Après Ho Chi Minh – « l’Oncle Ho » dont il était proche –, Vo Nguyen Giap est le seul dirigeant du Parti communiste vietnamien de renommée internationale. Si bien d’autres cadres du PCV mériteraient d’être mieux connus, ce prestige n’est pas volé : au sein d’une direction collégiale, Giap incarne de par ses fonctions successives le versant politico-militaire d’un combat de libération nationale mené 30 ans durant face aux occupations japonaise, française et états-unienne.
Dès la Seconde Guerre mondiale, il est chargé de constituer les Brigades de propagande armées qui donneront naissance – après la Révolution d’Août 1945, la proclamation de l’indépendance du pays, puis la nouvelle invasion française en 1946 – à l’Armée populaire dont il devient le commandant en chef. En 1954, il joue un rôle majeur dans la victoire vietnamienne de Diên Biên Phu qui sonne le glas de l’Empire colonial français. Après une mise à l’écart dans les années 1960, il occupe à nouveau des responsabilités centrales dans les offensives de 1973-1975 qui conduisent à la chute du régime de Saigon et à une fuite désordonnée des dernières forces US.
Initialement, la pensée militaire vietnamienne et l’organisation de l’armée de libération doivent beaucoup au précédent maoïste et à l’aide de conseillers chinois. Les principes de la « guerre du peuple » sont les mêmes, mais ils ont dû être adaptés à un contexte différent : impossible au Vietnam de jouer comme en Chine sur l’immensité géographique et démographique ou de la rivalité entre impérialismes (sauf en 1945). Le PCV a notamment déployé comme jamais auparavant le champ d’action politique et diplomatique international : aider au développement des très divers mouvements de solidarité, réduire le coût de la fracture sino-soviétique, imposer progressivement son autorité propre dans les négociations de paix…
Le lien entre mobilisation militaire en masse, Front de libération nationale et révolution sociale est l’un des principes de base de ladite « guerre du peuple ». En ce domaine, tous les textes de référence vietnamiens soulignent les dangers symétriques du « gauchisme » (réduire le front de résistance nationale par des mesures sociales trop radicales) et « opportunistes » (démobiliser le peuple paysan en ne répondant pas à ses attentes en matière de réforme agraire). L’originalité des écrits de Vo Nguyen Giap est de ne pas s’en tenir à des généralités, mais d’indiquer, fusse brièvement, quand à son avis le PCV a commis de telles erreurs.
Marginalisé au bureau politique par le déclin d’Ho Chi Minh – qui meurt en 1969 –, Giap a gardé une rare liberté de parole. Il mène bataille contre le « noyau dur » de la direction du parti et le « modèle chinois », ses erreurs « de gauche » (telle la réforme agraire au Nord Vietnam) ou « de droite » (telle l’ouverture tous azimuts au marché mondial). Il engage encore en 2009 l’un de ses derniers combats, contre un projet gigantesque et destructeur d’exploitation par les Chinois de mines de Bauxites à ciel ouvert sur les hauts plateaux du Sud – avec un certain succès.
Exclut du bureau politique en 1982 puis écarté du comité central en 1991, Vo Nguyen Giap n’était pas en odeur de sainteté au sein de la direction du PCV, mais il a gardé un très grand prestige non seulement sur le plan mondial, mais aussi au Vietnam. En témoigne l’affluence considérable aux cérémonies officielles en son honneur, les 12-13 octobre, dans de nombreuses villes : notamment à Hanoi, dans sa province natale de Quang Binh, à Ho Chi Minh Ville (Saigon). Une affluence spontanée, du Nord au Sud, avec la présence très notable d’une jeunesse qui n’a pas connu les années de guerre.
Pierre Rousset