Dans les discussions sur l’unité de la gauche radicale pour les élections européennes, les camarades du Parti communiste ont, jusqu’à présent, exprimé leur volonté de lancer une liste « ouverte » sous l’égide du Parti de la Gauche Européenne (PGE) et de sa plateforme électorale. Le PC a d’ailleurs diffusé des tracts en ce sens et a lancé une invitation pour une réunion « d’information et d’échanges » autour de cette plateforme. Sans préjuger du choix définitif du PC, une discussion sur le contenu de cette plateforme et la stratégie qui l’a sous-tend nous semble toutefois l’occasion d’un réel débat politique.
Le but premier de cet article est d’analyser en détail cette plateforme et exprimer un point de vue argumenté sur elle. Certaines remarques pourront êtres vues par les camarades du PC et du PGE comme des « procès d’intention » ou des interprétations erronées. Si tel est le cas, nous serons heureux d’en débattre ensemble afin d’aboutir aux clarifications nécessaires, car il ne s’agit pas ici de fermer le débat mais bien de l’ouvrir.
Une plateforme et ses avatars
La naissance, la composition et l’évolution du PGE (voir encadré ci dessous) permettent de comprendre que la plateforme du PGE pour les élections européennes, ses contradictions, ses limites comme ses avancées, est avant tout le fruit de longues tractations, de confrontations et de compromis entre des organisations qui, si elles proviennent pour la plupart du monde des partis communistes, n’en n’ont pas moins de profondes divergences, des histoires et des cultures politiques parfois très distinctes entre elles.
Autre remarque préalable ; la difficulté à se référer au « bon » texte. En effet, le premier projet de plateforme a fait l’objet d’un intense travail d’amendements qui ont permis de l’améliorer sensiblement. Fin novembre, la version définitive était adoptée lors d’une rencontre à Berlin et le texte rapidement publié en anglais [1]. Le hic, c’est que la première version française de la plateforme a été traduite par les soins du PCF et publiée en décembre sur le site de l’Humanité en prenant parfois de très grandes libertés avec la version originale [2]. Des différences notables entre les deux textes sur certains points précis qui révèlent d’ailleurs bien les contradictions politiques internes qui traversent le PGE.
Par la suite, le Parti Communiste de Wallonie-Bruxelles a assumé une autre traduction du texte, publiée sur son site internet au début du mois de janvier [3]. Cette dernière est bien plus fidèle au texte original adopté à Berlin. Mais on peut se poser la question : laquelle de ces deux versions est « officiellement reconnue » par le PGE ? Qu’à cela ne tienne, puisque la discussion avec le PC belge repose bien entendu sur sa traduction, c’est sur ce texte que notre analyse repose.
Crise capitaliste : De la difficulté d’aller à la racine des choses...
Plusieurs évolutions positives sont à relever dans la plateforme du PGE, nous y reviendrons, mais elles ont parfois un caractère limité ou ambigu. Tout d’abord, l’apparition du terme « capitalisme » lui-même est à souligner puisqu’il était totalement absent de la première version du texte. Il aura fallu que la crise capitaliste passe par là... Mais on sent tout de même la difficulté à parler du « capitalisme » tout court, et, au-delà, à prendre toute la mesure de cette crise, du tournant qu’elle implique en termes d’analyse, de stratégie et de revendications.
L’analyse se limite ainsi à souligner la culpabilité du « capitalisme néolibéral mondialisé » ; à dénoncer le fait que « le monde a été immergé dans cette crise globale par la politique hégémonique des USA et en particulier par l’administration Bush ». Au fur et à mesure, les responsabilités semblent ainsi se restreindre de plus en plus, jusqu’à une seule personne. Ailleurs on affirme que « La politique, les Etats et des sociétés entières sont soumis aux marchés financiers incontrôlés ». Cette idée d’un capitalisme financier dominant tout peut être ambiguë si on ne la précise pas car, existerait-il, à l’opposé, un capitalisme industriel « contrôlé et démocrate » ? Le capitalisme d’aujourd’hui ne se caractérise-t-il pas, au contraire, par l’interpénétration inextricable des sphères industrielles et financières ?
Selon nous, face à la radicalité de la crise actuelle, il faut vraiment aller « à la racine des choses », le temps n’est plus aux circonvolutions : la crise n’est pas le résultat d’une « mauvaise gestion », de l’absence de « règles » et de « contrôles » de ce système ou d’un « mauvais capitalisme financier » ; elle est le le résultat direct de la nature et de la logique du capitalisme tout court, un système qui a pour seul objectif le profit maximal et à court terme, quelles que soient les conséquences. Cela ne revient pas à faire de la surenchère verbale, ou à s’amuser à celui qui critique le capitalisme le plus loin... Le point majeur est le suivant ; la situation a radicalement changé avec la crise capitaliste dans un contexte où l’espace pour un « réformisme de réformes » n’existe pratiquement plus. On ne peut plus prétendre répondre aux problèmes sociaux et écologiques sans une véritable remise en cause de ce système, sans une remise en cause directe de la logique du profit elle-même, du droit de propriété des grands capitalistes. Il ne s’agit pas d’appeler ici et maintenant à la révolution socialiste ni d’agiter le mot d’ordre « tout le pouvoir aux soviets », mais bien d’affirmer un anticapitalisme conséquent.
Le « court 20e siècle » est derrière nous. Une nouvelle période historique a commencé. De nouvelles couches sociales sont amenées à combattre pour leur émancipation. Elles ne trouvent aucun relais, aucun appui dans la social-démocratie, tant celle-ci a changé non seulement de programme et de pratique, mais aussi de composition sociale. Il s’agit donc de refonder l’anticapitalisme en tant que référence globale. Vu le niveau de conscience, nous pensons qu’avec la crise actuelle, il faut plus que jamais articuler trois niveaux d’analyse et d’exigences : des mesures d’urgence sociale, des mesures transitoires anticapitalistes et une perspective d’alternative de société (« le socialisme »).
