Entrée en matière dans le nauséabond
Dieudonné entretient des liens suivis avec l’extrême droite organisée depuis une dizaine d’années. Ces liens furent d’abord présentés sous l’angle de la « provocation » et du prétendu humour, mais ce stade est dépassé depuis longtemps...
Suite à ses premiers propos choquants sur la Shoah, notamment sa déclaration prononcée en février 2005 à Alger sur la « pornographie mémorielle » autour du 60e anniversaire de la fin de la Shoah, Dieudonné reçoit d’abord le « soutien » de l’entourage de Bruno Gollnisch. Ce dernier avait fortement relativisé l’existence des chambres à gaz, lors d’une conférence de presse à Lyon quelques mois plus tôt le 11 octobre 2004, ce qui lui avait valu d’être exclu de l’université Lyon-III. Aussi, quand cette sortie de Dieudonné a provoqué critiques et condamnations politiques, « l’humoriste » a reçu le soutien de l’entourage de Gollnisch, au nom d’une solidarité entre « persécutés »... Hugues Petit, conseiller régional FN en Rhône-Alpes et président du « comité de soutien » à Gollnisch, déclara ainsi : « Je soutiendrai sans réserve Dieudonné s’il est poursuivi au nom de la loi Gayssot pour ses derniers propos. »
Le FN en soutien...
En 2006, les choses s’accélèrent. Du 27 au 31 août, Dieudonné voyage à Beyrouth avec le « rouge-brun » Alain Soral, l’idéologue complotiste Thierry Meyssan et un journaliste de Minute, Lionel Humbert. L’hebdomadaire d’extrême droite daté du 13 septembre 2006 est donc le seul journal français à rendre compte du voyage organisé par Frédéric Chatillon, un ancien du Gud proche du régime syrien. Le 11 novembre suivant, Dieudonné se rend à la « Convention présidentielle » de Jean-Marie Le Pen au Bourget. Le 18 décembre, une brochette de représentantEs du FN, Bruno Gollnisch, Jany Le Pen (épouse de Jean-Marie), Éric Iorio (ex-mari de Marine Le Pen) et Jean-Michel Dubois, assistent à un spectacle de Dieudonné au Zénith de Paris. On y croise aussi Soral et Meyssan.
Deux ans plus tard, le 26 décembre 2008, rebelote ! Sauf que Dieudonné innove : le spectacle se déroule à nouveau au Zénith de Paris, mais cette fois-ci, devant 5 000 personnes, il fait monter le négationniste Robert Faurisson sur scène, Jean-Marie Le Pen assistant en personne à la représentation. Quelques mois avant, le 11 juillet, ce dernier était devenu le parrain de Plume, la dernière fille de Dieudonné…
En 2009, Dieudonné et Soral présentent leur propre liste (soi-disant « antisioniste ») aux élections européennes, sans le FN qui présente sa propre liste. Mais lors du dépôt du dossier de candidature au ministère de l’Intérieur le 13 mai, ça coince : la police immobilise le bus de Dieudonné sur les Champs-Élysées. Qui appelle-t-il pour prendre conseil ? Jean-Marie Le Pen ! Ce dernier sera d’ailleurs applaudi par l’assistance lors de la soirée électorale de la « Liste antisioniste » lorsque sa tête apparaît sur les écrans télévisés. Alain Soral prétendra même que Jean-Marie Le Pen a voté pour sa liste…
Dieudonné : la « quenelle » avariée du faux clown
Dans les années 90, Dieudonné apparaît comme militant antiraciste mais pas seulement : il se revendique tout autant écologiste, pro-palestinien et athée. Il ancre principalement son engagement militant dans la lutte pour la reconnaissance et la mémoire de l’esclavage du peuple noir. Par un étonnant paradoxe, c’est cette quête identitaire aux fortes orientations humanistes, voire révolutionnaires, croisée avec son intérêt pour la lutte du peuple palestinien, qui va le mener à se rapprocher petit à petit de l’extrême droite…
Les différents systèmes d’oppression qui caractérisent notre monde moderne s’enracinent tous dans l’inégalité profonde du système économique, mais ils prennent ensuite les formes les plus diverses. C’est ce qui les rend si difficiles à discerner et à combattre. Mais Dieudonné refuse de se confronter à cette complexité : il dérive rapidement vers un discours simpliste sur l’anti-impérialisme et l’oligarchie financière mondialiste. À l’issue de ce cheminement vers la facilité intellectuelle, son combat se résume à dénoncer un pseudo complot juif international. Longtemps, il cache ce basculement vers les thèses chères à l’extrême droite antisémite sous le déguisement du discours « antisioniste » et, quand il va trop loin, sous le sceau de « l’humour » et de la « liberté d’expression ». L’humour étant l’excuse habituelle de tous les racistes et sexistes (« c’est pour rire »…).
