Massacres odieux et répression violente.. Escalade significative des attaques contre les églises et les chrétiens d’Egypte.. Et un renforcement méthodique de l’Etat militaire répressif.. Des développements politiques considérables ont eu lieu ces dernières semaines. Développements qui, en même temps qu’ils imposent à la révolution de relever de grands défis, impliquent également des opportunités pour de nouvelles vagues sur le chemin de la révolution égyptienne, et que les Socialistes révolutionnaires pourront très bien saisir pour construire le mouvement — si bien évidemment des tactiques qui permettront d’interagir avec les situations changeantes seront mis au point.
Dans le cadre de l’élaboration et du développement de la tactique politique, le Bureau politique du Mouvement des Socialistes révolutionnaires met ce document à la disposition des camarades afin de concevoir la position politique du Mouvement et s’unir autour d’elle à travers le débat collectif, camaradesque et profond, pour ensuite, et à la base de cette position, élaborer des tactiques spécifiques à la période à venir.
Révolution ou coup d’Etat militaire ?
Après la sortie de millions de personnes dans les rues pour renverser Mohamed Morsi, puis l’annonce de sa destitution par Al-Sisi, plusieurs point de vue se sont développées sur l’évaluation de la situation : est-ce une révolution de masse ou un simple coup d’Etat militaire qui a renversé le président Morsi pour instaurer une dictature militaire ? La réponse à la question « révolution ou coup d’Etat ? » est importante pour l’élaboration d’une stratégie pour les mois, et peut-être les années à venir, de la révolution égyptienne.
Celui qui ne tient pas compte du rôle du gigantesque mouvement de masse qui a inauguré une nouvelle vague de la révolution égyptienne [1] désengage de devoir aborder toutes les contradictions inhérentes à la révolution égyptienne, et donc aux nouveaux défis qui s’imposent à elle.. comme il tourne le dos aux quelques possibilités que réserve l’avenir. Il n’est pas surprenant que les révolutionnaires qui ignorent la valeur de l’intervention des masses, ou au moins les considèrent comme un accessoire dans le jeu de la contre-révolution, éprouvent aujourd’hui une profonde frustration en raison de ce qu’ils appellent un recul et une fin du processus de la révolution égyptienne, sans parler de leur refus de toutes les opportunités offertes. Mais ils ne sont pas seuls à ignorer le rôle des masses et leur intervention directe dans le renversement de Morsi et le renversement de la légitimité des urnes avec lui. Presque toutes les parties qui interviennent aujourd’hui dans le champ politique, y compris sur le plan international, ignorent ce rôle.
Exception faite de l’institution militaire qui, pour avoir expérimenté le feu du mouvement de masse, elle ne peut plus l’ignorer ou le négliger. Lucide, elle intervient désormais en fonction des perspectives et du développement du mouvement de masse ! L’institution militaire représente le principal pilier de la classe dirigeante, du régime et de l’Etat, elle est le fer de lance de la contre-révolution. Dès que le mouvement de masse s’impose comme un fait accompli, elle panique de la possibilité qu’il se développe, et cherche par tous les moyens à freiner son élan soit en le confinant dans un cadre quelconque de façon qu’il ne constitue plus un danger ou une menace pour les intérêts de classe, soit par la répression directe, comme cela s’est produit auparavant.
L’armée voulait certainement contenir le gigantesque mouvement de masse qui exigeait le renversement de Mohamed Morsi dans un cadre limité et des pas calculés, sans qu’il déborde du cadre du renversement de Morsi vers ce qui est plus profond et constituer ainsi une menace réelle pour le système entier. L’objectif principal de l’institution militaire était donc de ramener les millions qui ont envahi les rues le plus vite possible chez eux, limiter le mouvement à la destitution du symbole du régime et se débarrasser de lui. Dans le même temps, cet objectif était compatible avec les aspirations de l’institution militaire elle-même après l’échec de Morsi à avorter la révolution provoquant par la même la panique au sein de la classe dirigeante au sujet de l’affrontement du mouvement après une année de sa prise de fonction.