L’absence des deux derniers éléments (nous y reviendrons) est frappante dans cette plateforme puisqu’on se limite à indiquer que « la seule issue à la crise est la lutte pour une Europe démocratique et sociale, une Europe des peuples et non pas une Europe des banques ». La nature de cette Europe n’est pas précisée. Ou encore, formule encore plus obscure : « S’attaquer aux racines de la crise financière, avec ses conséquences économiques et sociales, signifie traiter les conséquences dramatiques de la crise financière qui portent des coups terribles à la promotion des capacités humaines et à un développement réellement durable. »
Refonder l’UE ou construire une autre Europe ?
C’est là sans doute l’une de nos divergences les plus fondamentales avec cette plateforme et avec la stratégie du PGE ; l’attitude face à l’Union européenne. Cette stratégie vise en effet à réformer l’UE telle qu’elle est par un travail essentiellement parlementaire. Le titre lui-même de la plateforme annonce la couleur ; on évoque « un changement en Europe », et pas de « changer d’Europe ». On parle de « refonder » l’Union européenne, pas d’une « toute autre Europe ». Notre position est diamétralement opposée et ce n’est pas de notre part une pose radicale, mais bien une conclusion politique de l’analyse de ce qu’est l’UE elle-même, de sa nature et de ses fonctions.
Pas de faux débat : nous pensons qu’il faut lutter pour des mesures d’urgence sociale immédiates, même dans le cadre existant de l’UE. Si nous avions des élus (et c’est d’ailleurs le travail qu’ont réalisé nos camarades de la LCR française Alain Krivine et Roseline Vachetta, en 1999-2004), ces derniers voteraient au Parlement européen toute mesure qui irait réellement dans le sens de plus de démocratie ou de « social ». Mais, en même temps que ces exigences immédiates, il faut avancer et affirmer une perspective qui va au-delà et qui situe clairement l’axe principal de ce combat sur les mobilisations extraparlementaires.
On ne peut propager la moindre illusion sur le fait qu’il serait possible de réformer l’UE « réellement existante » de l’intérieur, par le travail parlementaire, et encore moins d’en faire un instrument au service d’une « Europe sociale » comme s’il s’agissait d’un instrument neutre, ou comme si un simple changement de majorité parlementaire suffirait à réorienter l’UE dans la « bonne voie ». C’est pourtant l’impression qui se dégage de la plateforme du PGE lorsqu’on affirme que « l’Europe est à la croisée des chemins : Ou bien l’Union Européenne continue de mener la politique capitaliste actuelle (...) ; ou bien l’Union européenne se tourne vers une option de développement durable et de justice sociale, de paix et de coopération mutuelle, d’égalité entre les hommes et les femmes (...) ».
Selon nous, « ou bien » l’UE continue ses politiques capitalistes, « ou bien » on l’a met en crise terminale afin de construire un tout autre projet qui puisse effectivement atteindre la justice sociale, ce qui implique logiquement de rompre avec la loi du profit et des marchés. Croire que dans le cadre de l’UE actuelle on puisse garantir réellement une telle justice sociale revient à propager une dangereuse illusion. Cette Europe-là (avec ses institutions telles que le Conseil européen, la Commission, la Cour de justice, la Banque centrale, et y compris le Parlement-croupion européen) ne peut pas prendre cette voie. Elle a été conçue et formatée comme un instrument technocratique et despotique dans le seul but de construire un grand marché unique au profit des capitalistes européens dans leur compétition mondiale, ce qui implique d’écraser au passage les conquêtes sociales arrachées par les travailleurs/euses au cours de l’après-guerre.
La plateforme du PGE ne saisit pas la spécificité de l’UE par rapport à d’autres instruments du pouvoir capitaliste, tels que les parlements nationaux. La nature profondément antisociale de l’UE est étroitement liée à son caractère non démocratique. L’absence de cette démocratie dans les institutions européennes n’est pas un « accident de l’histoire », ni le reflet d’une contradiction inhérente aux transferts de pouvoirs nationaux vers des instances supranationales. Elle est le résultat d’un choix conscient, une condition indispensable afin de mettre à l’abri de la volonté et des sanctions populaires l’instrument chargé de l’objectif décrit plus haut. C’est la condition absolue pour qu’il mène à bien une politique qui va à l’encontre des intérêts de la majorité sociale. Dans le cadre des Etats-nationaux, la chute des gouvernements, les changements de majorité gouvernementale, les mobilisations sociales nationales, etc, peuvent paralyser, bloquer voir inverser les réformes souhaitées par la bourgeoisie. La « pression démocratique » est par contre plus limitée dans le cadre des institutions européennes puisque la seule instance élue au suffrage universel direct n’a pratiquement aucun pouvoir.
L’UE n’est pas comparable aux Etats nationaux. D’abord parce que l’UE n’est pas un Etat supranational accompli, elle fonctionne plutôt – et c’est encore plus vrai en temps de crise - comme une « coopération intergouvernementale institutionnalisée ». A travers les Conseils des ministres européens ou les Conférences intergouvernementales, in fine, ce sont les gouvernements qui décident, pas « Bruxelles », ni la Commission. Ensuite, l’UE ne respecte même pas les principes élémentaires de la démocratie bourgeoise qui s’appliquent (théoriquement) à l’échelle des Etats nationaux (séparation des pouvoirs, parlements qui légifèrent et contrôlent l’exécutif, etc). Sa construction ne suit pas, à une échelle supranationale, la même voie que la construction des Etats-nations qui, tout au long de leur histoire et de la lutte des classes, ont dû accepter des compromis, des conquêtes partielles arrachées par le mouvement ouvrier (la sécurité sociale ou le suffrage universel par exemple).
