Manu Bichindaritz – Peux-tu nous faire un rapide tableau de la situation des Roms dans l’Essonne ?
Farid Bennaï – La situation pourrait se résumer à ces mots : intimidation suivie d’expulsions partout et tout le temps. Cela signifie destructions des maigres biens, déscolarisation, non-respect des droits des enfants ou des droits humain tout court, c’est inadmissible ! Et c’est bien une volonté politique nationale qui doit être mise en cause, car rejeter, expulser, c’est une politique abjecte de refus d’une population, lui niant jusqu’au droit d’existence sur notre sol.
Chaque expulsion, chaque destruction de leur habitat précaire sans solution alternative, laisserait penser que le problème ce serait eux. La stigmatisation de cette population a pour conséquence une légitimation des propos racistes, de laisser faire des élus locaux qui refuse la loi, et quand bien même ils seraient en conformité en terme d’aire d’accueil des « voyageurEs », cela leur donne-t-il le droit de bafouer les droits humains ? Les familles Rroms sont trop souvent en but à un harcèlement policier sans respect pour les droits fondamentaux.
Comment d’après toi leur situation a-t-elle globalement évolué depuis le changement de gouvernement et l’arrivée de Hollande ?
Après la présidence de Sarkozy, nous constatons que celle de Hollande persiste à traiter les Roms comme si c’était eux le problème, et cela alors que la France a déjà été condamnée à 6 reprises par le Comité européen des droits sociaux dépendant du Conseil de l’Europe pour sa politique discriminatoire à l’égard des Roms. C’est bien en France, chez nous, qu’au petit matin, des êtres humains – hommes, femmes, enfants – sont chassés des abris qu’ils ont réussi à se construire, tels des nuisibles. Malgré l’engagement de François Hollande, alors qu’il était candidat, et la publication d’une circulaire allant en ce sens au mois d’août 2012, la situation des Roms en France ne s’est pas améliorée, loin s’en faut. C’est pire aujourd’hui.
Les destructions de lieux de vie sans relogement autre que quelques nuits d’hôtel ont été, en 2012, plus nombreuses à partir du mois de juin... Les expulsions continuent. Des cars de CRS accompagnés de bulldozers jettent dehors les habitants des terrains de fortune et des squats, rasent les maisons construites par leurs habitants devant les yeux d’enfants terrorisés, et détruisent les formes de vie, certes précaires, qui s’y étaient organisées. Des OQTF (obligation de quitter le territoire français) sont toujours distribuées de façon massive. Des mesures transitoires font toujours obstacle à l’accès au travail des citoyens roumains et bulgares, pourtant citoyens européens.
Quelles seraient les mesures urgentes pour changer sensiblement la situation des Roms ?
À qui fera-t-on croire qu’il n’est pas possible de trouver un peu partout en France des terrains où l’on puisse installer un habitat léger et provisoire, avec le minimum pour l’hygiène et la sécurité, le temps nécessaire pour que l’insertion par le travail pour les adultes et par l’école pour les enfants, fasse son œuvre ? Qu’est ce que ce « problème » qui concerne de 15 à 20 000 personnes, comparé à la population de la France de plus de 65 millions ? Une goutte d’eau si on veut vraiment prendre le problème à bras le corps.
Nous réclamons depuis des années que le gouvernement donne l’ordre à ses préfets d’organiser avec tous les maires et les présidents des conseils généraux, l’accueil des familles Roms. Ce que nous réclamons ne concerne d’ailleurs pas que les familles Roms, car la France compte au moins 130 000 sans abris.
Dans ce contexte, comment analyses-tu les récentes déclarations scandaleuses de Le Pen puis d’Estrosi ?
Il faut les replacer dans un contexte historique : esclavagisme, colonialisme, capitalisme... Cela n’a donc rien d’inhabituel, c’est un classique des « valeurs civilisatrices » de l’État français.
Les violences dont sont victimes les Roms par les autorités françaises, n’ont qu’un seul but. À travers les misères qui leur sont infligées, c’est à toute la population française qu’un message est délivré et qu’un piège est tendu : le message de la résignation et le piège de la division. La stigmatisation de ces populations a pour conséquence une légitimation des propos racistes. Le décor est planté, et les Le Pen , Estrosi, Valls n’ont plus qu’à s’agiter pour faire de la surenchère électoraliste sur le dos des Roms, des « musulmans », des sans papiers, des immigréEs, etc.
Propos recueillis par Manu Bichindaritz