Dieudonné cultive son côté provocateur et affirme son statut d’humoriste pour faire passer la pilule et esquiver tout débat de fond. Mais quand il interviewe très sérieusement Serge Ayoub (alias « Batskin »), le chef des Jeunesses nationalistes révolutionnaires, dissoutes suite à l’assassinat du militant antifasciste Clément Méric, on est en droit de se poser la question : où est l’humour ? Il n’y en a pas : juste une provocation et une affirmation au grand jour de ses affinités politiques ! De même, plusieurs militants d’extrême droite (dont des JNR) assureront la protection du théâtre de la Main-d’or et de Dieudonné.
Quand Valls prétend lutter contre Dieudonné
Si ces derniers temps Dieudonné est revenu au cœur de l’actualité, c’est grâce à Manuel Valls. Dans le cadre d’une politique antiraciste cohérente, on pourrait peut-être se réjouir de ce genre de condamnation publique. Mais ne soyons pas dupes : on se souvient des sorties de Valls à Évry, où, au cours d’une brocante, il lâche négligemment : « Belle image de la ville d’Évry ! Tu me mets quelques blancs, quelques white, quelques blancos ». Pour enfoncer le clou, on pourrait aussi évoquer sa politique comme ministre de l’Intérieur qui réussit l’exploit d’atteindre un niveau d’expulsions de Roms encore plus important que sous Sarkozy… « L’affaire Dieudonné » lui permet juste de se racheter à peu de frais une conscience de gauche !
Jusque-là, aucun homme politique, de droite comme de gauche, ne s’était inquiété des milliers d’euros d’amendes que Dieudonné doit au Trésor public, notamment après une série de condamnations pour propos antisémites ou injures, amendes dont pas un centime n’a été payé. Parmi ses plus récentes condamnations, celles pour avoir comparé les « juifs » à des « négriers » dans une interview au JDD, ou encore pour avoir qualifié la Licra d’« officine israélienne ». La liberté d’expression est un droit précieux pour lequel nous nous sommes toujours battus. C’est d’ailleurs pour cela que nous étions hostiles à la volonté de Valls d’interdire à priori les spectacles de Dieudonné : interdire l’expression d’un individu parce qu’on suppose qu’il va tenir des propos condamnables juridiquement est un précédent très dangereux qui pourrait demain être utilisé contre tous ceux qui critiquent les pouvoirs en place. Mais quand ce type de propos est effectivement tenu, il est juridiquement condamnable. Et non, il ne s’agit pas de répression sur une pauvre victime : le racisme n’est pas une opinion, c’est un délit, il en va de même pour l’antisémitisme.
Signe extérieur d’antisémitisme
Dieudonné est également à l’origine de la fameuse « quenelle », popularisée avec son affiche lors de la campagne de la Liste antisioniste en 2009. Elle est aujourd’hui communément expliquée comme un geste « anti-système », alors qu’il s’agit bien d’une nouvelle version du bras d’honneur qui vise les puissants, les riches et surtout les juifs. C’est bien un geste antisémite [1]. Et quand ce geste est exécuté par un homme qui ne perd pas une occasion de déclamer sa haine des juifs et qu’il est repris par de nombreux cadres, candidats aux municipales et dirigeants du FN (Jean-Marie Le Pen, Bruno Gollnich, Frédéric Chatillon, Marie d’Herbais), le doute n’est plus permis : Dieudonné se défend aujourd’hui de ses liens avec le FN, il s’agit pourtant bien du seul parti dont les dirigeants et militants reprennent « la quenelle »...
Outre des militaires et des policiers, des personnalités comme Anelka ont repris ce geste au nom de son caractère prétendument « anti-système », ce qui n’a fait qu’accroître la popularité de « l’humoriste ». Pourtant, on s’étonne de constater que le système, d’habitude si prompt à condamner lourdement ceux qui se rebellent (syndicalistes, grévistes…), se montre bien laxiste vis-à-vis de ses pseudo-détracteurs : pas un militaire, pas un policier n’a été condamné pour cette pseudo-rébellion. Quant à Anelka, sa carrière de footballeur outre-Manche, largement rétribuée par son club et ses sponsors, se porte plutôt bien.