Sur cette question des institutions européennes, la plateforme du PGE se limite à « donner au Parlement (européen) le droit de légiférer », à « élargir son pouvoir de codécision ». Les deux revendications sont contradictoires : ou bien le parlement décide (légifère), ou bien il codécide avec la Commission ou le Conseil. On trouve aussi ceci : « Les institutions de l’Union européenne (Conseil, Commission et Parlement) doivent s’ouvrir à la participation de la société civile, laquelle doit avoir la possibilité (!) de contrôler leurs décisions ». Autant dire que le capitalisme doit s’ouvrir à la participation de la « société civile ». Au mieux, les voeux pieux de ce genre reviennent en pratique à donner un vernis de légitimité à des institutions despotiques.
La conclusion de la plateforme résume bien toute la stratégie du PGE face à l’UE : « Nous voulons un puissant groupe parlementaire de gauche afin de changer l’Europe »... Nous pensons quant à nous que si des élus anticapitalistes ont leur utilité dans un Parlement européen sans pouvoir, c’est (nous y reviendrons plus loin) avant tout pour se mettre au service des luttes et contribuer à l’émergence d’une puissante mobilisation européenne qui permette de rompre radicalement avec cette UE. « Rompre » ne signifie pas « sortir de l’UE » : il s’agit de paralyser et de mettre en crise terminale ses institutions illégitimes, en même temps que l’on commence à construire une Europe anticapitaliste, la seule qui puisse être « des peuples », de la « justice sociale », « féministe » et « écologique ».
Car, dans cette plateforme, la question de la « méthode » pour « changer l’Europe » n’est pas la seule à poser problème, l’objectif lui-même de la « refondation » reste flou puisqu’on ne précise nulle part la nature de cette Europe « refondée ». S’agit-il d’une Europe qui reste dominée par la loi du profit ou qui cherche résolument à en sortir ? Sur ce point, on nage dans les généralités ; « Le Parti de la Gauche Européenne exige que cette Europe soit une Europe pacifique et citoyenne, dont les options économiques (dans la version originale en anglais on écrit ; « les économies ») soient socialement et écologiquement durables, une Europe féministe qui se développe sur base de la démocratie et de la solidarité ». Plus loin, on précise (?) au chapitre « Pour une économie sociale et écologique » que « La Gauche européenne défend une politique fondée sur le développement économique et social, la protection de l’environnement, et ayant pour but la défense et l’élargissement des conquêtes sociales ». Que signifie une « économie sociale et et écologique » en définitive ? Mystère et boule de gomme.
On ne peut éviter de se poser cette question : pourquoi es-ce si dur dans une telle plateforme (qui n’est pas un tract de masse) rédigée par plusieurs partis pourtant dénommés communistes de parler ouvertement du socialisme ou, à tout le moins, d’une alternative de société anticapitaliste ?
Des Traités, des luttes et des parlements
A juste titre, la plateforme énonce que « Nous réaffirmons notre NON au Traité de Lisbonne ». Mais on ne souffle mot de la nécessité d’abroger également les Traités existants (ceux de Maastricht, d’Amsterdam et de Nice particulièrement) dont les principaux articles consacrent les mêmes orientations néolibérales que le Traité de Lisbonne ; l’imposition d’une « économie de marché ouverte où la concurrence est libre » (Maastricht).
Toutes les revendications très correctes avancées dans la plateforme, telles que la mise « sous contrôle démocratique et public » de la Banque centrale européenne ; la « taxation des transactions financières » et des capitaux spéculatifs la « socialisation » des « biens publics et (des) secteurs économiques stratégiques, y compris le système financier et le crédit » ; l’augmentation des salaires et des revenus des travailleurs, l’harmonisation d’une fiscalité « basée sur le principe de la progressivité de l’impôt » ; un salaire, des revenus et des pensions minimums ; tout cela, aussi juste soit-il est tout bonnement impossible sans une dénonciation des traités en vigueur et de la majeure partie des directives et règlements européens adoptés jusqu’ici. Or, on n’en dit mot.
Par ailleurs, « Il appartiendra aux citoyens de l’Union européenne de débattre et de décider du contenu d’une alternative au Traité de Lisbonne ». Certes ! Mais dans quel cadre devront avoir lieu ce débat et cette décision ? Par un référendum ? Dans le cadre des parlements nationaux – les mêmes qui ont, sans exception, votés ce Traité, comme les précédents ? Du Parlement européen ? Si l’on veut aller au bout de la logique démocratique et des exigences sociales, la seule conclusion qui s’impose est qu’on ne peut y parvenir dans le cadre qui nous est imposé. Il faut donc avancer la perspective d’un processus d’Assemblée Constituante européenne qui, à l’image de processus similaires au Venezuela, en Bolivie ou en Equateur, construise une nouvelle entité démocratique.
Différence et évolution heureuse par rapport au premier projet, la plateforme aborde la question des mobilisations sociales quant elle affirme que « nous nous joignons à la lutte des mouvements pacifistes et anti-guerre, des mouvements altermondialistes », ou encore que la crise « nous met au défi de contribuer à la résistance des peuples ». Mais là aussi une clarification serait nécessaire lorsqu’on écrit que « Des alternatives sont possibles par la lutte en commun, tant dans la rue que dans les Parlements. ». On notera d’abord la prudence de la formulation ; « des » alternatives sont « possibles », etc. En outre, la mobilisation sociale a-t-elle la même importance que le travail parlementaire ? Nous ne le pensons pas. Le cadre institutionnel est un terrain particulier de la lutte des classes, qu’il faut utiliser comme une tribune, pour soutenir et relayer les luttes, pour, en lien avec ces dernières, arracher de véritables conquêtes qui « élèvent le niveau de conscience des masses », leur combativité, etc. Mais c’est aussi et surtout un terrain périlleux où, de par les mécanismes inhérents à la démocratie parlementaire bourgeoise, les risques de perdre de vue les buts et les véritables enjeux du mouvement sont très élevés. C’est pourquoi le travail parlementaire doit être sans ambiguïté conçu comme étant subordonné aux luttes et aux mobilisations, il ne peut pas avoir la même importance.
