Comment l’expliquer ? En Allemagne, la politique de Merkel n’est pas perçue comme celle de la confrontation. On parle même d’une « social-démocratisation » des conservateurs sous Merkel en donnant comme exemples la « sortie du nucléaire » après Fukushima, l’abrogation du service militaire obligatoire, l’amélioration du statut des couples de même genre et l’ouverture relative aux thèmes de la justice sociale… Ces gestes accompagnent l’impression populaire de pouvoir échapper aux conséquences de la crise européenne au côté des plus forts, tout en acceptant la ligne dure contre les populations du sud de l’Europe.
S’ajoute à cela la faiblesse de l’alternative proposée par le SPD représentée par Peer Steinbrück, candidat à la chancellerie du SPD. Celui-ci, technocrate froid, partisan avoué de l’agenda 2010 et symbole de l’aspiration à la vie aisée des politiciens ayant de bonnes relations avec le monde du business, n’était pas capable de transmettre de façon crédible les messages du SPD visant à se présenter comme champion de la justice sociale. Le SPD gagne quand même 2,7 %, pour arriver à 25,7%.
A peu près 15 % des voix se sont portées sur des partis qui n’ont pas pu dépasser la barrière des 5 % : le FDP échoue avec 4,8 % des voix, tout comme la toute jeune Alliance pour l’Allemagne (AfD) qui obtient 4,7 % après avoir centré sa campagne sur la sortie de l’euro, quand aux autres petits partis, leur total dépasse les 5 %.
Des 61,8 millions d’Allemands qui avaient le droit de vote, 71,5 % ont voté. En 2009, c’étaient 70,8 %. Même si la candidature de nouvelles forces a pu relativiser le poids de ceux qui ont boudé les urnes, l’abstention électorale reste importante et témoigne du degré d’érosion de la crédibilité du système politique en vigueur.
L’échec du FDP est spectaculaire. S’il parvient de justesse à obtenir des élus avec 5 % dans le Land de Hesse (élection régionale parallèle au scrutin fédéral), au niveau fédéral il tombe dans l’abîme avec 4,8 % des suffrages, perdant 9,8 % en comparaison avec 2009 et disparaissant du Bundestag ! L’image bien méritée du parti clientéliste l’a conduit à la catastrophe. Sa perte de 400 000 voix profite majoritairement à l’AfD, qui prend également quelque 300 000 suffrages à Die Linke et un peu moins au CDU/CSU… L’AfD a assez habilement caché ses motifs chauvins en prétendant que la sortie de l’euro serait dans l’intérêt des pays européens économiquement perdants… Die Linke devrait se demander si elle a été capable d’articuler clairement son opposition à la politique de l’UE au sein de la Troïka…
Un autre fait spectaculaire de ces élections, ce sont les 8,4 % des Verts. Ils ne perdent que 2,3 % par rapport aux élections de 2009, mais après Fukushima et les grandes mobilisations du mouvement antinucléaire les sondages les donnaient à près de 20 %.
Le Parti de gauche (Die Linke) devient la troisième force dans le Bundestag avec 8,6 %. En 2009, Die Linke avait obtenu 11,9 % des suffrages exprimés. C’est donc un recul de 3,3 %… on pourrait parler de défaite. Mais en fait, Die Linke s’en sort bien, vu qu’il était tombé au printemps 2012 en dessous de 6 % dans les sondages et qu’il avait depuis perdu toutes les élections dans les Länder d’Allemagne de l’ouest. Dans le Land de Hesse, Die Linke se maintient en dépassant pour la troisième fois la barrière des 5 %. De plus, dans les Länder de l’ouest, où il est bien plus faible que dans les Länder de l’est, Die Linke dépasse en moyenne les 5 %. On peut donc dire que Die Linke consolide sa position et remonte électoralement en présentant un certain nombre de revendications sociales, démocratiques et antimilitaristes, sans pour autant formuler clairement une alternative d’ensemble au pouvoir du capital.
Que vont faire maintenant les stratèges (ou plutôt tacticiens) des partis parlementaires ? Au Bundestag comme dans le Landtag de Hesse, l’ensemble des élus du SPD, des Verts et de Die Linke sont majoritaires, ce qui leur permettrait de renverser la CDU/CSU de Mme Merkel et constituer un gouvernement. Mais le SPD et les Verts ne veulent pas de coalition avec Die Linke. Et si ce dernier fait des avances, il souligne en même temps les divergences profondes. Pour gouverner avec le SPD et les Verts au niveau fédéral, Die Linke devrait accepter la participation de la Bundeswehr aux interventions militaires globales. Pour le moment, ce n’est pas imaginable. L’hypothèse la plus réaliste semble donc être celle d’une « grande coalition » du CDU/CSU avec le SPD. La tradition d’une opposition gauche-droite disparaît ainsi en Allemagne de plus en plus.
Manuel Kellner, Cologne, le 24 septembre 2013.