Orient, en s’alignant sans réserve sur la politique d’Israël, loin de s’émanciper des USA, Hollande s’engouffre dans l’espace que ces derniers lui laissent, contre les peuples, pour le seul profit d’Areva, de Dassault et autres Bouygues… Quitte à faire du zèle là où le maître est prudent, s’attirant la sympathie des faucons de Washington.
Yvan Lemaitre
Région arabe : Hollande dans les pas de Sarkozy
Au-delà des fantasmes sur « le pays des droits de l’homme », la politique de Hollande et Fabius vis-à-vis du Maghreb et du Moyen-Orient est d’une continuité impérialiste absolue par rapport à celle de leurs prédécesseurs Sarkozy et Juppé.
Depuis l’installation du gouvernement des socialistes et écologistes en juin 2012, le président français s’est rendu en Algérie (décembre 2012), au Maroc (avril 2013) et en Tunisie (juillet 2013). À chaque fois, ces visites ont signifié des pressions pour des pouvoirs plus néolibéraux, une défense vigoureuse des intérêts des multinationales françaises, un renforcement policier contre l’immigration… et un désintérêt pour les droits humains.
Dans le contexte de la crise que vit l’Europe et du processus révolutionnaire arabe ouvert en 2011, l’impérialisme français cherche à « tenir son rang » comme le disait François Hollande dans sa dernière conférence de presse. Pour cela, il poursuit la politique d’alliance stratégique boostée par Sarkozy avec les royaumes ultraréactionnaires du Golfe : Arabie saoudite, Qatar, Émirat arabes unis. Cette alliance a l’avantage de financer l’économie française. Elle est également censée consolider les nouveaux pouvoirs post (et de fait contre)-révolutionnaires dans le monde arabe, au-delà des luttes d’influence auxquelles se livrent les royaumes du Golfe pour dominer les courants politico-religieux intégristes. Elle l’a enfin poussé à s’engager fortement contre le régime syrien de Bachar el-Assad, et contre l’Iran des Mollahs, au nom d’une défense des droits humains pourtant si sélective !
De l’interventionnisme à l’aventurisme
Sarkozy avait cherché à faire oublier ses compromissions avec les dictatures en prenant le rôle de défenseur en chef de la révolution libyenne. Depuis, ce rôle a été terni par les révélations sur l’aide apportée à la répression des opposants à Khaddafi, en échange de financements pour la droite française. De plus, dans les convulsions de la nouvelle situation libyenne, tant les démocrates que les entreprises françaises n’y retrouvent pas leurs petits !
Hollande tente à son tour d’apparaître à son avantage en Syrie et au Liban. Mais son interventionnisme militaire après les bombardements chimiques « de trop » menés fin août 2013 par les forces de Bachar el-Assad l’a isolé, et apparaît peu à peu pour ce qu’il est : un moyen aventuriste de protéger Israël et le Liban confessionnels, de forcer les révolutionnaires syriens à un compromis avec un régime qui serait relooké… et de repositionner au passage les entreprises françaises, comme Veolia qui devrait obtenir le marché de la neutralisation des armements chimiques.
En revanche, permettre que les démocrates syriens puissent se défendre, ou aider les réfugiés qui meurent de faim dans les camps ou en fuyant en Méditerranée, ne sont pas des priorités. C’est pourquoi il est incontournable que les révolutionnaires de la région arabe, pour atteindre leurs objectifs de liberté, de justice sociale et de dignité, s’appuient sur les « mouvements d’en bas » dans le monde, malgré toutes leurs difficultés, et vice-versa !