On aurait souhaité aussi que le texte aborde plus amplement la nécessité des mobilisations sociales et de leur rôle. Curieusement pour une plateforme européenne, on n’évoque nulle part les euro-manifestations, les euro-grèves, la nécessité de coordonner les luttes « nationales » dans une stratégie d’ensemble européenne.
« Une transition vers une économie écologiquement soutenable » ... avec le nucléaire, les agrocarburants et les droits de polluer ?
La plateforme du PGE aborde également la question désormais incontournable de l’écologie, le plus souvent en saupoudrant un peu partout le concept pour le moins usé et limité de « développement durable ». Si ces termes, à condition de bien les définir, pouvaient avoir une certaine pertinence il y a 10 ou 15 ans, il sont aujourd’hui tellement galvaudés que « développement durable » revient aujourd’hui à parler de « capitalisme durable ».
Le texte accorde positivement une importance centrale à la lutte contre le changement climatique. Mais 1°) les revendications concrètes qu’elle met en avant mériteraient clarification, et 2°) un certain nombre de questions clés sur lesquelles il est absolument indispensable de combattre la politique de l’UE sont passées sous silence. Examinons rapidement ces deux questions.
1°) La plateforme demande « un nouveau traité international conforme au 4e rapport de la commission intergouvernementale sur le changement climatique« . Ce traité, selon le PGE, devrait organiser au minimum « une réduction des émissions globales de 30% d’ici 2020 sur la base du niveau de 1990 et d’au moins 80% d’ici à 2050. » On mélange ici deux choses fort différentes : les objectifs de réduction pour les pays développés et les objectifs de réduction globaux.
Selon le GIEC, les émissions des pays développés doivent diminuer de 25 à 40% d’ici 2020 et de 80 à 95% d’ici 2050 (par rapport à 1990), si l’on veut avoir une chance raisonnable de ne pas (trop) dépasser 2°C de hausse de température tout en respectant le principe de « responsabilités communes mais différenciées » des pays du Nord et du Sud. Le chiffre de 30%, qui est dans la partie basse de la fourchette du GIEC, est avancé par l’UE comme objectif européen au cas où serait conclu un nouveau traité international, à condition que ce traité implique des engagements analogues des autres pays développés et des engagements significatifs des grands pays émergents. La plateforme du PGE commet donc une double erreur : 1°) elle reporte au niveau mondial (global) un objectif (30% en 2020) qui ne concerne que les pays développés (cet objectif est irréalisable au niveau mondial) ; 2°) elle escamote la partie supérieure de la fourchette du GIEC pour les pays développés (40% en 2020), alors que l’accélération du réchauffement plaide au contraire pour une application stricte du principe de précaution.
2°) Le texte se prononce pour « la mise en application pleine et entière des engagements de l’Union européenne dans tous les domaines des politiques énergétiques et climatiques ». Cette formulation donne l’impression que la politique climat-énergie de l’UE reposerait sur des engagements globalement corrects, le problème se situant principalement au niveau de la mise en application. Nous sommes en désaccord profond avec cette vision des choses. Pour nous, la politique climat-énergie fait partie intégrante de l’orientation de l’UE en tant qu’instrument au service des multinationales européennes et de leur lutte pour la compétitivité sur le marché mondial, au détriment des travailleurs et des peuples du Sud.
A cet égard, et à titre d’exemple, nous soulignons trois points qui sont soit absents soit très insuffisamment abordés dans la plateforme du PGE :
• L’achat de crédits de carbone. « Nous sommes contre la réduction du protocole de Kyoto à un système marchand de quotas d’émissions » dit le texte. « Il est nécessaire, pour conclure le traité Kyoto 2, de mettre en œuvre une stratégie globale qui permette la réduction des émissions en rendant le développement plus équitable et plus sobre. » Ne tournons pas autour du pot : la question est de savoir si cette « stratégie globale » qui ne « se réduit pas à à un système marchand » autorise les pays développés à acquérir des crédits de carbone provenant d’investissements « propres » dans les pays en développement. Nous sommes contre : les pays du Nord doivent réduire leurs émissions chez eux. L’UE est pour, à telle enseigne que les importations de droits de polluer autorisées au cours de la période 2008-2012 sont supérieures à l’objectif annuel de réduction des émissions. Qu’en pense le PGE ? Il se réfugie derrière des formules vagues et ambiguës. Sans doute souhaite-t-il éviter ainsi le débat de fond avec certaines bureaucraties syndicales qui préfèrent collaborer au néocolonialisme climatique plutôt que de mettre en cause le productivisme capitaliste.
• Les importations d’agrocarburants. Nous sommes contre et y opposons une série d’exigences portant à la fois sur les modes de transport, sur la réduction du trafic et sur la diminution de la production matérielle. L’UE est pour. Son objectif en cette matière est passé de 5,75% d’agrocarburants dans les transports en 2010 à 10% en 2020. Vu les surfaces arables disponibles en Europe, ces volumes ne peuvent être atteints qu’en important massivement du bioéthanol et du biodiesel produits dans les pays en développement, où cette production a des effets en chaîne extrêmement néfastes sur les plans social, économique, alimentaire et écologique. Le chapitre « climat-énergie » est muet sur cet engagement de l’UE. Logiquement, il faudrait en conclure que le PGE souhaite ici aussi « la mise en application pleine et entière des engagements de l’UE ». Cependant, ailleurs dans la plateforme, le PGE se prononce bien contre les agrocarburants. Où est l’erreur ?
