L’effondrement du Rana Plaza – qui s’est produit le 23 avril dernier dans la zone industrielle de Savar – a provoqué la mort de 1.129 personnes ; 3.500 autres étant sérieusement blessées. Malgré ce bilan désastreux, on ne parle plus beaucoup de cette catastrophe dans le pays. L’attention de celles et ceux qui avaient au début manifesté une grande empathie s’est pour l’essentiel tournée vers d’autres questions. Cela ne veut pas pour autant dire que les souffrances des victimes ont cessé ; en fait, elles ont plutôt empiré. En effet, aucun groupe de soutien ne prend soient d’elles à part les syndicats qui se trouvaient, dans les circonstances, à leur contact direct. Ces syndicats ont peu de moyens pour s’occuper d’elles financièrement. Ils ne peuvent manifester leur solidarité que par leur capacité organisationnelle, ce qu’ils ont fait tout du long.
Presque chaque jour, les ouvrières et ouvriers de la confection sont dans la rue pour demander le jugement des coupables. Vu l’importance de la mobilisation populaire, le propriétaire du bâtiment (le Rana Plaza) et les propriétaires des entreprises qui y opéraient ont été arrêtés peu après la catastrophe. Cependant, bien des doutes existent sur le processus juridique que le gouvernement a lui-même engagé. Les gens s’interrogent sur son cadre légal, car les lois au nom desquelles les inculpations sont prononcées ne correspondent pas aux crimes perpétrés. A ce point de vue, une loi précise et ferme doit être introduite pour que de tels drames ne se répètent pas.
La fédération paysanne Bangladesh Krishok Federation (BKF) – qui est membre de la Via Campesina – a été extrêmement choquée par l’effondrement du Rana Plaza et la gravité des dévastations ; elle s’est sentie profondément concernée. Normalement, depuis 1976 la BKF agit pour les ruraux : paysans, sans-terre et travailleur.es agricoles. Cependant, depuis 1993, elle se tourne aussi, de façon limitée et périphérique, vers les ouvrières et ouvriers du secteur informel, inclut le textile.
Comme beaucoup d’organisations des travailleur.e.s de la confection agissent déjà dans ce secteur, la BKF n’y intervient que de façon limitée. Néanmoins, notre fédération a été profondément émue par la tragédie du Rana Plaza ; en particulier parce que la plupart des victimes de cette catastrophe étaient originaires de villages et gardent des liens avec le monde rural. Si elles avaient trouvé un emploi à la campagne, elles ne se seraient pas rendues en ville et n’auraient jamais dû faire face à des conséquences si atroces, être tuées de façon si cruelle. Nous avons très sérieusement pensé que nous ne devions pas échapper à nos responsabilités face à une situation si horrible pour le monde du travail.
Il y a eu dans le passé bien d’autres incidents, comme à Spectra Garment ou Tazreen Fashion limited, mais nous n’étions pas intervenus beaucoup. Cette fois, nous avons en principe délibérément décidé de nous tenir auprès des ouvrières et ouvriers de la confection, vu les circonstances et gardant en mémoire les difficultés antérieures. Depuis longtemps, nous avons donné notre soutien moral et notre solidarité au mouvement que les travailleur.e.s de ce secteur ont construit sur la base de leurs revendications, diverses et justes, y compris l’augmentation des salaires.
Aiguillonnés par notre prise de conscience, nous avons pris l’initiative de soutenir autant que possible les victimes. Nous avons constitué une équipe pour étudier la situation et définir une stratégie pour les aider au mieux. De diverses façons, nous avons tenté de mobiliser des financements. Un appel bref a été envoyé à nos organisations amies sur le plan international pour attirer leur attention et recevoir leur appui sincère. ESSF, basée en France, nous a apporté son soutien pour nous permettre d’être au côté des victimes de la catastrophe du Rana Plaza. Cette association a mobilisé des efforts collectifs et individuels pour renforcer nos efforts. Nous lui sommes très reconnaissants d’avoir joint ses forces aux nôtres, à un moment si critique pour ce secteur très important du salariat au Bangladesh.
Nous avons reçu ce soutien via deux transferts consécutifs de fonds en date du 16 et 20 mai 2013, se montant au total à Tk.(341.504 + 146.011) = Tk.487.515 –, soit 5.000 euros.
Notre équipe chargée d’évaluer les besoins a conclu, sur la base de ses observations, que les victimes avaient reçu, par diverses voies, de l’aide principalement en nature. En fait, elles avaient dorénavant avant tout besoin d’argent pour faire face à leurs besoins quotidiens. Nous avons finalement décidé de leur apporter une aide en liquide. A partir de l’évaluation faite par l’équipe composée de trois membres de la fédération Bangladesh Krishok Federation, nous avons sélectionné 100 victimes les plus gravement touchées, qui restaient sous traitement dans divers hôpitaux, à savoir le Dhaka Medical College, l’Appelo Hospital et le Enam Medical Hospital. L’équipe a souligné le fait que ces personnes venaient de villages où le BKF a ses activités organisationnelles.
Pour cette sélection, nous avons aussi reçu l’aide de deux organisations établies en milieu urbain. La première est la Swadheen (Independent) Bangla Garments’ Worker Federation et l’autre Ekottro, qui est un groupe de jeunes militant.es.
Nous avons donné Tk.4.880 à chacune des victimes sélectionnées. Soit, pour les 100 personnes parmi les plus touchées, Tk.4.880x100 = Tk.488.000.
Les victimes qui ont reçu cette aide de la BKF en sont heureuses et expriment leur gratitude à l’égard des amis de l’étranger pour s’être préoccupés de leur sort à un moment aussi crucial.
Les victimes n’en souffrent pas moins toujours beaucoup. Un avenir très incertain les attend. Elles ne savent pas comment poursuivre leur vie avec un corps à la structure si mutilée. Nul ne voudra leur offrir un emploi. Quelque soit le poste à pourvoir, les employeurs trouveront toujours quelqu’un d’autre plus apte, en meilleure santé. Certaines des victimes ne sont absolument plus capables de travailler. Que va-t-il advenir de leurs vies !
Les familles de celles que l’on n’a toujours pas retrouvées vivent une agonie. Elles visitent chaque jour le site du Rana Plaza à la recherche de leurs proches aimés. Les familles de victimes qui sont mortes font face à de grandes difficultés quotidiennes, car elles n’ont plus personne qui leur apporte un salaire.
Nous ne voulons plus voir de telles situations se répéter. Nous réclamons de meilleures conditions de travail, une réglementation de la construction et de la protection anti-incendie, des salaires décents pour les ouvrières et ouvriers de la confection.
29 septembre 2013
Badrul Alam
Président
Bangladesh Krishok Federation