Jacques Babel
Président de la Françafrique
« Ce temps où la France faisait et défaisait les présidents de Centrafrique et d’une partie de l’Afrique, c’est fini », a affirmé François Hollande lors de sa conférence de presse du mardi 14 janvier…
Difficile de le croire lorsqu’on sait qu’en Centrafique, la démission forcée de Michel Djotodia, porté au pouvoir par la Seleka, a été exigée par la France. Déjà en décembre 2013, Hollande déclarait : « En Centrafrique, on ne peut pas laisser en place un président qui n’a rien pu faire, voire même a laissé faire ». Cette démission fut préparée, en début d’année, par une tournée de Le Drian, dans le pré carré français de l’Afrique centrale où il rencontra successivement Sassou Nguesso du Congo Brazzaville, puis Ali Bongo du Gabon et enfin le Tchadien Idriss Déby, afin de mettre l’opération en œuvre. Quelques jours plus tard, Djotodia annonçait sa démission.
De même, faut-il rappeler la volonté farouche de la diplomatie française au Mali à vouloir empêcher les populations de prendre en main leur destin pour remédier à la plus grave crise qu’a connue ce pays, imposant une transition à la main de Paris ? Hollande exigea la signature des accords de Ouagadougou et imposa la date des élections aux Maliens. Seule la victoire écrasante d’Ibrahim Boubacar Keïta a évité une crise liée aux carences du processus électoral.
Continuité néocoloniale
Malgré ses dénégations, Hollande applique, avec autant de zèle que ses prédécesseurs, cette politique néocolonialiste qui ne peut apporter que les mêmes conséquences désastreuses pour les populations. À part une action plutôt puérile au sommet de la francophonie à Kinshasa consistant à refuser d’applaudir Joseph Kabila, Hollande soutient sans faille les dictateurs de l’Afrique francophone. Le plus caricatural est son appui inconditionnel à Idriss Déby, en contrepartie de son acceptation que les soldats tchadiens jouent le rôle de chair à canon au Mali. Désormais, Déby a les mains libres dans la gestion de la crise en Centrafrique et se voit décerner un certificat de respectabilité.
Si, dans sa conférence de presse, Hollande s’est auto-félicité de son intervention au Mali, l’embellie risque d’être de courte durée. En effet, Keïta, le nouvellement élu, pratique la même politique d’achat et de division vis-à-vis des chefs des différentes communautés du nord du Mali. Ce clientélisme ne peut faire que des mécontents avec le risque de reprise de conflits armés. Dans le même temps, les populations sont tenues à l’écart des assises nationales et régionales de la décentralisation, ce qui freine ainsi une possible réconciliation entre les populations. Les accords de Ouagadougou sont au point mort et le retour des services de l’État reste lent et difficile. Dans l’ensemble du pays, les difficultés sociales s’accumulent alors que les pratiques de corruptions reprennent de plus belle.
Les faits sont têtus : depuis la mandature de François Hollande, la présence militaire française augmente, plus de 10 000 soldats. Dorénavant les troupes françaises sont présentes au Sénégal, au Gabon, à Djibouti, au Tchad, en Centrafrique, au Cameroun, au Burkina Faso, au Niger, en Mauritanie. À cela s’ajoute une présence maritime dans le golfe de Guinée et sur la corne de l’Afrique. D’ailleurs, cette politique s’accorde parfaitement avec celle des États-Unis qui utilisent déjà des drones dans le Sahel, en Afrique centrale et de l’est. Hollande n’a donc pas dérogé à la règle d’une France qui, pour son compte ou celui de l’impérialisme occidental, se charge de stabiliser les pays africains, grâce au « savoir-faire exemplaire de l’armée française »… dixit les conseillers militaires de la Maison Blanche. [1]
Paul Martial
L’ami indéfectible d’Israël
Au-delà des discours à géométrie variable, l’alignement de la diplomatie française sur la politique de l’État sioniste s’accentue depuis l’élection de François Hollande, l’objectif étant de mettre en œuvre un partenariat privilégié.