Après avoir accédé au pouvoir l’an dernier, avec la bénédiction des Etats-Unis, de l’institution militaire et une grande partie des hommes d’affaires et autres, Mohamed Morsi n’a pas réussi à atteindre les objectifs de la classe dirigeante concernant l’avortement de la révolution égyptienne. Au début, Morsi était une bonne option pour la classe dominante, ou la plupart de ses secteurs. Il adopte le projet néo-libéral, s’aligne sur les intérêts des entreprises et n’a aucun scrupule de s’allier avec les Etats-Unis et est également soucieux de ne pas déranger l’entité sioniste, en plus d’être le premier président élu après la révolution. Mais le plus important est qu’il s’appuie sur l’organisation de masse la plus importante en Egypte, cette organisation qui œuvre sur le terrain avec des dizaines et des centaines de milliers de membres et sympathisants et partisans, qui pourront absorber la colère populaire et convaincre les masses avec des projets du néolibéralisme et les plans d’austérité cruels qui les accompagnent, et par conséquent épargner à la classe dirigeante les dangers d’un soulèvement des masses populaires qui vont tenter de se débarrasser de la crise économique, ou, à tout le moins, atténuer les effets d’un tel soulèvement.
Toutefois la crise économique et l’échec de Morsi dans la réalisation des revendications de la révolution, et même son défi parfaitement explicite à ces revendications et objectifs, ont conduit à une baisse de popularité du président et de son organisation de telle sorte que la classe dirigeante et ses appareils ont cessé de miser sur lui pour affronter les masses.
Lorsqu’il est apparu que la colère populaire allait s’intensifier de manière significative pour renverser Morsi, il est devenu nécessaire que l’institution la plus puissante et la plus cohérente de la classe dirigeante – l’armée – intervienne rapidement pour contenir la colère populaire et satisfasse sa revendication, et par la même se débarrasser d’un mauvais pari sur la tête du pouvoir pour ensuite réorganiser et unifier la classe dirigeante autour de nouveaux symboles qui paraitront comme des héros qui font cause commune avec le peuple et exécutent ses revendications.
L’armée était vraiment entre deux feux : d’une part la possibilité que le mouvement populaire déborde les limites au cas où Morsi resterait à la tête du pouvoir, et d’autre part l’inévitable confrontation avec les Frères musulmans et les islamistes dans les rues et l’ouverture de fronts complexes, notamment dans le Sinaï et à un moindre degré dans certaines régions de la Haute-Egypte en cas de destitution de Morsi. Sans oublier les différends avec l’administration américaine et la menace de ce qu’ils appellent « le processus démocratique ».
L’armée a choisi d’éviter le brasier du mouvement populaire, quelles que soient les conséquences, et a décidé de destituer Morsi, contenir les masses et arrêter le développement de leur mouvement et faire face au feu des Frères et des islamistes moins onéreux que le brasier des masses.
Quant à l’administration américaine, et à un moindre degré l’Union européenne, leurs relations étendues et stratégiques avec l’armée égyptienne sont à même d’apaiser toute tension causée par la destitution de Morsi. Ainsi la panique s’est-elle emparée de l’institution militaire d’un probable développement et déchainement du mouvement de masse. L’autre option était parsemée de dangers : si l’armée ne destitue pas Morsi, le mouvement peut se développer vers plus de radicalisation et de profondeur et ébranler la confiance de larges couches des masses populaires en l’armée — une confiance nait de l’absence de toute autre alternative permettant d’en finir avec Morsi —, ce qui précipiterait le mouvement en dehors du cadre préétabli.
Pour compléter le tableau et contenir le mouvement de masse, l’institution militaire a désigné un nouveau président par intérim et un nouveau gouvernement comme façade civile qui jouera pour elle le rôle de légitimateur, de telle sorte que l’armée garde non seulement toutes ses prérogatives et tous ses privilèges, mais aussi son rôle d’intervention et, si nécessaire, de répression violente, tandis que les institutions parachèveront le projet de la contre-révolution économiquement et politiquement. Ceci n’est pas un amoindrissement de l’armée dans le pouvoir, au contraire, malgré le passage de l’institution militaire « officiellement » derrière le rideau civil du nouveau gouvernement, elle gère aujourd’hui toutes les affaires de la même manière que l’était la situation pendant l’année et demie du règne du Conseil militaire sous Tantawi et Anan.