Business « anti-système »…
De son côté, Dieudonné n’a pas tardé à déposer auprès de l’INPI (Institut national de la propriété intellectuelle) les marques « quenelle » et « quenelle + », développant ainsi une stratégie merchandising fleurissante via la distribution de produits dérivés sur le web. Le militant « anti-système » se révèle ainsi être un redoutable capitaliste. Sa société de conseil en communication « e-quenelle » affiche en 2012 un chiffre d’affaires de 88 100 euros et sa société de production 1,8 million. C’est à se demander comment les milliers de militants qui luttent chaque jour contre les injustices de ce système se sont débrouillés pour ne pas tous finir milliardaires…
Comment cet homme, multimillionnaire et plein de haine raciale, peut-il encore se prétendre le porte-voix des opprimés ? Vouloir soi-disant se venger d’une oppression raciste en s’en prenant à une autre minorité, c’est une recette vieille comme l’extrême droite. Ce n’est pas lutter contre le système, c’est faire le jeu de ceux qui veulent diviser notre camp social, ceux-là même qui sont responsables des oppressions subies par ces jeunes de classes populaires qui acclament le pseudo-humoriste qu’est Dieudonné.
Soral : l’imposture intellectuelle d’un Hercule de foire
C’est en 2004 que Dieudonné va faire la connaissance d’Alain Soral. Ils deviendront rapidement amis et politiquement proches, notamment sur la question de « l’antisionisme » et du « lobby juif ». On en apprend beaucoup d’un homme au travers de ses amitiés. Penchons-nous donc sur celles de Dieudonné : qui est Alain Soral, cet ami fidèle qu’il fréquente depuis une dizaine d’années et avec qui il s’est lancé dans la politique ?
Cette amitié a amené Dieudonné en 2004 à rompre tout lien avec l’association de lutte pour la paix au Proche-Orient EuroPalestine. Dans un communiqué de presse, l’association expliquait avoir refusé de faire liste commune aux élections avec l’humoriste, déplorant le fait que celui-ci s’affiche avec des éléments antisémites et négationnistes [2]. Soral et Dieudonné feront campagne commune aux élections européennes de 2009 sur une « Liste antisioniste » composée de personnes issues d’horizons les plus divers, dont Yahia Gouasmi, un cadre régional du FNJ, des nationaux-catholiques antimusulmans et des complotistes divers… Lors de la présentation de la liste, l’une des colistières déclara même sa fierté d’être « sur cette liste antisémite » [3]. Lapsus, quand tu nous tiens…
Le temps des premières impostures
Alain Soral commence sa « formation politique » en traînant dans les milieux intellectuels parisiens alors qu’il est étudiant aux Beaux-Arts. En 1990, il découvre les écrits de Michel Clouscard qui l’amèneront à se définir comme « marxiste ». Dans le même temps, il fait sienne la critique féroce de Clouscard sur Mai 68 et en développe une haine viscérale pour tous les mouvements d’extrême gauche issus de cette période.
De 1990 à 1993, Alain Soral affirme avoir été militant au PCF. Étrange coïncidence : personne ne se souvient de son passage. Selon Jean-Paul Gautier et les coauteurs de la Galaxie Dieudonné, Soral déclare « avoir animé pendant cette période, aux côtés de Marc Cohen, le Collectif communiste des travailleurs des médias (dit aussi « cellule Ramón-Mercader »), faisant paraître le bulletin La Lettre écarlate ». Première imposture, car « en réalité, ce collectif était dirigé par Henri Malberg, membre du comité central du PCF. Lors de nos investigations, nous n’avons trouvé aucun document qui laisserait entrevoir qu’Alain Soral aurait joué le rôle qu’il cherche à s’attribuer. » Pourtant, aujourd’hui encore, c’est ce supposé passage au PCF qui constitue le faire-valoir de gauche de Soral, le blanc-seing grâce auquel il fait passer ses idées réactionnaires et racistes pour des positions « anti-système » !
Du FN à sa petite entreprise
C’est en 2005 que le masque se fissure : Soral adhère au FN, d’abord de manière un peu officieuse, puis comme militant « intellectuel » proche de Jean-Marie Le Pen. Il deviendra par la suite un dissident du parti. Par opposition aux idées nauséabondes de l’extrême droite ? Non : par ego, le FN lui ayant refusé la tête de liste en Île-de-France pour les européennes de 2009. Il entre par ailleurs en conflit avec Marine Le Pen, laquelle a entrepris de soigner l’apparence de respectabilité politique de son parti en faisant le ménage des éléments les plus radicaux (entendez par là ouvertement racistes, homophobes et antisémites). À ce moment-là, Jean-Marie Le Pen lui-même, bien connu pour ses côtés modérés, trouve le petit Alain un peu « excessif » [4], c’est dire ! En 2009, Soral quitte donc le FN et publiera à cette occasion un texte « antimariniste » sous le titre : « Marine m’a tuer ! »...