Si, à l’ONU, la France déclare être favorable aux deux États, avec Jérusalem Est capitale de l’hypothétique État palestinien, dans les faits elle s’aligne sur l’agenda politique d’Israël. Ainsi, à propos du nucléaire iranien, François Hollande s’est déclaré prêt à mener une guerre contre ce pays, à l’instar du gouvernement israélien.
Dans une lettre du 3 janvier 2014 [2], l’ambassadeur de France à Tel-Aviv écrit dans la presse israélienne : « J’invite donc les autorités israéliennes, les membres du gouvernement et de l’opposition, les députés de la Knesset, les entrepreneurs, les chercheurs, les artistes et les intellectuels à prendre la parole et à nous faire part de leur vision des relations futures avec l’Union européenne. Faites-nous part de vos idées et propositions concrètes… ». Malgré les conditions fixées par l’Union européenne concernant les colonies exclues du champ d’application d’un nouvel accord Europe/Israël, dans cette même lettre ouverte, l’ambassadeur écrit : « Était-ce que l’offre européenne était assortie de conditions terribles ? Non, l’offre est faite sans condition autre que de faire aboutir le dialogue engagé avec les Palestiniens, selon les modalités que les deux parties jugeront bonnes… ».
Exit le principe d’exclure les colonies de tout accord, et la politique d’expansion territoriale israélienne. Pas de sanction contre la politique d’exclusion des populations arabes de Jérusalem et du Néguev ! Il faut dire que ce même représentant diplomatique de la France [3] conviait le 9 janvier à un déjeuner amical les soldats franco-israéliens actuellement incorporés dans l’armée d’occupation israélienne, coupable de crimes de guerre, d’assassinats dits « ciblés » !
Diplomatie… et commerce
Renforcer la coopération franco-israélienne fut la demande du ministre du Commerce extérieur afin de doubler en cinq ans les échanges économiques entre les deux pays, projet poursuivi par l’actuel gouvernement. La coopération militaire EADS-Thales-Dassault avec la société Israël-Aerospace-Industries (IAI), spécialisée dans la fabrication de drones et d’avions de combat, se poursuit. Un budget français de 300 millions d’euros y est consacré et une équipe d’experts français travaillent dans les locaux d’IAI.
Enfin 112 contrats en 2007, 104 contrats en 2008 d’exportation d’armes de la France vers Israël, ont été conclus, faisant de la France le premier pays européen exportateur d’armes vers l’État colonial.
Le Président français, et son ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, ne font pas que chanter les louanges d’Israël. Ils font de la France la complice de la politique des gouvernements israéliens de gauche, d’extrême droite ou d’union nationale. Des politiques meurtrières pour les Palestiniens et d’apartheid pour les populations non juives d’Israël !
Marc Prunier
Le Président et « le royaume du cœur des ténèbres »
Fief de la réaction au Moyen-Orient, l’Arabie saoudite intervient actuellement dans toute la région, finançant des mouvements salafistes, soutenant activement le régime militaire égyptien (les wahhabites saoudiens méprisent les Frères musulmans) ou certains courants armés en Syrie, en vue de transformer une révolte anti-dictatoriale en affrontement confessionnel sunnites/alaouites.
Elle a aidé à écraser militairement la révolte au Bahreïn, en mars 2011. Le royaume est l’un des pires États du monde en ce qui concerne les droits et libertés, et le seul à s’être ouvertement opposé à la Déclaration universelle des droits de l’homme en 1948.
Or, il est aussi une destination de visites officielles françaises. Le 12 février 2011, en pleine ébullition des pays arabes et 24 heures après la démission d’Hosni Moubarak en Égypte, le Premier ministre François Fillon vint discuter à Riyad avec le prince héritier saoudien Sultan ben Abdelaziz. En novembre 2012, François Hollande y fit une première visite. Sa seconde visite, les 29 et 30 décembre 2013, a été plus longue.
