La sanglante chronique des attaques terroristes au Pakistan a pris une nouvelle tournure, dimanche 22 septembre, avec un attentat contre une église chrétienne à Peshawar – non loin de la frontière avec l’Afghanistan –, dont le bilan provisoire s’évaluait, lundi matin, à 81 morts et 145 blessés. Il s’agit de l’attentat le plus meurtrier jamais perpétré contre la minorité chrétienne du Pakistan (1,6 % de la population). Deux kamikazes se sont fait exploser devant la foule des fidèles de All Saints Church à l’heure du service dominical, provoquant un véritable carnage. Les hôpitaux de la ville ont été vite débordés par l’afflux des morts et des blessés. Le pape a condamné l’assaut qu’il a mis sur le compte du « mauvais choix de la haine et de guerre ».
Le premier ministre, Nawaz Sharif, issu du parti conservateur Pakistan Muslim League (PML-N, Ligue musulmane du Pakistan), élu en mai, a aussitôt dénoncé les auteurs de l’attaque comme étant des « ennemis du pays ». Le gouvernement a décrété trois jours de deuil. L’attitude de solidarité témoignée par les plus hautes autorités de l’Etat n’a toutefois pas suffi à calmer la colère de la communauté chrétienne dont certains membres ont manifesté à Peshawar, Islamabad, Lahore ou Karachi, fustigeant l’absence de protection de leurs églises face aux menaces des groupes islamistes ultras. A Peshawar, les familles endeuillées ont disposé les cadavres de leurs proches au milieu d’une des avenues de la cité, immobilisant un moment la circulation.
Sans précédent par le nombre de victimes, l’attentat marque aussi un tournant dans la forme prise par les persécutions antichrétiennes, récurrentes dans ce pays de 180 millions d’habitants, gagné depuis une vingtaine d’années par la montée des violences confessionnelles orchestrées par les groupes sunnites ultras. Les attentats contre les lieux de culte étaient jusque-là surtout perpétrés contre les chiites (15 % à 20 % de la population), la secte des ahmadis (2,3 %) ou les sunnites de tradition soufie, tous jugés « hérétiques » par les groupes d’inspiration wahhabites tenants d’une lecture littéraliste de l’islam.
DÉLIT DE BLASPHÈME
Les chrétiens – issus de groupes sociaux parmi les plus défavorisés du pays – étaient pour leur part davantage ciblés par des émeutes populaires, en général déclenchées par des accusations de blasphème. Depuis l’adoption en 1986 de la loi sur le blasphème, qui punit de mort toute personne accusée d’avoir offensé le prophète Mahomet, les dénonciations pour blasphème des chrétiens ou des autres minorités se sont multipliées. Les tribunaux prononcent régulièrement des peines de mort – lesquelles décisions sont rarement exécutées.
Dans ce contexte, il suffit de simples rumeurs pour enflammer les passions. En mars, le quartier chrétien de Joseph Colony, à Lahore, a été littéralement ravagé – maisons pillées puis incendiées – par une foule d’assaillants dont la rage avait été déchaînée par une prétendue affaire de blasphème.
Le double attentat de Peshawar a été revendiqué par le groupe sunnite radical Jundallah, proche des talibans du Tehrik-e Taliban Pakistan (TTP) et jusque-là coutumier des attaques antichiites. L’attaque a aussitôt jeté une ombre sur la perspective de dialogue que le gouvernement de M. Sharif avait l’intention d’amorcer avec les talibans. Le 9 septembre, il avait reçu le soutien de principe de l’ensemble des partis politiques – y compris ceux de l’opposition – réunis à titre exceptionnel à Islamabad pour débattre de la « paix ».
L’armée pakistanaise n’a toutefois pas caché son scepticisme. L’état-major, qui tient le TTP pour un « ennemi du Pakistan » – contrairement à d’autres groupes djihadistes frappant uniquement l’Inde ou l’Afghanistan –, a pour l’instant témoigné de sa loyauté envers le gouvernement civil de M. Sharif sur ce dossier de l’« antiterrorisme », mais avec une réticence évidente. Celle-ci a été renforcée, le 15 septembre, par l’assassinat d’un général près de Peshawar. L’attaque de dimanche devrait vraisemblablement donner de nouveaux arguments au camp hostile aux négociations avec les extrémistes.
Frédéric Bobin (New Delhi, correspondant régional)