• Le nucléaire. Lorsque l’on parle de questions aussi fondamentales que la résolution de la crise climatique dans la justice sociale, on ne peut pas éviter un tel sujet. On ne peut passer sous silence le fait que l’UE, avec le Traité Euratom, a joué - et joue encore - un rôle de premier plan dans la naissance et le développement de cette source d’énergie. Avec l’évidence du changement climatique, on doit dénoncer le fait que ce dernier est aujourd’hui instrumentalisé par le lobby nucléaire afin de « sauver la poule aux oeufs d’or » par une campagne mensongère qui présente le nucléaire comme une source d’énergie propre et « alternative » aux matières fossiles. Une campagne efficace puisque si, dans la dernière décennie, plusieurs pays - dont la Belgique - s’étaient engagés à démanteler progressivement leurs centrales, ces accords sont aujourd’hui partout remis en question et de nouveaux projets de centrales (EPR) sont mêmes développés afin de dégager des profits plantureux pour les capitalistes. Des ressources immenses sont ainsi consacrées à la recherche scientifique, à l’entretien, à la « sécurité » et au développement d’une énergie dangereuse, nocive et épuisable, alors que l’urgence est plutôt de consacrer, dès maintenant, ces immenses ressources pour planifier démocratiquement la transition vers un système énergétique économe, basé intégralement sur les renouvelables. Le PCF étant partisan de l’atome, la plateforme du PGE n’en dit mot.
"Pour nous les questions sociales et du changement climatique sont liées », dit la plateforme du PGE. En effet. C’est pourquoi il convient de les combiner dans une alternative antiproductiviste d’ensemble. Celle-ci ne peut être qu’anticapitaliste, car c’est tout simplement la seule voie qui permette de réduire radicalement la production matérielle et la consommation d’énergie tout en satisfaisant les besoins sociaux et en améliorant les conditions d’existence des populations. Pour ce faire, le minimum est une prise de position nette sur les trois questions ci-dessus. Cette prise de position est absente de la plateforme du PGE.
Le PGE affirme par ailleurs une série de critiques et de demandes fortes et justes sur la Politique agricole commune (PAC) de l’UE, sur la défense de l’agriculture paysanne, tant au Nord qu’au Sud, sur la souveraineté alimentaire et la politique commerciale des produits agricoles. Il y manque tout de même une remise en question plus explicite de la politique de subsides à l’exportation de ces produits qui génère un dumping désastreux avec les productions du Sud.
Social, féminisme et migrants ; avancées et limites
Comme nous l’avons souligné, même si ces demandes sont contradictoires avec le maintien des Traités et des Directives existants, la plateforme contient plusieurs revendications « sociales » décisives. On s’oppose également avec raison au projet de Directive européenne sur le temps de travail, qui prévoyait entre autre d’augmenter le maximum hebdomadaire de ce temps jusqu’à 65 heure (et qui se trouve actuellement bloqué – mais jusqu’à quand ? - suite au vote du Parlement européen). Par contre, la plateforme est muette sur une revendication pourtant essentielle au moment où le chômage monte partout en flèche en conséquence de la crise. Pas un mot en effet sur le droit au plein emploi, qui passe par la lutte pour une réduction généralisée du temps de travail, sans perte de salaire, sans augmentation des cadences et avec embauches compensatoires. On se limite à dire qu’il est « essentiel que la durée légale hebdomadaire du temps de travail ne dépasse pas les 40 heures »... Or, ce qui semble « essentiel » en ce moment, c’est bien de reprendre l’offensive sur la RTT, dont plusieurs syndicats, notamment la CGSP Wallonne chez nous, souhaitent qu’elle revienne à l’avant plan de la lutte syndicale.
Par ailleurs, on précise que « les législations nationales plus favorables doivent être préservées ». C’est le minimum minimorum, car quid des plus défavorables ? Ne faudrait-il pas exiger que ces législations nationales s’alignent sur les plus élevées plutôt que de prôner le statut quo ? Même approche lorsqu’on demande que « les âges différents de départs à la pension doivent être garantis en tenant compte des législations existant dans les pays membres ». On sait pourtant que dans le cadre de la Stratégie de Lisbonne de l’UE, la plupart des gouvernements ont systématiquement relevés les âges de départs à la pré-pension ou à la retraite. Le minimum serait d’exiger de revenir aux législations antérieures à ces contre-réformes néolibérales.
Désaccord très fondamental celui là, la plateforme comporte un paragraphe sur la « démocratisation de l’économie ». Si l’on évoque le droit de grève et d’association, on demande également « les droits et les possibilités pour les travailleurs de participer aux décisions de gestion de l’entreprise, par exemple au sujet des investissements ou des règles de productions ». Bref, la bonne vieille recette social-démocrate de la cogestion des entreprises capitalistes par les travailleurs, ce qui revient à les lier étroitement à la compétitivité de chaque entreprise, à leur patron, à la loi du profit. A cette cogestion capitaliste, nous préférons une revendication historique du mouvement syndical, celle du contrôle ouvrier. Autrement dit, le droit de véto des travailleurs/euses contre toute décision patronale, sans prendre aucune part directe ou indirecte dans la « gestion » des entreprises.
Sur les droits des migrants, on doit remarquer tout d’abord l’absence du mot « sans-papiers » alors que ce terme et leurs luttes ont acquis une place essentielle dans le combat démocratique et social en Europe. On exige « un renforcement des droits des migrants », mais sans préciser lesquels. Or, il s’agirait de parler plus clair en affirmant l’exigence de la pleine égalité des droits politiques et sociaux pour tous et toutes (immigrés « légaux », sans-papiers). On lit ensuite que « Ce qu’il faut, c’est une régularisation et un permis de travail valable ». La régularisation de tous les sans-papiers serait une formulation plus explicite. La plateforme se prononce enfin plus clairement contre les expulsions ; « pour une Europe cosmopolite » opposée à « l’Europe-forteresse » ; elle insiste sur le droit d’asile, rejette le système « Frontex » - l’inique police des frontières de l’UE - et exige tout aussi justement que « tous les centres de rétention doivent êtres fermés ». Elle demande « l’annulation de tous les projets concernant l’application de la « directive droit au retour », - mais n’est-ce pas plus simple et plus clair d’exiger l’abrogation pure et simple de la Directive elle-même ?