VRP de l’armement
Il était accompagné d’une trentaine de grands patrons (dont les PDG d’EdF, Areva, Véolia, Thales et SNCF en personne), de quatre ministres français – Affaires étrangères, Redressement productif, Commerce extérieur et Défense –, et bien entendu gros contrats, surtout dans le secteur des commandes militaires. Bien qu’aucun contrat n’ait été signé sur place pendant la visite – ce n’est pas dans les habitudes du roi –, le patronat français est notamment bien placé pour un méga-projet nucléaire : la construction de 16 centrales nucléaires, pour une somme de 70 à 100 milliards de dollars. Une « étude de faisabilité » sur la base de la technologie de l’EPR français est en cours, et EdF a fondé une entreprise commune avec la Global Energy Holding Company saoudienne. Thales est en attente de la signature du contrat « Mark 3 » pour quatre milliards d’euros, afin d’équiper des troupes d’élite de l’armée saoudienne en missiles Crotale.
Déjà en 2010, l’armée saoudienne avait acheté du matériel à 70 % français. La France entend aujourd’hui pousser davantage ses pions à Riyad – « premier partenaire commercial de la France au Moyen-Orient » (hors Turquie), comme l’a dit Hollande dans Al-Hayat du 30 décembre, profitant ainsi du refroidissement des relations avec les USA.
Les dirigeants saoudiens reprochent aux États-Unis leurs récents compromis avec l’Iran (accord de Genève sur le nucléaire de novembre), mais aussi leur manque d’entrain à armer les « bonnes » fractions rebelles en Syrie. La politique de la France envers l’Iran et la Syrie a été louée comme « courageuse » lors de la récente visite de Hollande.
Puisque la France se comporte depuis longtemps comme parrain des élites libanaises (le Liban ayant été un protectorat français jusqu’en 1943), François Hollande a aussi plaidé à Riyad la cause de l’armée libanaise. Celle-ci va recevoir une aide financière saoudienne de trois milliards de dollars… pour pouvoir acheter des armes françaises !
Bertold du Ryon
Iran, le zèle rétrograde de la France
Le 24 novembre dernier, le programme nucléaire de Téhéran a fait l’objet d’un accord intérimaire qualifié « d’historique » entre la République islamique d’Iran et les grandes puissances.
Dès mars 2013, Washington et Téhéran avaient entamé des discussions bilatérales avec la bénédiction du Guide Khameneï. Cela intervient à un moment où Washington tend à se déployer en Asie du sud-est et à se désengager partiellement du Moyen-Orient.
Pour qui voyait en la République islamique d’Iran un état anti-impérialiste, l’accord de Genève a pu paraître surprenant. Cette vision erronée de la politique de Téhéran fait fi de la collaboration entre la République islamique et l’impérialisme étatsuniens en Irak ou en Afghanistan… Ce compromis permet à la République islamique d’obtenir un allègement des sanctions et de revenir en force sur la scène régionale. En échange, les États-Unis pourront compter sur Téhéran pour œuvrer à une issue satisfaisant leurs intérêts en Syrie.
Choix stratégique
De son côté, la France a tout fait pour empêcher l’accord et a tenu une position saluée par Israël et l’Arabie saoudite. Elle entend profiter d’un certain désamour entre Washington et Riyad pour opérer un rapprochement avec le Royaume saoudien.
Fabius et Hollande comptent ainsi obtenir des accords économiques et commerciaux juteux et se positionner en rempart à la République islamique dans la région. De plus, la diplomatie française et saoudienne partage les mêmes options stratégiques sur les dossiers iranien, syrien ou libanais.
Quitte à afficher des velléités d’opposition à Obama, Hollande veut obtenir une position stratégique au Moyen-Orient, en s’appuyant sur l’Arabie saoudite qui pourtant n’a de cesse de financer les groupes djihadistes les plus réactionnaires de la région… et sur l’État d’Israël qui pratique un apartheid sans nom à l’égard du peuple palestinien.
Babak Kia
Dossier coordonné par la commission internationale du NPA