A Timor oriental, les indépendantistes viennent d’emporter une spectaculaire victoire politique. Près de 90 % des quelque 450000 inscrits (sur une population totale de 800000 personnes) ont en effet participé, le 30 août, au scrutin supervisé par l’Onu, qui doit décider de l’avenir du pays, militairement occupé depuis 25 ans par l’Indonésie.
Le fait est d’autant plus remarquable que ces derniers mois, avec la complicité active des forces armées d’occupation, des milices pro-indonésiennes ont semé la terreur pour dissuader les Timorais de l’Est de se rendre aux urnes. Plusieurs dizaines de militants indépendantistes ont été sommairement abattus et des dizaines de milliers de personnes ont dû se réfugier dans les montagnes ou les églises pour échapper aux exactions.
Dès l’aube, le 30 août, la population s’est massivement rendue aux urnes, quitte souvent à marcher des kilomètres pour ce faire. « Même les blessés sont venus voter contre l’appartenance à l’Indonésie » ont noté les observateurs. C’est probablement l’ampleur de cette mobilisation populaire qui explique que le scrutin se soit déroulé pour l’essentiel dans le calme et que les milices pro-indonésiennes n’aient pas mis, ce jour-là, leurs menaces à exécution. Une menace qui n’en reste pas moins très réelle. Après avoir voté, bien des Timorais ont regagné les collines et n’ont pas osé rentrer chez eux, de peur de sanglantes représailles. Et il est vrai que dès la soirée du 30, et le lendemain, des miliciens sont à nouveau entrés en action. Quatre membres de l’Onu ont été tués, des camions d’aide humanitaire qui devaient se rendre d’urgence en province ont été bloqués à la sortie de Dili, la capitale, les milices voulant exiger que leur soient remis les 50 Timorais présents dans le convoi.
Une étape nouvelle
C’est un long combat d’indépendance qui entre donc, aujourd’hui, dans une étape nouvelle. Timor oriental La moitié d’une île située au large de l’Australie, une ancienne colonie portugaise à la population christianisée, envahie par l’armée indonésienne au lendemain de la proclamation de l’indépendance [1]. Un quart de siècle d’une occupation militaire qui a coûté la vie à quelque 200 ou 250000 Timorais sur 800000 ! , morts lors des combats et bombardements, ou affamés, victimes des déplacements forcés de population ; ce fut l’un des conflits les plus sanglants du siècle.
L’indépendance réelle n’est cependant pas encore acquise. Après le dépouillement des bulletins de vote (qui ne devrait être terminé qu’en début de semaine prochaine), c’est l’Assemblée consultative du peuple indonésienne qui doit, en novembre, la ratifier. Or, la classe politique d’Indonésie est opposée à l’indépendance de Timor oriental c’est le cas du président Habibie qui a appelé à soutenir son projet d’autonomie-intégration, mais aussi celui de Megawati, la principale figure de l’opposition modérée et une candidate bien placée à la succession présidentielle (voir ci-dessous). Il paraît certes politiquement difficile à cette assemblée d’ignorer, après le scrutin du 30 août, la volonté populaire des Timorais de l’Est. Mais le pouvoir indonésien peut utiliser la période transitoire (et la menace des milices) pour essayer d’imposer des compromis inacceptables aux forces indépendantistes, comme il a utilisé hier l’autorité de police, que lui avaient confié les accords signés en mai dernier sous l’égide de l’Onu, pour recruter et armer en masse les miliciens.
Plus grave encore, bien des chefs de milices ont promis, les semaines passées, la guerre civile au cas où l’intégration à l’Indonésie serait rejetée par les électeurs. Certains ont déjà annoncé, le 31 septembre, qu’ils ne reconnaîtraient pas les résultats du vote : Basilio Araujo a notamment dénoncé « une conspiration internationale visant à mettre en échec la dynamique d’intégration », conspiration dont seraient coupables l’Onu et les anciennes puissances coloniales (Sydney Morning Herald, 1er septembre). Les milices auront-elles les moyens politiques, après le verdict du 30 septembre, d’engager une véritable guerre civile ? Peut-être pas, mais ils peuvent multiplier les assassinats sélectifs de cadres du mouvement indépendantiste. Comme le note le South China Morning Post du 1er septembre, « Il est clair que ces groupes gardent les moyens de se déchaîner une nouvelle fois, en tuant et menaçant quiconque s’affirme en faveur de l’indépendance ; et il n’est pas certain qu’une pression continue exercée sur Djakarta pour que [l’Indonésie] maintienne sous contrôle les milices suffisent à maintenir la paix au Timor oriental. »
Tout autant qu’hier, les Timorais de l’Est ont aujourd’hui besoin de la solidarité internationale.
Note
1. La moitié occidentale de l’île de Timor, étant une ancienne colonie néerlandaise, fait partie de l’Indonésie depuis que cette dernière a acquis sa propre indépendance, bien avant la partie orientale.