Parmi les personnes ayant voté lors du réferendum des 14 et 15 janvier, combien ont approuvé la Constitution ?
Hany Hanna : 98,1 % des suffrages exprimés se sont portés sur le OUI. Seul le Front Thuwar (Voie de la révolution), qui regroupe des forces limitées, avait appelé à voter NON. D’autres courants révolutionnaires, comme le Mouvement du 6 avril avaient appelé à l’abstention.
L’abstension est-elle très différente de celle des précédents référendum constitutionnels ?
Hany Hanna : L’abstention a été de 61,4 %. Cela n’est en fait pas très différent des deux scrutins constitutionnels précédents. L’abstention n’a en effet baissé que de 6,6 % par rapport 2012, ce qui est très peu étant donné l’intensité de la campagne incitant à aller voter. Le pourcentage d’abstention a par contre augmenté de 2,4 % par rapport à 2011.
De quel soutien le général Sissi dispose-t’il dans le pays ?
Hany Hanna : Sissi conserve pour l’instant un immense soutien. Dans les médias le référendum était présenté comme « pour ou contre le 30 juin » [1], « pour ou contre Sissi ». Un vrai culte de la personnalité s’est mis en place, on voit par exemple circuler des statuettes à son effigie. Mais il ne faudrait pas en conclure que Al-Sissi va rester au pouvoir pour des dizaines d’années. Le régime a l’illusion qu’il contrôle le peuple. Sa popularité actuelle repose en fait sur du vent : beaucoup projettent leurs rêves sur lui, et ils ne vont pas tarder à être déçus.
En attendant, peut-on parler de « Sissi futur imperator » ?
Hany Hanna : Il semble de plus en plus évident que Al-Sissi sera élu Président. La seule inconnue est la faible probabilité que le nassérien Hamdeen Sabahi se présente également : il était arrivé en troisième position aux élections présidentielles de 2013.
Quelle est l’attitude du pouvoir face aux opposants politiques ?
Hany Hanna : Elle est ultra-violente. Le 25 janvier 2014, le Front Thuwar, qui s’oppose à la fois aux militaires et aux Frères musulmans, avait par exemple appelé à manifester dans les rues du Caire en direction de la place Tahrir. Environ 35 minutes après le début de la manifestation, les 5000 manifestants ont été dispersés par les policiers à coups de gaz lacrymogènes et il y a eu 5 morts. Les petits groupes de manifestants ont été encerclés par les véhicules de la police et n’ont pas pu rejoindre la place Tahrir. Il n’était possible d’y accéder qu’à titre individuel et en montrant patte blanche. Les seuls groupes autorisés à pénétrer sur la place étaient ceux favorables au pouvoir. La télévision a ensuite expliqué que ceux qui avaient manifesté avec le Front Thuwar étaient des partisans de la « Confrérie terroriste », et que c’était la raison pour laquelle la police les avait dispersés. Sur l’ensemble de l’Egypte, 89 manifestants ont été tués le 25 janvier 2014.
Quelle est la situation du mouvement ouvier dans les entreprises ?
Hany Hanna : Elle est très difficile. Les patrons font preuve d’une grande arrogance depuis le 3 juillet 2013. Auparavant, ils finissaient par céder à certaines revendications. Maintenant, ils ont davantage tendance à la fermeté, notamment en faisant appel à la police et l’armée. Il y a de plus en plus de licenciements pour faits syndicaux.
Néanmoins, les travailleurs continuent à s’organiser de mieux en mieux en contournant davantage les difficultés.
Peux-tu donner quelques exemples à ce sujet ?
Hany Hanna : L’association ECESR [Centre égyptien pour les droits économiques et sociaux], qui aide depuis des années les travailleurs à se défendre et s’organiser, a ouvert il y a 6 mois une antenne à Alexandrie. Elle a contribué à créer un « Congrès permanent des travailleurs d’Alexandrie » qui regroupe des non-syndiqués, des membres des syndicats indépendants, et des adhérents du syndicat officiel (ETUF).
Comme le dit une des représentantes de l’ECESR : « La révolution ne réussira pas sans la constitution d’organisations à la base. Quand il n’y avait pas de vie politique ou syndicale, les organisations étaient créées autour de certaines personnes qui appelaient les gens à se regrouper autour de leurs idées. Nous, au Congrès permanent des travailleurs d’Alexandrie, notre démarche est inverse : les travailleurs se regroupent et discutent de leurs problèmes et de leurs revendications avant de se structurer ». Ensemble, ces travailleurs essayent d’agir pour contourner les difficultés, les interdictions, la corruption du syndicat officiel, etc.
A Suez, un processus semblable existe de façon plus informelle, en partie à l’initiative d’un militant toujours membre du syndicat officiel.
Comment évoluent les luttes sociales ?
Hany Hanna : Des luttes continuent à avoir lieu de façon régulière, mais au ralenti. Le conflit d’ampleur ayant eu lieu dans la sidérurgie à Helwan, dans la banlieue du Caire, constitue l’exception et non la règle.
Où en sont les mesures sociales annoncées par le pouvoir ?
Hany Hanna : Rien n’a changé par rapport à la politique économique et sociale néolibérale mise en œuvre du temps des Frères musulmans. Le gouvernement se contente de gérer les affaires courantes et il est probable qu’il ne prendra aucune décision importante avant les prochaines élections. La hausse annoncée du salaire minimum des fonctionnaires ne devrait finalement bénéficier qu’à un nombre réduit de personnes.
Que devient l’ancien syndicaliste Kamal Abou Aïta ?
Hany Hanna : Cet ancien président de la centrale syndicale indépendante EFITU [Egyptian Federation of Independent Trade Unions] est toujours ministre. De tradition nassérienne, il disait pouvoir ainsi faciliter la satisfaction de certaines revendications. Mais, rien ne se passe.
C’est notamment le cas de la loi sur la liberté syndicale dont le projet est gelé depuis le printemps 2011, et au sujet de laquelle le Premier ministre [Hazem el-Beblawi] a dit que rien ne sera fait avant que le prochain parlement soit élu.
Kamal Abou Aïta est critiqué par de très nombreux syndicalistes, et il a déclaré qu’il pourrait quitter le gouvernement au prochain remaniement ministériel. Reste à savoir ce qu’il fera réellement.
Quelle est l’état d’esprit de la jeunesse ?
Hany Hanna : Celle-ci est très caustique et méfiante. Les jeunes sont allés voter beaucoup moins que le reste de la population, même si des pourcentages circulant à ce sujet ont été démentis.
Le fossé s’est creusé entre une partie de la jeunesse et les générations précédentes. Un militant du Mouvement du 6 avril a, par exemple, été arrêté suite à une dénonciation de sa mère qui considérait qu’il était un traître à la patrie. Certains jeunes expliquent que leurs parents pourraient faire de même s’ils continuaient à militer.
[1] Contre le régime des Frères musulmans avaient eu lieu, le 30 juin 2013, les manifestations les plus importantes de toute l’histoire de l’Egypte et peut-être du monde.