En une semaine, le drame du Timor oriental a pris toute son ampleur. Après avoir piloté les milices pro-intégration, les policiers et militaires indonésiens interviennent aujourd’hui directement, ouvertement. En sus des assassinats sélectifs de militants, les massacres se font toujours plus fréquents. Dili, la capitale est désertée, pillée. Eglises, évêché, missions de l’Onu ont été méthodiquement investis ; tous ceux qui s’y étaient réfugiés ont été emmenés de force vers des destinations inconnues : les Timorais doivent savoir qu’ils ne peuvent rien espérer de leurs protecteurs religieux ou internationaux. Aux déplacements forcés de populations s’ajoutent de véritables déportations organisées : des dizaines de milliers de personnes ont d’ores et déjà été transférées manu militari vers la province indonésienne du Timor occidental et, selon certaines sources, Djakarta s’apprêterait à chasser de leur pays jusqu’à 300000 habitants.
Qui peut encore prétendre que des milices « incontrôlées » sont responsables des exactions ? Une politique d’ensemble, une politique de terreur est systématiquement mise en œuvre par les forces armées et l’Etat indonésiens. Et c’est à cette même armée, à ce même Etat que les puissances occidentales demandent encore, à l’heure où ces lignes sont écrites, d’assurer la sécurité au Timor oriental !
L’existence du peuple est-timorais et son droit à vivre dans son propre pays ne sont pas seuls en cause. Cette armée qui a envahi le Timor oriental en 1975, imposant pendant un quart de siècle un joug sanglant en terre étrangère, avait déjà commis dix ans auparavant, en Indonésie même, de terribles massacres sous la bannière de l’anticommunisme, avec la bénédiction de l’Occident. Elle a ainsi imposé sa dictature, 30 ans durant, sur le peuple indonésien.
Le poids prépondérant des forces armées dans la vie économique, sociale et politique indonésienne a été remis en question avec la chute du dictateur Suharto. En intervenant aujourd’hui au Timor oriental, elles cherchent à faire coup double en rétablissant leur puissance à Djakarta. Elles jouent sur la lâcheté d’une classe politique qui se refuse à reconnaître le droit des Timorais de l’Est et alimentent une campagne médiatique qui, au nom du nationalisme indonésien, présente l’organisation du référendum sur l’indépendance timoraise comme un complot ourdi par les anciennes puissances coloniales.
Rares sont ceux qui, en Indonésie, s’opposent à cette campagne. C’est le cas d’un certain nombre d’organisations non gouvernementales et du Parti démocratique du peuple (PRD). Ce dernier a publié, dès le 6 septembre, une déclaration dans laquelle il salue la volonté d’indépendance des Timorais de l’Est et dénie aux institutions indonésiennes le droit de remettre en question les résultats du scrutin, exige le retrait des forces armées du Timor oriental, demande à l’Onu d’envoyer immédiatement une force de paix pour garantir la sécurité de la population. Mais les mouvements qui affirment ainsi courageusement en Indonésie leur soutien aux Timorais de l’Est risquent d’être bientôt eux-mêmes réprimés.
Le mouvement de solidarité avec le Timor oriental s’affirme sur le plan international, tout particulièrement en Australie où les syndicats ont engagé une série d’actions. En France, une première manifestation est organisée le 8 septembre à Paris pour exiger le désarmement des milices, le retrait des troupes indonésiennes et l’intervention urgente d’une force de paix. Avec France-Libertés et les deux comités de solidarité avec Timor, cette initiative regroupe un large éventail d’organisations catholiques et antiracistes, d’associations portugaises, d’ONG, de syndicats (Confédération paysanne, FSU, SUD-PTT, probablement la CGT, etc.) et de partis (PS, PCF, Verts, LCR). Dans les jours prochains, d’autres initiatives seront prises à Paris et dans diverses autres villes.
Editorial
Pour Timororiental
La population du Timor oriental a manifesté sans ambiguïté aucune sa volonté d’indépendance, après 24 ans d’occupation militaire. Elle a fait preuve d’un courage exemplaire en se rendant massivement aux urnes le 30 août dernier. Elle avait dû faire face, 6 mois durant, aux menaces et aux exactions meurtrières des milices pro-intégration. Pour prix de ce courage, elle est aujourd’hui soumise à une campagne de terreur directement orchestrée par les forces armées indonésiennes : assassinats sélectifs et massacres aveugles, refuges incendiés, déplacements et déportations forcés de population...
Le désastre était annoncé. Les Nations unies n’ont jamais reconnu l’annexion unilatérale du Timor oriental par l’Indonésie. Néanmoins, l’accord du 5 mai 1998 sur le référendum d’autodétermination, signé sous l’égide de l’Onu, accordait à Djakarta les pouvoirs de police sur le territoire est-timorais. C’était laisser le champ libre aux assassins. Toutes les composantes du mouvement de libération avaient alors lancé un cri d’alarme, exigeant des Nations unies qu’elles prennent leurs responsabilités et assurent elles-mêmes le maintien de l’ordre.
Aujourd’hui encore, le Conseil de sécurité des Nations unies se contente d’envoyer une mission à Djakarta pour négocier avec le pouvoir indonésien. Pourtant, chaque jour qui passe, l’irréparable s’accomplit au Timor oriental.
Dans l’extrême urgence, le Conseil national de la résistance timoraise et les personnalités représentatives ont lancé de nouveaux appels pour la reconnaissance effective de l’indépendance de leur pays ; pour le désarmement des milices assassines ; pour le retrait immédiat du territoire des troupes indonésiennes ; pour l’intervention d’une force de paix internationale, seule à même de protéger les populations. Il faut répondre à ces appels destinés, en premier lieu, aux Etats qui, telle la France, sont membres du Conseil de sécurité et du Groupement consultatif sur l’Indonésie, ou qui ont engagé avec Djarkarta une coopération militaire.