Nous sommes donc en présence d’un gigantesque raz de marée populaire le 30 juin et les quelques jours qui ont suivi, et d’une institution militaire qui chevauche la révolution et tente d’en prendre les rennes et qui, depuis le 3 juillet, bloque toute possibilité de développement du mouvement vers davantage de radicalisation, surtout avec le début des grèves partielles des transports en commun, des cheminots, et à Mahalla, la grève des fonctionnaires du Conseil des ministres, et bien d’autres. Parallèlement à cela, il y a le retour en force et féroce de la classe dirigeante avec ses symboles militaires et anciennes figures, après l’extirpation des Frères musulmans. Mais c’est bien sûr ! L’institution militaire conduit la classe dirigeante et les forces de la contre-révolution pour réussir là où Morsi et les Frères musulmans ont échoué, à savoir avorter la révolution. En face, il y a un mouvement populaire qui a acquis une confiance absolue en soi, mais plein de contradictions en termes de conscience et d’organisation. Inévitablement, nous ne pouvons qu’interagir avec ce mouvement tel quel, avec toutes ses contradictions et essayer de saisir les possibilités qu’il offre et se préparer aux fortes vagues à venir de la révolution égyptienne.
De ce point de vue, assimiler le 11 février 2011 au 3 juillet 2013 manque d’exactitude, et ce, pour plusieurs raisons. Dans le premier cas, la classe dirigeante était contrainte de se débarrasser de la tête du pouvoir créant la confusion dans ses rangs. L’Etat était beaucoup plus vulnérable qu’il paraît aujourd’hui de par l’effondrement du ministère de l’Intérieur et l’intense hostilité aux fouloul [2] de Moubarak, tandis que dans le second, la classe dirigeante s’est débarrassée de la tête du pouvoir afin d’unir ses rangs et organiser ses cartes et essayer de réparer toutes les fissures en préparation d’une attaque contre tous les mouvements révolutionnaires. Cependant, cela ne signifie pas pour autant que la crise de la classe dirigeante a pris fin, sur les plans économique et politique.
Les islamistes
En réaction à la destitution de Morsi, les Frères musulmans et leurs alliés islamistes vont essayer de donner plus de tonus à leurs actions sur le terrain par l’organisation de marches et sit-in, et ce, pour le rétablissement d’une « légitimité » que les masses ont renversée et un projet hostile aux objectifs de la révolution qui, en plus, s’est révélé être un échec cuisant. Dans cette perspective ils ont commis des crimes impardonnables dans différents endroits de plusieurs provinces, en plus de leur discours sectaire qui incite à la haine contre les Coptes [3] et l’acharnement sur à travers les attaques contre leurs églises. Nous devons nous lever avec fermeté contre ces atteintes et les attaques contre les églises [4]. et contre toute agression des chrétiens d’Égypte ; ce sont nos principes de Socialistes révolutionnaires auxquels nous ne dérogerons pas.
Nous devons bien sûr prendre conscience que la bataille des Frères musulmans est une question de vie ou de mort, et évidemment ils ne se rendront pas facilement. Conséquemment aux agressions et crimes des Frères musulmans, ils subissent une répression violente de la part de l’institution militaire et du ministère de l’Intérieur, et les exemples sont légion : du massacre de la Garde républicaine [5] à la dispersion violente et barbare des campements de Nahda et Rabaa Al-Adawiyya [6], et la mort de trois femmes de leurs membres à Mansoura, et autres...