Quelques mois auparavant, en 2007, Soral avait créé son propre groupe : Égalité et Réconciliation. Il le définit comme « la gauche du travail et la droite des valeurs, pour une reconstruction nationale ». Pour bien marquer le véritable ancrage politique de l’organisation, c’est Jean-Marie Le Pen qui, présent à la première université d’été du groupe, en prononcera le discours de clôture. En 2011, Soral publie son œuvre phare, qui constitue peu ou prou les fondements idéologiques d’Égalité et Réconciliation : Comprendre l’empire : demain la gouvernance globale ou la révolte des nations ? La construction d’Égalité et Réconciliation n’est pas basée sur la formation et l’émancipation intellectuelle de ses militants, mais bien sous « hégémonie intellectuelle » d’Alain Soral, les militants le définissant eux-mêmes comme leur « maître à penser ». Aujourd’hui, c’est une coquille vide regroupant peu de personnes, ce groupe servant de vivier de recrutement, en particulier au FN [5].
Aux sources du fascisme
Officiellement, Soral et les membres d’Égalité et Réconciliation se défendent d’être dans une organisation d’extrême droite et se définissent toujours comme « marxistes ». Le marxisme n’est pas un label : nul n’en est propriétaire, et il existe de nombreux courants marxistes qui débattent et font vivre l’extrême gauche. Mais ces courants ont pour la plupart en commun une critique profonde du système : l’inégalité économique inhérente au capitalisme ; le fait qu’une minorité, la bourgeoisie et son personnel, possède l’écrasante majorité de la richesse mondiale et des moyens de production quand tous les autres, la majorité de la population, n’ont d’autre choix que de vendre leur force de travail pour survivre. Une inégalité fondamentale qui est à la source de toutes les oppressions que vivent les peuples.
Soral, lui, se réinscrit dans la lignée du fascisme mussolinien. Selon lui, prolétaires et patrons sont victimes au même niveau du système capitaliste. Il appelle donc de ses vœux à l’union des classes populaires et de la bourgeoisie nationale : une rengaine connue, c’était déjà là le vœu, entre autres, du parti national-socialiste allemand ! Une question demeure, à laquelle Soral ne daigne pas répondre : comment un système économique peut-il perdurer si longtemps si personne n’en profite ? Si tous y perdent ? Peu importe les absurdités de sa théorie, Soral estime qu’il est temps de dépasser le concept de lutte des classes pour restaurer les « solidarités nationales ». Sous couvert de discours marxiste, la « pensée soralienne » met donc fin à la lutte des classes et ne cherche plus qu’à rendre acceptable les idées nationalistes en direction des classes populaires.
Imposteur et affairiste
Comme pour son ami Dieudonné, c’est encore en se penchant sur les moyens de subsistance de Soral que l’on comprend le mieux toute l’imposture de son discours : celui qui a bâti sa notoriété sur la critique du système marchand s’avère être lui-même un brillant commerçant. « Alain Soral détient en effet 80 % des parts d’une société (SARL Culture pour tous) qui se subdivise en quatre sites distincts de vente en ligne. Et avec 640 000 euros de chiffre d’affaires l’an passé, on est loin de la charte d’E&R qui fustige « l’idéologie du monde marchand » » [6]. Il semble que la critique politique de Soral soit sans pitié pour les autres, mais s’arrête là où commence sa propre « vie privée »...
« Soral se situe en fait à la rencontre des frères Strasser en Allemagne et de Mussolini en Italie. Il se place sur son terrain de prédilection et sa spécialité, le double discours : marxiste et traditionaliste. C’est ainsi qu’il présente son livre Comprendre l’Empire : « Cet essai pédagogique récapitule le parcours complet allant de la tradition au marxisme et du marxisme à la tradition qui seul permet la mise à jour du processus de domination oligarchique engagé depuis plus de deux siècles en Occident ». Nationaliste avant tout. Pour paraphraser Clemenceau, on peut dire que Soral est au marxisme ce que la musique militaire est à la grande musique ». [7]
Dossier réalisé par la commission nationale antifasciste du NPA
Pour prolonger ce dossier :
Consultez le site de la commission nationale antifasciste du NPA : www.tantquillefaudra.org
Lisez le livre la galaxie Dieudonné, pour en finir avec les impostures de Michel Briganti, André Déchot et Jean-Paul Gautier, éditions Syllepse, 2011, 10 euros.