Depuis le 11 février 2011, les têtes du régime répressif en place en Egypte tombent les unes après les autres. Le régime, lui, s’accroche. L’appareil policier – utilisé successivement par Moubarak, par le Conseil militaire (CSFA), par les Frères musulmans, puis contre ces derniers – tourne actuellement à plein régime contre l’ensemble des opposants au régime policier.
Cette nouvelle vague de répression commence le 19 novembre 2013. Un appel à manifester est lancé pour ce jour par plusieurs formations politiques, notamment Kifâya, les Socialistes révolutionnaires et le Mouvement du 6 avril. La journée est organisée pour rendre hommage aux martyrs de la rue Mohammed Mahmoud, fauchés par les balles de police sous le pouvoir du Conseil militaire, deux ans plus tôt. Ils avaient osé s’opposer à l’évacuation brutale, place Tahrir, des familles des martyrs de la première vague de la révolution, celle du 25 janvier 2011.
Les jeunes qui participent à cette journée sont le mêmes qui avaient vécu le massacre de novembre 2011, dont aucun responsable n’a été puni, ni sous le Conseil militaire, ni sous Morsi. Cela ne semble pas préoccuper le gouvernement, plus soucieux d’enterrer la révolution. C’est le sens donné par les jeunes révolutionnaires à l’inauguration par le Premier ministre, Hazem Beblaoui, le 18 novembre 2013, place Tahrir d’une stèle funéraire aux victimes de la révolution du « 25 janvier 2011 – 30 juin 2013 ». Furieux contre ce qu’ils considèrent comme une mascarade, certains d’entre eux cassent la stèle.
C’est dans ce contexte que les jeunes révolutionnaires expriment leur refus du pouvoir militaire (askar), du régime de Moubarak (felloul) et de celui des Frères musulmans (Ikhwan). Une marche collective regroupant des jeunes des différentes formations avec d’autres jeunes sans appartenance politique remplit alors la rue Chérif, au centre-ville du Caire. Vers 20 heures, des affrontements ont lieu. Le bruit vient du côté du siège de la Ligue arabe. La Sécurité du lieu commence à lancer du gaz lacrymogène et à effectuer des tirs de chevrotine contre des individus qui, selon les policiers, tentent de semer le désordre.
Un jeune révolutionnaire, Rony (sans appartenance politique), entend ces bruits. Il décide donc d’aller voir ce qui se passe. Sans armes, il se dirige vers le lieu des affrontements. Pendant trois heures d’affrontements entre la police et quelques jeunes perturbateurs, Rony essaie de calmer le jeu, dire qu’on n’a rien à gagner avec la violence, mais il finit par recevoir un plomb dans la main juste près de l’artère. Ses amis l’emmènent alors à l’hôpital. L’hôpital public Ahmad Maher, censé le soigner, appelle la police et fournit aux policiers un rapport médical affirmant qu’il ne souffre de rien ! Transféré donc au commissariat de Darb el Ahmarla, la main baignant dans le sang, il comparaît devant l’officier chargé de l’affaire. Avec ses amis, il y a aussi Sally Thomas qui est médecin. Cette dernière essaie de faire comprendre à l’officier la gravité de l’état de Rony en lui expliquant que le plomb est juste à côté de l’artère, et qu’il risque une hémorragie. Mais l’officier ne veut rien comprendre, rien voir. Il se borne à dire que le rapport de l’hôpital dit le contraire ! Sally lui a apporté les premiers secours dans le commissariat. Non seulement cet officier ne veut rien comprendre mais, en plus, il renvoie Rony à un autre commissariat (Qasr El Aini), puisqu’il a été touché dans ce secteur. Pendant quatre heures, les militants essayent de parler au nouvel officier qui a accepté au bout de quatre heures de le renvoyer à l’hôpital Mounira. Là-bas il a enfin des points de sutures. Une fois soigné il reste détenu dans le commissariat pendant 5 jours.
Au moins Rony a eu la chance d’être avec ses copains qui se sont chargés de le soigner, mais cette histoire a touché 28 autres jeunes, dont une jeune fille âgée de 17 ans, orpheline de père et de mère, qui n’a donc personne pour veiller sur elle devant les gros bras des forces de sécurité. Cette jeune fille, elle aussi, a reçu des plombs, dans la cuisse.
De quoi sont inculpés ces jeunes ?
• possession de tracts ;
• tentative de meurtre d’un général ;
• incendie du siège de la ligue arabe ;
• incendie du matériel du chantier de l’entreprise de travaux publics Arab Contractors ;
• port de tee-shirt portant des injures contre l’armée ;
• volonté de renverser le pouvoir ;
• semer le désordre et porter atteinte à la stabilité du pays ;
• propager la terreur parmi les citoyens.
Certes ces jeunes ont été libérés sous caution (de 125’000 livres, soit environ 16’380 CHF), mais l’affaire reste en cours. Et à peine ces derniers ont-ils été libérés qu’une loi restreignant la liberté de manifester et entrée en vigueur cinq jours après leur arrestation (le 25 novembre 2013) a permis l’arrestation d’autres militants. La révolution continue. La répression aussi…
Hany Hanna et Amina Qassem