Les crimes des Frères musulmans ont mené la plupart des factions de gauche à adopter une position combien opportuniste et vile en s’alliant avec l’institution militaire et en soutenant l’Etat répressif, et pire en relayant les mensonges et dramatisations des médias bourgeois et fouloul abandonnant ainsi tout contenu révolutionnaire et de classe. Cette position est fondée sur l’analyse catastrophique qui considère les Frères musulmans et leurs alliés comme la plus grande menace pour la révolution égyptienne. Alors qu’en réalité, si les Frères musulmans constituent une menace jusqu’à un certain niveau, les institutions de l’Etat qui monopolisent les moyens et instruments de la violence sont plusieurs fois menaçantes pour la révolution avec le retour de l’État répressif féroce qui s’est manifesté dans la déclaration dictatoriale [7] et la désignation de gouverneurs de province parmi les généraux de la police et de l’armée et parmi les fouloul et l’attaque contre la grève de la compagnie Suez Steel, etc.
En plus des positions opportunistes et perfides qui soutiennent l’armée de ceux qui se décrivent comme des « libéraux et de gauche », à commencer par ceux qui ont participé au gouvernement Al-Sisi, il y a aussi beaucoup d’opinions qui estiment que la bataille entre les Frères musulmans et le nouveau/ancien pouvoir ne signifie rien pour la révolution et ne la concerne en rien. De ce fait, ils estiment que les révolutionnaires doivent observer la neutralité, comme si les deux parties au conflit sont égaux en termes de force et constituent, au même titre, un danger pour la révolution. Ces points de vue sont très étroits. Ceux qui les défendent ne voient pas l’essence des objectifs derrière la prise des rênes de l’Etat par le pouvoir actuel ; ils ne voient pas non plus que la férocité de l’institution militaire aujourd’hui face aux islamistes lors de la dispersion des campements de Rabaa Al-Adawiyya et Nahda n’est qu’un exercice pour attaquer la révolution égyptienne. C’est ce qui va arriver demain à toute force d’opposition réelle qui montrera son nez, notamment le mouvement ouvrier [8] ; nous avons pu avoir un avant-goût lors de l’attaque de la grève de Suez Steel [9].
Les massacres contre les islamistes ne sont que les premiers pas de la feuille de route de la contre-révolution, et nous nous devons de dénoncer ce plan et de l’attaquer par principe avec force et cohérence.
Nous sommes exposés aujourd’hui à plusieurs attaques à cause de notre position qui condamne la violence des appareils de répression envers les islamistes, et à cause de notre attaque contre Al-Sisi, le chef de la contre-révolution. Cela ne nous conduira certainement pas à diluer notre position en créant une sorte de « retenue » dans nos attaques contre l’armée et les islamistes ou de les considérer au même titre d’égalité de par la menace qu’ils représentent sur la révolution. Nous sommes en présence d’une contre-révolution totale et ravageuse où la dispersion des campements des Frères musulmans n’était qu’un premier exercice. Puis s’opposer fermement à l’État répressif ne veut pas dire soutenir les Frères musulmans. Nous ne faisons aucun compromis et aucune concession quant à notre position ferme contre l’institution militaire et la répression féroce. Toute retenue ou compromis ne peuvent que refléter une indécision et une hésitation à prendre une position claire et audacieuse de l’Etat répressif, voire de l’opportunisme.
Nous ne pouvons pas se taire sur les massacres de l’armée qui ont fauché la vie à des dizaines d’islamistes, ni soutenir l’Etat dans la dispersion de leurs campements ; nous ne pouvons pas cesser de rappeler les crimes de l’armée ni de mettre en garde contre les dangers du ministère de l’Intérieur et de revendiquer à toute occasion que leurs criminels soient jugés ; nous ne cesserons pas plus non plus de mettre en garde contre le retour de l’État Moubarak et ses appareils répressifs de toutes leurs forces et nous n’hésiterons pas à les affronter.
