Les responsables de l’économie algérienne ne sont pas peu loquaces, ces derniers temps, sur la fragilité des finances publiques, aussi dépendantes de la fiscalité pétrolière que dans les défuntes années 1970. La prudence doit être de rigueur, insistent-ils, et certains préconisent même le gel des salaires et l’arrêt des recrutements dans la fonction publique.
Bref, l’austérité devrait être à l’ordre du jour dans tous les domaines…excepté un seul : le domaine spirituel pour ainsi dire. En dépit de tous ces discours sur la nécessité de rationaliser les dépenses de l’Etat en prévision des terribles crises à venir, il n’est toujours pas question d’abandonner le projet de la Grande mosquée d’Alger, que le président Bouteflika entend ériger à la gloire du Seigneur et à la sienne quel que puisse être son poids financier pour les contribuables. Et pour cause : cette mosquée est destinée à devenir une sorte d’emblème national de substitution au ringard Monument aux martyres et, surtout, à rivaliser avec la mosquée Hassan II à Casablanca. Pour répandre la piété au sein de ce peuple impie, son minaret atteindra 265 mètres, soit, sans vantardise aucune, quelque 60 mètres de plus que celui de sa rivale marocaine. Personne ne sait à qui les muezzins, à une aussi vertigineuse altitude, adresseront leurs appels, aux humains ou aux habitants du ciel, mais les voies de Dieu sont impénétrables.
La Grande mosquée d’Alger et ses annexes (bibliothèque, musée, etc.) devraient coûter, pour rappel, 1,5 milliards de dollars, soit 2% du total des revenus des exportations algériennes (73,98 milliards de dollars en 2012) et les trois quarts de ses maigres exportations hors-hydrocarbures (2,18 milliards de dollars en 2012). A l’évidence, ce coût, plutôt astronomique pour un projet improductif, peut augmenter davantage : l’Autoroute Est-Ouest n’a-t-elle pas coûté 12 milliards de dollars au lieu des 7 milliards annoncés en 2005 ? Il est d’autant plus probable qu’il augmente que les responsables de CSCEC, à laquelle a été confié ce vaste chantier, sont un parangon de rigueur morale comme l’atteste l’inscription de cette société sur une liste noire internationale.
Si cette mosquée pouvait être financée par des dons d’hommes d’affaires soucieux de racheter ici-bas leurs péchés anciens et futurs, ou par des bienfaiteurs altruistes des pays du Golfe, sa construction ne soulèverait le mécontentement de personne. Le problème est que les bourgeois algériens s’acquittent déjà difficilement de leurs impôts et qu’il est illusoire de les croire capables de mettre la main à la poche, comme ça, pour l’amour de Dieu ou du président Bouteflika. Quant aux frères d’Arabie, ils sont davantage intéressés, en ce moment, par le financement de groupes intégristes armés qui, en Syrie, donnent à chaque massacre laïc de la famille Al Assad son équivalent islamique, perpétré sous le contrôle légal des muftis wahhabites.
Le problème de ressources posé par ce projet ne se résume pas à celui des budgets colossaux qu’il va engloutir. Une fois achevée, la Grande mosquée d’Alger sera un formidable trou noir budgétaire. Le gouvernement s’enorgueillit de ce que ses chantiers permettent de créer 17.000 postes de travail dont 10 mille pour les Algériens mais il ne souffle mot sur les budgets nécessaires au paiement de ses 1.600 employés qui, tous convaincus qu’ils puissent être de la noblesse de leur tâche sacrée, ne se contenteront pas de promesses de rétribution divine. Personne non plus ne nous explique, pourquoi, au nom de la prudence, on devrait geler la création de postes dans des secteurs de la fonction publique comme la santé et l’éducation quand on est disposé à en créer tant dans les affaires religieuses. Les Affaires religieuses ne font-elles pas partie de la fonction publique ?
1,5 milliard de dollars pour une mosquée alors que la Banque centrale met en garde contre la raréfaction des revenus du budget si les prix du brut ne se stabilisent pas au-dessus de 100 dollars le baril. 1,5 milliard de dollars pour un projet dont l’Algérie ne récoltera rien sinon de pieuses prières aussi impuissantes à la protéger d’un nouveau contre-choc pétrolier que les rituelles salat al istisqa à juguler le changement climatique. 1,5 milliard de dollars qu’il aurait été plus utile de dépenser pour des routes, des écoles et…. des hôpitaux. Le Grand hôpital d’Alger n’est-il pas une plus grande urgence ne serait-ce que pour éviter au président de la République de se soigner dans un hôpital militaire étranger ?
Yassin Temlali