Le 30 octobre, les derniers soldats indonésiens ont quitté le Timor oriental. A Djakarta, le 19 octobre, l’Assemblée consultative du peuple (MPR) avait déjà entériné la situation de fait, en mettant formellement fin à l’annexion du pays décrétée en 1976. Une page sanglante de l’histoire timoraise est tournée.
Le Conseil de sécurité a placé le Timor oriental sous administration onusienne. Or, on ne saurait oublier que pour lui, comme l’a reconnu un haut responsable de l’Onu, « la stabilité de l’Indonésie, avec ses 220 millions d’habitants, était nettement plus importante que l’indépendance du Timor oriental avec ses 800000 habitants »(Le Monde, 31 octobre). La nouvelle administration transitoire des Nations unies au Timor-oriental (Untaet) possède de larges pouvoirs civils, militaires, législatifs ou judiciaires et l’on peut craindre qu’elle ne manifeste encore trop de complaisance à l’égard de Djakarta. Amnesty International vient notamment de protester contre la lenteur de l’enquête sur les crimes commis en septembre par les milices et l’armée indonésiennes.
Il importe, dans ce contexte, d’apporter toute l’aide possible à la réorganisation, sur place, des forces timoraises. Le dirigeant indépendantiste Xanana Gusmao est rentré au pays. Il préside un nouveau Conseil transitoire, assisté de Roque Rodriguez, ancien représentant à Lisbonne. Les diverses composantes de la résistance timoraise participent à ce conseil avec notamment J. Ramos-Horta (vice-président), les Falintil, le Fretilin, l’Union démocratique timoraise, le Parti socialiste timorais et les organisations de femmes.
Le Fretilin, constitué en 1974-1975, représente la principale composante de la résistance. Il prépare un congrès pour décembre. Le récent PST se réorganise et ouvre des bureaux à Dili. De façon plus générale, depuis la démission de Suharto en mai 1998, de nombreuses organisations de base se sont réactivées au Timor-Est. Il faut espérer que les massacres et les déplacements de population n’ont pas trop affaibli cet extraordinaire dynamisme socio-politique qui s’était manifesté avec éclat le 30 août dernier, lors du vote massif en faveur de l’indépendance.
La crise timoraise, la mise en cause de l’armée, les mobilisations démocratiques et les scandales financiers ont contribué à redistribuer les cartes à Djakarta. Le président en exercice, Habibie, a perdu toute chance d’être reconduit et l’élection présidentielle a été l’occasion d’un compromis entre les diverses fractions en présence. Le musulman modéré Abdurrahman Wahid, dit Gus Dur, accède à la présidence ; accepté par les tenants de l’ancien régime pour écarter sa populaire rivale, Megawati Sukarnoputra. Cette dernière devient donc vice-présidence, alors que d’importants postes sont accordés à Akbar Tanjung, chef du Golkar (le parti de la dictature) et à Amien Rais, autre dirigeant musulman modéré.
Le gouvernement reflète le même équilibre temporaire entre fractions et inclut des militaires. Ce compromis a été facilité par le fait qu’aucune divergence de programme ne s’est nettement manifestée entre les différents partis de l’élite indonésienne. Tout en promettant de brider corruption et népotisme, tous courtisent le FMI. L’aile militante du mouvement étudiant ne s’y est pas trompée : elle est déjà redescendue symboliquement dans la rue pour affirmer sa vigilance démocratique.
Pour sa part, le Parti démocratique du peuple a tenu un congrès extraordinaire en octobre, où 133 délégués représentaient la presque totalité des 54 branches locales de l’organisation, implantées dans 16 provinces. Il a pris note du dynamisme politique mais aussi des faiblesses organisationnelles du mouvement étudiant et social. L’espace démocratique gagné de haute lutte en 1998 risque d’être progressivement réduit. Au nom de l’anticommunisme, l’organe de presse militaire Garda mène campagne depuis juillet contre le PRD, attaqué aussi par des groupes islamistes d’extrême droite.
Face à l’opportunisme et à l’élitisme de partis comme le PDI-P de Megawati et le Parti du réveil national de Gus Dur, le PRD poursuit son combat pour une force populaire indépendante, pour mettre fin à cette « double fonction » qui permet toujours aux militaires de jouer un rôle politique, et pour « achever la révolution démocratique » commencée en 1998. Le congrès a décidé de donner la priorité à la consolidation de son organisation, à la formation de ses membres, à sa presse (Pembebasan, « Libération ») et à une implantation en profondeur, plutôt qu’à une rapide expansion géographique tous azimuts. Le PRD s’affirme aujourd’hui comme le seul parti radicalement de gauche. Mais, malgré sa croissance, il reste encore bien faible au regard des responsabilités objectives qui lui incombe. Une situation contradictoire qu’il assume consciemment et courageusement.