Nous ne devons pas nous laisser conduire par les tentatives des fouloul et des baltagia [10] à harceler, lyncher et tuer les islamistes dans les rues. Il y a une grande différence entre l’auto-défense des masses - même par des moyens violents – contre les attaques des Frères musulmans (comme ce qu’on a vu par exemple à Manial, Bayn al-Sayarat et Giza, il y a quelques semaines) et entre la violence des institutions de la répression et des baltagia et fouloul envers les Frères musulmans. Dans le dernier cas, il ne s’agit pas d’un moyen violent pour défendre des manifestants ou la révolution, mais pour que le nouveau pouvoir établisse sa mainmise sans opposition, n’importe quelle opposition. L’armée, la police et les baltagia des fouloul ne sont pas intervenus, même pas une seule fois au cours des dernières semaines, pour protéger les gens ou les manifestants lors des affrontements. Dans ce contexte ont été lancés les appels du mouvement « Tamarrod (Rébellion) » et de la gauche à la botte de l’armée pour former des comités populaires afin de protéger l’Etat et les appareils de répression et les aider à écraser les islamistes ; des appels fascistes par excellence que nous ne pouvons ni accepter ni relayer.
Nous devons également faire face aux mensonges des médias qui fournissent une couverture politique pour « épingler » les Frères musulmans dans tous les crimes des fouloul et de l’armée, et remettre en question le récit dégoûtant qui veut effacer la révolution du 25 janvier et la remplacer par la « révolution 30 de juin » à laquelle « toutes les classes » ont participé, et qui n’a pas connu des « incendies de commissariats » ou des attaques contre les institutions publiques, comme si la révolution de janvier était un pur complot des Frères musulmans. D’où la nécessité de se révolter contre les Frères musulmans et de les renverser au lieu de faire la révolution contre la classe dirigeante et ses organes répressifs ! sans parler du discours haineux et raciste envers les Palestiniens et les Syriens [11].
L’Etat mobilise derrière lui presque toutes les forces politiques et (précédemment) révolutionnaires et de larges secteurs de la population en vue de confronter les Frères musulmans et l’alliance islamique dans leur sillage. Dans le cadre de ce qu’ils appellent « la guerre contre le terrorisme », ils utilisent un ton nationaliste dégoûtant : « il n’y a aucune voix sur la voix de cette bataille », afin d’occulter et de brouiller les revendications de la révolution.
Quant au sujet de l’exclusion [du processus politique, NdT] et de la réconciliation, les Socialistes révolutionnaires ne peuvent pas développer leur position indépendamment de l’état d’esprit des masses et de leurs orientations — en dépit des nombreuses contradictions qui les traversent. Comme affirmé dans une déclaration de notre mouvement [12], « la répétition fréquente de la chanson sur la réconciliation ne signifie que l’égalité de traitement entre l’assassin et sa victime, ce qui est totalement inadmissible sans faire venir les tueurs des martyrs, tous les martyrs, et les instigateurs de la violence à des procès équitables ». Et si, pour les masses, sous l’influence de la propagande et des médias bourgeois, il s’agit d’exclure les Frères musulmans politiquement — mais en ignorant les fouloul et l’armée —, nous devons alors faire face au retour des fouloul et de l’Etat Moubarak parrainé par Al-Sisi. L’un et l’autre sont des ennemis de la révolution égyptienne et ses perspectives, et Al-Sisi est certainement et sans commune mesure plus dangereux que Muhammed Al-Beltagi [13].
Dans ces circonstances, nous devons directement, courageusement, clairement et sans aucune hésitation lever le slogan « A bas la domination militaire . Non au retour des fouloul. Non au retour des Frères musulmans ».
Craindre l’isolement ?
Il ne fait aucun doute que les tactiques du socialisme révolutionnaire dépendent principalement de déterminer le niveau de développement de la conscience des masses, en premier lieu de la classe ouvrière et son avant-garde d’une part, et d’autre part, les possibilités et opportunités pour le développement du mouvement de masse vers des dimensions profondes au cours de la révolution.
Le mouvement de masse souffre aujourd’hui de grandes contradictions internes et fait face à des défis majeurs, dont les plus importants sont la réconciliation entre d’un côté un segment des masses et de l’autre les institutions de l’Etat, particulièrement l’institution militaire et le ministère de l’Intérieur ; la tête et le cœur de la contre-révolution. Malgré la grande frustration qui affecte de larges sections des révolutionnaires qui ont lutté contre le Conseil militaire durant une année et demie de la révolution et continué leur lutte contre le pouvoir de Morsi, il n’y a aucun autre moyen qui permet de jouer un rôle vital dans le mouvement de masse sauf celui d’interagir avec le mouvement tel quel et comprendre ses contradictions sans les négliger entièrement ou exagérer ses potentialités immédiates.
