Qui étaient les observateurs internationaux ?
Ludovic Bourlès- Les observateurs se répartissaient en 3 groupes. Premièrement, les officiels : 50 Portuguais et 50 Indonésiens, soit d’une part la puissance reconnue internationalement et d’autre part la puissance gestionnaire de fait au Timor. Deuxièmement, de fortes délégations d’observateurs locaux, représentant les « sociétés civiles » timoraise et indonésienne, pouvaient être plus ou moins neutres. Ainsi, Djakarta a tenté (et en partie réussi) de faire accréditer plusieurs centaines d’Indonésiens affrétés par l’armée. Troisièmement, je faisais partie d’une des délégations d’observateurs internationaux envoyés par des groupes tels le centre Jimmy-Carter, le Parlement canadien, des ONG asiatiques. L’International Federation for East-Timor (Ifet) constituait la plus grosse délégation internationale, avec 150 personnes accréditées, envoyées par 35 ONG de 22 pays. En France, les 2 associations qui m’ont envoyé sont Agir pour Timor et France-Libertés. Après une sélection des candidats, nous avons suivi une formation à l’observation d’élection et des droits humains, à la gestion des conflits...
L’ONU et les observateurs avaient des rôles distincts mais complémentaires. La première organisait la procédure : inscription sur les listes électorales, organisation de la campagne référendaire, formation du personnel de vote, déroulement du scrutin, dépouillement. Elle entretenait avec les ONG des relations pour une part officielles, signant nos accréditations et recevant le rapport de nos observations (disponibles sur « http://www.etan.org/ifet/ »). Une semaine avant le vote, nous nous sommes adressés directement à Koffi Annan pour lui faire part de notre « grave préoccupation [pour] la sécurité du peuple est-timorais ». Au-delà des échanges officiels, sur le terrain, les contacts informels dépendaient de la personnalité du responsable de district. Là où j’étais, les relations étaient très bonnes.
Quel bilan tire de la présence des observateurs ?
L. Bourlès - Notre présence devait « assouplir » le processus. Elle aurait pu restaurer la confiance, enclancher un processus de démocratisation (voir par exemple le Cambodge, où ça c’est passé un peu mieux). Nous observions le travail de l’Onu et les 2 factions en présence, afin de donner l’alerte. Le deuxième volet consistait en une mission d’observation des droits humains. L’Ifet travaillait dans un esprit non partisan, seul le peuple est-timorais pouvant décider de son avenir. Cependant, nous étions mal vus par les tenants du statu quo qui considéraient le référendum comme un danger. De ce fait, notre mission d’accompagnement du processus d’autodétermination les incitait à nous considérer comme favorables à l’indépendance. La grande majorité des Timorais de l’Est nous ont accueillis avec une grande chaleur. Nous portions, pour une part, un espoir vieux de 23 ans.
Nos moyens financiers étaient à la mesure des petites organisation qui composent l’Ifet. Les problèmes matériels ont handicapé notre mission. La logistique était insuffisante pour assurer dans de bonnes conditions nos transports, nos communications. Selon les accords du 5 mai, l’armée et la police indonésiennes étaient responsables de la sécurité, l’Onu n’ayant qu’un rôle de conseil via des officiers de liaison militaire et des policiers en civils. Vu l’histoire des 23 ans d’occupation, une telle mesure s’explique difficilement. Deux hypothèses circulent dans les milieux liés à la cause timoraise : l’incompétence et le cynisme.
En guise d’analyse de la suite, que nous connaissons tous, je reprendrai les mots d’Antonio Tabucchi : « L’immobilité de l’ONU, qui a permis le massacre, est à mon avis une preuve sans équivoque de coresponsabilité. »