Le PGE aspire à une « Europe féministe » et se joint, entre autres, aux « luttes des femmes ». Mais ces principes fondamentaux sont pour le moins peu étayés puisqu’on se contente d’affirmer que « Le Parti de la Gauche Européenne défend une égalité pleine et entière entre les femmes et les hommes dans tous les aspects de la vie. ». Une plateforme ne peut pas tout dire, c’est évident, mais sur une question qui concerne la moitié du genre humain, c’est un peu court. Comment parvenir à cette égalité et par quelles mesures ? Demander l’égalité salariale serait un minimum, tout comme la lutte contre le travail précaire – que l’UE n’a eu de cesse de promouvoir – et qui touche essentiellement les femmes. Les seules difficultés d’accès au travail pour les femmes qui sont évoquées - et encore, en filigranes – le sont à travers un passage sur la « politique globale de développement rural » (!), qui devrait prévoir des opportunités d’emploi « en particulier pour les jeunes et les femmes »...
On doit également remarquer l’absence de toute référence au droit des femmes à disposer de leur corps, et ce alors que plusieurs Etats-membres de l’UE interdisent ou limitent fortement le droit à l’avortement, que les moyens sont notoirement insuffisants pour le garantir et que partout la droite religieuse et réactionnaire est à l’offensive pour le remettre en cause. Pas un mot non plus sur la lutte contre les violences envers les femmes - violences que le lobby masculiniste ne cesse de minimiser - qui nécessite pourtant un renforcement des structures d’accueil et d’auto-défense pour les femmes, une adaptation des mesures judiciaires et un soutien financier et matériel aux victimes. Pourtant, sur cette question, le PGE a mené tout un travail de réflexion, pourquoi n’apparaît-il pas ici ?
La politique étrangère et de sécurité du PGE
Contrairement au premier projet (où l’on demandait qu’elle revienne à « sa mission d’origine » !) la plateforme affirme aujourd’hui très clairement son opposition à l’OTAN et la nécessité de dissoudre cette Alliance. Elle demande également sans ambiguïté « le désarmement et la reconversion des industries militaires », la disparition des armes de destruction massive, etc. Elle s’oppose tout aussi clairement aux projets étatsuniens d’installation de radars et d’un bouclier antimissiles en Europe de l’est et pour le « retrait des troupes de l’OTAN et de la coalition occidentale dirigée par les Etats-Unis en Irak et en Afghanistan ».
Précision importante afin de ne pas tomber dans la défense d’un impérialisme et d’un militarisme contre un autre, fut-il européen, le PGE s’oppose « à la logique des blocs militaires, y compris les politiques visant à créer des structures militaires européennes »... Mais des structures militaires européennes existent déjà (Etat-Major européen, Eurocorps, brigades d’intervention rapide, etc.), dont il faudrait exiger la dissolution. En outre, une certaine ambiguïté subsiste lorsqu’on évoque « la contradiction grandissante entre d’une part les intérêts européens en matière de sécurité et d’autre part la stratégie d’intervention militaire et l’expansion de l’OTAN. » On aimerait savoir ce que l’on entend par « intérêts européens en matière de sécurité », tout comme sur la « nécessité de créer un nouveau système collectif de sécurité en Europe » ? N’est-ce pas réintroduire ainsi les « structures militaires européennes » que l’on rejette par ailleurs ?
Le désaccord est important lorsqu’on affirme que « La communauté internationale ainsi que l’Union européenne doivent aider le peuple afghan à trouver une solution politique par des moyens non militaires sur la base du respect du droit international et des droits de l’homme ». Premièrement, il est de notoriété publique que toutes les actions de l’UE et de la fumeuse « communauté internationale » sont toujours menées aux noms de ces droits, ensuite, on peut douter du caractère désintéressé de l’« aide » venant d’une UE impérialiste. Enfin, la question de l’aide « non-militaire » permet d’escamoter une demande essentielle ; le retrait des centaines de policiers européens de la mission EUPOL-Afghanistan qui assiste la police corrompue d’un régime dictatorial.
Désaccord important également lorsqu’on se limite à demander « l’annulation de la dette des pays les plus pauvres du monde et la révision des programmes d’ajustement structurel de la Banque mondiale et du FMI ». Pourquoi seulement annuler la dette « des plus pauvres du monde » et pas de tous les pays du tiers monde ? Pourquoi se limiter à demander une « révision » et non une abolition des plans d’ajustement, et quel sens donner à cette « révision » ? On affirme par ailleurs que « les politiques commerciales et de développement » de l’UE « doivent être conformes aux objectifs de développement du Millénaire ». Oublie-t-on qu’à côté d’objectifs louables mais jamais concrétisés, ces Objectifs du Millénaire de l’ONU impliquent de « poursuivre la mise en place d’un système commercial et financier multilatéral ouvert » ? (« Cible 8.a »)
Dans ce chapitre « international », la question de la coopération méditerranéenne de l’UE abordée par le PGE est choquante pour une force qui se positionne à gauche. En effet, le PGE soutient « un développement plus important » de cette coopération. Et dans ce sens, la plateforme regrette que « le processus de Barcelone est en crise » car elle souhaite « transformer le processus de Barcelone en une Union méditerranéenne plus soudée et plus institutionnalisée » par la « participation active de toutes les forces politiques et des sociétés civiles des pays impliqués. Un processus démocratique et transparent pour renouer une relation entre tous les pays de la région et l’Union européenne est la seule voie pour éviter que ce projet politique ambitieux ne devienne une structure inégalitaire. »
De quoi s’agit-il ? Le « processus » évoqué ici en des termes aussi élogieux prend naissance (suite à une décision du Conseil européen) à l’occasion du sommet de Barcelone de 1995 qui instaure des relations de « partenariat privilégiés » entre l’UE et une série de pays méditerranéens. Parmi eux figurent de remarquables démocraties respectueuses des droits de l’Homme telles que la Tunisie, le Maroc, la Syrie ou encore... Israël. Depuis 1995, l’objectif de ce processus - qui inclus une série d’accords bilatéraux ; les « Accords d’association » - est d’instaurer pour 2010 une vaste zone de libre-échange néolibérale afin d’ouvrir les marchés des pays méditerranéens aux produits industriels et aux capitaux européens en leur imposant la levée des barrières douanières, la libéralisation de leur commerce, de leur agriculture, de la pêche et de leurs services. D’autres accords concernent la « lutte contre le terrorisme » ou le « contrôle de l’immigration clandestine », encourageant ainsi des pays aussi exemplaires que la Libye à refouler dans le désert et vers la mort les « clandestins » qui transitent sur son territoire à destination de l’Europe. Inutile d’épiloguer plus longuement sur les conséquences sociales, démocratiques et humaines de ce « projet politique ambitieux ». « Structure inégalitaire », ce processus l’est dès son origine et de par sa nature. Et c’est cela dont il faut constater avec regret la « crise » ?