L’homogénéité et l’alliance des médias libéraux et fouloul avec les Renseignements et l’institution militaire et le ministère de l’Intérieur ont réussi à fausser la conscience des masses de manière significative en livrant une image mensongère quant à la neutralité de l’armée et de l’Intérieur, ou que ces institutions se sont rangées du côté du peuple pour affronter Morsi et les Frères musulmans et leurs alliés islamistes. C’est une tentative d’effacer de la mémoire des masses les crimes d’assassinat et de torture commis par l’Etat. Plusieurs forces politiques, notamment l’opportuniste Front du salut national, la campagne « Tamarrod (Rébellion) » et le Courant populaire ont joué le rôle du pire opportuniste dans la consolidation de cette image par des appels à « l’unité des rangs » et le rôle national de l’armée égyptienne et des institutions de l’Etat dans la satisfaction des besoins de la population surtout le sauvetage de l’Egypte du pouvoir des Frères musulmans qu’ils considèrent comme la plus grande menace pour la révolution égyptienne. Mais tout cela ne représente qu’une couche qui entoure la conscience des masses. Il est vrai qu’il s’agit d’une couche épaisse que toutes les fractions s’affairent à consolider, mais sous cette couche il y a une réelle prise de conscience des exigences de la révolution et de ses objectifs : le pain, la liberté et la justice sociale.
Il ne faut pas négliger que, au centre de toutes ces contradictions dans la conscience, il y a une grande confiance en soi chez de larges secteurs des masses malgré l’éparpillement et l’embrouille de la « guerre contre le terrorisme ». Les masses ont concrètement imposé leur volonté et renversé deux présidents et quatre gouvernements depuis le déclenchement de la révolution. C’est cette confiance en soi se trouvant sous la couche de conscience contradictoire qui a poussé les masses à se soulever au début contre Morsi, et c’est ce qui donne aujourd’hui une certaine volonté pour continuer progressivement la lutte contre le nouveau gouvernement, quand, peu à peu, s’est dévoilé le contenu économique et politique hostile aux revendications des masses, même si certains secteurs nourrissent un espoir relatif que le gouvernement satisfera les revendications de la révolution.
A ce stade, nous devons atteindre par tous les moyens possibles la quintessence de la conscience des masses laborieuses et paupérisées qui ont un intérêt fondamental dans la continuation de la révolution et la réalisation de ses objectifs. Ceci en mettant l’accent sur les gigantesques capacités que les masses ont montré lors de la vague du 30 juin et dans les vagues ayant précédé la révolution, à travers l’amplification des revendications réelles de la révolution égyptienne et la mobilisation autour d’elles dans chaque province et dans chaque lieu où nous nous trouvons.
Mais cela ne doit cependant pas nous pousser à dissimuler ou à mettre de côté certains de nos principes politiques pour bénéficier temporairement d’un soutien populaire à notre discours et nos slogans.
Au contraire, dissimuler certains de nos slogans ou principes en vue d’atteindre des objectifs à court terme ne sera qu’une sorte d’opportunisme étranger aux Socialistes révolutionnaires, qu’ils doivent absolument éviter afin de construire leur projet organisationnel parmi les milieux populaires et pour la victoire de la révolution égyptienne. Nous ne pouvons pas, par exemple, hésiter à attaquer les mensonges des médias des fouloul et des libéraux comme nous ne pouvons pas arrêter de confronter les démonstrations de force de la contre-révolution auxquelles se livrent aujourd’hui l’armée et le ministère de l’Intérieur. Nous ne pouvons pas non plus cesser de rappeler l’histoire criminelle du Conseil militaire et des fouloul de Moubarak et d’exiger qu’ils soient jugés au même titre que les directions des Frères musulmans qui, eux, ont excellé au cours des dernières semaines dans l’incitation à la violence et au meurtre et le déchainement du sectarisme dégoutant. Nous ne pouvons en aucun cas hésiter à diriger l’attaque politique directe contre les fouloul et les opportunistes au sein du gouvernement Beblawi, contre ses orientations libérales certaines et contre la consolidation de l’Etat répressif avec les désignations de nouveaux gouverneurs de province. Enfin nous ne pouvons pas hésiter à dénoncer les énormes prérogatives et privilèges dont jouit l’institution militaire dans la Constitution, et qu’elle contrôle près d’un quart de l’économie égyptienne, tout en maintenant les accords humiliants de Camp David, etc. Nous devons faire face à ces questions d’une manière strictement principielle.
