Le procès retentissant de Bo Xilai, ancien chef du Parti communiste chinois de Chongqing – un important centre urbain dans le sud-ouest de la Chine – s’est terminé fin août. Le procureur a réclamé une peine d’autant plus « lourde » que l’accusé est revenu sur les « confessions » qu’il avait rédigées lors de sa détention : loin de plaider coupable en espérant la clémence, il a contre-attaqué durant les cinq jours d’audience ; ce qui laisse préjuger une sentence « exemplaire » à son encontre puisque « l’accusé a refusé d’avouer ses crimes ».
Il y a des allures de roman noir à cette histoire, la matière d’un thriller : Wang Lijun, ancien chef de la police de Chongqing et bras droit de Bo Xilai, qui tente de s’enfuir en se réfugiant dans un consulat états-unien ; Gu Kailai, son épouse, purgeant aujourd’hui une peine prison après avoir été accusée d’assassinat par empoisonnement (commis à l’insu de son mari) de l’homme d’affaires britannique Neil Heywood…
Le procès a aussi jeté une lumière crue sur l’ampleur des pratiques de corruption qui gangrènent le système chinois au point de rendre aléatoire l’efficacité des politiques économiques.
Deux points saillants méritent d’être tout particulièrement soulignés : le procès a été partiellement public et mené avec des débats contradictoires ; il révèle en arrière-plan l’acuité de la « crise de succession » au sommet du PCC.
Bo Xilai a conduit sa propre défense et les débats ont été pour une part retransmis sur Weibo (le Twitter chinois). Alors que les témoignages à charge sont généralement déposés sous forme écrite, il a pu cette fois contre interroger ses accusateurs, les traitant plus d’une fois de « menteurs ». Ceci est d’autant plus important que le dossier d’accusation s’appuie presque exclusivement sur ces témoins et non sur des preuves matérielles.
Bo a aussi pu expliquer qu’il avait rédigé sa « lettre d’aveux » pour éviter que sa femme ne soit condamnée à mort et son fils poursuivit ; pour éviter lui-même la peine capitale et pour garder un avenir politique (donc son appartenance au PCC – dont il a quand même été exclu).
Par sa « transparence » (très contrôlée) le procès est devenu un événement judiciaire, largement discuté en Chine. Il n’annonce cependant pas une libéralisation du régime : fin août aussi, Xu Zhiyong, chef de file du mouvement citoyen a été formellement mis en examen et Liu Hui, le frère de Liu Xia (l’épouse du Prix Nobel emprisonné Liu Xiaobo), a vu confirmer le verdict de onze ans de prison pour fraude infligé pour un simple différend commercial.
Par ailleurs, Bo Xilai appartient au club très fermé des « princes rouges », les fils de hauts dirigeants du PCC, à l’instar de Xi Jinping, le nouveau président de la République. Bo a incarné le « modèle de Chongqing », très autoritaire, mais perçu comme « de gauche » par l’aile néo-maoïste du parti, en opposition à la ligne de l’actuelle direction. La publicité donnée au procès visait probablement à le déconsidérer aux yeux de secteurs pour qui il incarne une option plus « populaire », en détaillant toutes les affaires de corruption dont il est accusé, en jouant sur son arrogance ou en réveillant de mauvais souvenirs : Bo a été attaqué par Wen Jiabo (l’ancien Premier Ministre) pour vouloir revenir au temps chaotique de la « Révolution culturelle » et du règne de la « Bande des Quatre » – une décennie noire de dictature bureaucratique au tournant des années 1970.
Le procès de Bo Xilai participe ainsi des règlements de comptes au sein de la « cinquième génération » de dirigeants du PCC qui a accédé au pouvoir à l’occasion du 18e congrès du parti, réuni en novembre 2012.
Pierre Rousset