A noter également que la plateforme ne dit mot sur le partenariat privilégié qu’entretient l’UE avec l’Etat terroriste et colonialiste d’Israël (quasiment un statut d’Etat-membre) dans ce cadre, on se contente d’affirmer que le PGE « fera tous les efforts nécessaires pour exiger et pour pousser l’Union européenne et ses pays membres à agir en conséquence » pour les droits du peuple palestinien. Or, lors du dernier sommet du « Processus de Barcelone : Union pour la Méditerranée », en novembre 2008 à Marseille, Israël y a pourtant obtenu un strapontin supplémentaire avec une place de secrétaire général adjoint. Une exigence élémentaire pour que l’UE agisse « en conséquence » serait d’exclure ce pays de tous les accords de coopération et d’association tant qu’il opprime, occupe, massacre et spolie le peuple palestinien. La plateforme demande en outre « la reconnaissance et la concrétisation du droit du peuple palestinien à avoir un Etat indépendant et viable, à côté de l’Etat d’Israël », mais elle n’envisage pas la solution d’un seul Etat démocratique et laïc pour toutes et tous.
Social-démocratie : les liaisons dangereuses
L’un des aspects les plus frappants du premier projet de plateforme était l’absence de référence et de critiques vis-à-vis la social-démocratie. La plateforme de Berlin marque un progrès en ce sens qu’elle affirme : « La politique néolibérale de l’Union européenne a été rendue possible, entre autres, par une « grande coalition » au niveau européen entre les partis des forces conservatrices européennes et les Socialistes européens ». Plus loin le texte déclare que le PGE « entend entrer en compétition face aux partis conservateurs et libéraux, aux partis sociaux-démocrates et verts ». Plusieurs remarques cependant ; tout d’abord, si une telle « grande coalition » existe « au niveau européen », ce n’est pas par la seule volonté des « Socialistes européens » (le PSE), c’est avant tout parce que les partis socialistes nationaux ont opéré un véritable tournant historique au cours des années ’80-’90 avec leur adhésion au libéralisme, devenant ainsi des forces social-libérales. C’est ce tournant qu’ont connus tous les partis socialistes qui explique cette « grande coalition » à l’échelle européenne, cette dernière n’est pas une cause mais bien une conséquence.
Le fait de ne pas évoquer ou acter ce tournant et se limiter à critiquer les « Socialistes européens » (et pas les partis socialistes en Europe) n’est pas anodin puisque les principaux partis membres du PGE se sont tous engagés, s’engagent ou souhaitent s’engager dans leurs pays respectifs dans des alliances gouvernementales avec les partis socialistes, et ce à tous les niveaux (municipaux, régionaux, nationaux).
En Italie, où des élections doubles auront également lieu en juin prochain, Rifondazione, loin « d’entrer en compétition », participera à des alliances électorales avec le Parti Démocrate. En Allemagne, si le SPD rejette actuellement toute alliance gouvernementale avec Die Linke, la direction de cette dernière poursuit bel et bien cet objectif. Au pouvoir dans la ville de Berlin, une coalition SPD-Die Linke n’a pas hésité à privatiser des services publics municipaux. Tout récemment, avec le président du SPD-Berlin, le président de Die Linke de la capitale, a pris la parole à un rassemblement pro-Israëlien, contre le « terrorisme du Hamas », au plus fort de l’offensive contre Gaza. En France, on se souviens du gouvernement de la « Gauche Plurielle » PS-PCF-Verts que la direction du PCF rêve depuis lors de ressusciter, sans parler des nombreuses municipalités co-gérées par le PS-PCF où, là aussi, des services municipaux ont été privatisés – dont la distribution de l’eau, que la plateforme du PGE affirme par ailleurs avec raison qu’elle doit relever strictement du domaine public. Dans l’Etat Espagnol, Izquierda Unida suit depuis longtemps déjà une politique de subordination au PSOE et participe à des gouvernements régionaux ou municipaux en alliance avec ce parti En 2007, c’est une coalition municipale IU-PSOE dans les Asturies qui a envoyé deux syndicalistes en prison, pour la première fois depuis le chute du franquisme.
Dans les pays où cette pratique de collaboration gouvernementale avec les PS est la plus avancée, le bilan électoral pour les partis membres du PGE qui appliquent cette orientation est – sans surprise – catastrophique. Critiquer les PS et le néolibéralisme pendant les élections et puis l’appliquer avec ces mêmes PS une fois au pouvoir n’est pas très cohérent. Le bilan démontre que les partis qui veulent, en définitive, se limiter à jouer le rôle « d’aiguillon de gauche » des PS dans le but de les « gauchir » en s’embarquant au pouvoir avec eux n’y parviennent tout simplement pas. Le tournant social-libéral, la puissance de leur appareil et leur insertion dans l’Etat capitaliste interdisent toute « régénérescence » vers la gauche des PS. Ce sont au contraire les partis du PGE qui se risquent dans cette stratégie suicidaire qui sont entraînés vers la droite par le social-libéralisme. Et ce sont eux qui en paient le prix fort en terme de sanction électorale, pas les PS, qui ont une bien meilleure capacité à rebondir électoralement.