Sous-estimer le retour de l’État Moubarak et la répression de l’institution militaire est extrêmement dangereux. L’État Moubarak qui, il est vrai n’a pas disparu de la scène depuis le début de la révolution, revient en pleine puissance sans crises en son sein et avec le soutien de larges secteurs de la population. Cette situation exige de nous de passer à l’attaque, et immédiatement, contre cet Etat et ses symboles qui ne vont pas attendre trop longtemps pour attaquer quiconque répète les revendications de la révolution.
Notre position de principe, que nous n’abandonnerons pas, peut nous causer un isolement - temporaire - des milieux populaires du fait que notre discours, en général, ne sera pas bien accueilli par les masses, en dépit de tous les efforts qui seront déployés dans l’action et l’intervention dans les milieux ouvriers et estudiantins et dans les quartiers populaires. Cet isolement a effectivement commencé avant le 30 juin en raison de notre position de principe contre l’armée et les fouloul et les Frères musulmans. Mais cela ne peut en aucun cas nous démoraliser ; tant les contradictions dans la conscience des masses et leurs capacités à s’organiser persistent, le mouvement de masse continue à être combiné et à subir l’influence de divers facteurs entrecroisés qui l’obligent à emprunter des chemins sinueux et non pas une trajectoire rectiligne en constante ascension. Le vrai contenu du pouvoir répressif finira par se dévoiler aux masses populaires qui commenceront à nouveau, peu à peu, à lui faire face.
Cela ne signifie pas un isolement total ou un éloignement complet des masses ; il y a encore des milliers et des dizaines de milliers de jeunes révolutionnaires qui ont lutté farouchement contre la domination militaire lors des vagues de la révolution égyptienne et continué la lutte contre le pouvoir de Morsi ; des jeunes dont la mémoire est toujours intacte, qui sont attachés aux principes révolutionnaires, qui ont moins de contradictions dans la conscience, et qui ne misent pas sur les institutions de l’Etat, encore moins sur l’institution militaire, la colonne vertébrale de la contre-révolution. Ceux-ci trouveront la position de principe des Socialistes révolutionnaires attrayante devant la dérive des forces politiques et leur alignement à côté de l’institution militaire et du nouveau pouvoir qu’elle a installé. Sous cet angle la situation paraît meilleure qu’elle l’était pendant les mois qui ont suivi le 11 février 2011, quand, pendant des mois, le discours contre le pouvoir militaire était l’affaire des seuls Socialistes révolutionnaires et quelques activistes à titre individuel.
Dans les semaines et mois à venir, nous avons l’occasion pour attirer et gagner une partie de ces révolutionnaires pour renforcer nos rangs et pouvoir jouer un rôle plus dynamique et plus conséquent dans les prochaines vagues de la révolution. Mais dans le même temps nous voulons aussi intégrer les travailleurs et les gens paupérisés qui ont fait la révolution et participé à sa dernière vague le 30 juin, principalement pour les objectifs de la révolution qui n’ont jamais été réalisés. Voici l’importance extrême de relancer le projet du Front révolutionnaire avec des parties politiques qui ont des principes, qui ne se jetteront pas dans les bras de l’État et son nouveau pouvoir, et qui ne s’allieront pas avec les islamistes contre cet Etat, et qui, chose sûre, adoptent un programme de revendications de la révolution et ses objectifs.
Les Socialistes révolutionnaires - Egypte
15 août 2013