Cette question d’une attitude claire de refus de toute participation à des gouvernements dirigés par le social-libéralisme et d’indépendance par rapport à ces partis est aujourd’hui une question fondamentale, qui se pose avec plus ou moins d’acuité ou de clarté selon les pays et les niveaux de « décantation politique ». Mais quel que soit ce niveau, le principe est partout le même : la lutte conséquente pour des mesures anticapitalistes – ou même simplement anti-libérales - n’est pas compatible avec une stratégie d’alliances de pouvoir avec le social-libéralisme des PS.
Au terme de cette analyse de la plateforme du PGE, il faut souligner que les points d’accord ou de convergence que nous avons évoqués permettent d’envisager des campagnes et des luttes communes sur ces questions précises, nulle équivoque à ce sujet. Mais participer à une liste électorale, ce qui pose directement la question de la relation politique au pouvoir, sous la bannière du PGE et sur base d’une telle plateforme, là il s’agit de tout autre chose. Les divergences politiques et stratégiques fondamentales l’emportent amplement dans ce cadre.
Ont contribué à ce texte : Ataulfo Riera, Daniel Tanuro, Céline Caudron et Denis Horman
(*) Le PGE n’est pas en effet le seul cadre unitaire de la gauche européenne à la gauche de la social-démocratie et des Verts, même s’il est effectivement le plus structuré et disposant de moyens importants. Depuis 2000, à l’initiative du Bloc de Gauche Portugais ; ont lieu des rencontres annuelles de la Gauche anticapitaliste européenne (la GACE). En outre, fin mai 2008, à l’initiative de la LCR française et venant de 16 pays, une centaine de représentant/e/s d’une trentaine d’organisations de la gauche anticapitaliste et révolutionnaire européenne se sont rencontrés à Paris en marge des commémorations autour de Mai 68. Un projet d’une nouvelle rencontre destinée aux partis souhaitant mener une campagne coordonnée pour les élections européennes de 2009 y a été lancé. Le 13 décembre 2008, cette rencontre s’est tenue à nouveau à Paris avec une trentaine de participant/es représentants 14 organisations d’une dizaine de pays : Grande-Bretagne (SWP et Socialist Party) ; Irlande (People not Profit) ; Italie (Sinistra Critica) ; Etat Espagnol (Izquierda Anticapitalista) ; France (LCR, NPA) ; Grèce (OKDE-Spartakos, SEK, Kokkino, Enantia), Portugal (Bloco de Esquerda, comme observateur) ; Suède (SP), Pologne (PPT) et Belgique (LCR/SAP et PSL/LSP). [4].
Le PGE : entre la gauche libérale et la gauche anticapitaliste
Un bref rappel historique n’est pas inutile ; le Parti de la Gauche Européenne a été fondé à Rome en mai 2004 à l’initiative essentiellement du Parti de la Refondation Communiste (PRC), mais aussi par des formations telles que le Parti communiste français (PCF), l’Izquierda Unida espagnole ou (à l’époque) le PDS de l’ex-Allemagne de l’Est. Au total, quinze partis de la mouvance communiste de 11 pays européens l’ont donc fondé au moment précis où le PRC opérait une véritable tournant. Rompant avec sa ligne suivie jusqu’alors d’un parti inséré et soutenant activement les mouvements sociaux et altermondialistes – privilégiant ainsi la lutte extra-parlementaire -, il a alors opté pour une ligne de « soutien critique », puis de collaboration directe avec le social-libéralisme. Ce qui l’a amené, au final, à soutenir le gouvernement libéral de « centre-gauche » de Romano Prodi, avec les conséquences désastreuses que l’ont connaît : le retour victorieux de Berlusconi et la perte de tous ses parlementaires, un cataclysme historique dans un pays où la gauche communiste a toujours su préserver une telle représentation.
D’emblée, le PGE a donc été marqué par une série de contradictions. Comme le notait notre camarade François Vercammen à l’époque : « Par ses textes, le PGE se situe à la gauche de la social-démocratie néolibérale (et certainement du Parti Vert allemand). Mais il se distingue aussi clairement de la gauche anticapitaliste. Avec celle-ci, le PGE a des convergences (...) un vaste terrain de revendications fortes permettant d’agir ensemble et de collaborer sur le plan national et européen. Ces concordances se manifestent d’une manière très inégale. On constate aussi des désaccords importants. Le principal porte certainement sur la question gouvernementale. ».
Aujourd’hui, ces contradictions n’ont pas été résolues, elles s’expriment même de manière plus forte encore. D’une part parce que les politiques « collaborationniste » ou « participationniste » avec la social-démocratie ont été très loin dans certains pays. Le débat sur cette orientation fait aujourd’hui rage au sein de Die Linke en Allemagne (né de la fusion entre la WASG de l’ouest et le PDS) puisque sa direction souhaite gouverner avec le SPD avec la perspective certaine, comme ailleurs, de renier au pouvoir ce pour quoi le parti se bat aujourd’hui. Avec les nouvelles vagues d’adhésions à l’Union européenne, le PGE s’est également élargi aux partis communistes de l’ancien bloc de l’est, dont certains ont des positions pour le moins peu reluisantes comme le PC roumain, qui reste un grand nostalgique du sinistre dictateur Ceaucescu.
D’autre part, les contradictions subsistent parce que, même s’il reste dominé par le courant des PC, le PGE s’est élargi – de manière limitée - à d’autres formations, comme le Bloc de Gauche portugais, qui est passé du statut de membre observateur à celui de membre à part entière. La présence d’un parti tel que le Bloco - qui participe à la fois au réseau des partis anticapitalistes européens (*) et au PGE - ; les oppositions internes aux orientations « participationnistes » dans certains partis ou les tentations de « replis identitaires » de certains PC, permettent encore au PGE ne pas dériver totalement vers la subordination pure et simple à la social-démocratie, de maintenir une certaine capacité d’analyse et de critique du système et d’avancer des revendications parfois plus fortes et cohérentes.