Lors d’une réunion organisée par l’Association marocaine des droits humains (AMDH), Ahmed Assid a parlé, avec beaucoup de formules de précaution comme on sait le faire au Maroc, des droits humains et de la nécessité de débarrasser les livres scolaires des citations violentes extraites d’écrits moyenâgeux. Assid a cité une lettre du prophète Mahomet invitant à se convertir à l’Islam, dans des termes peu conciliants, reproduite sans nuance dans un manuel scolaire. Il dénonce « des préceptes religieux appelant à la haine » et l’enseignement des « conquêtes arabo-islamiques comme des missions civilisatrices en Afrique du Nord ». Pour Assid, la laïcité, la liberté intellectuelle et le choix individuel des croyances doivent être respectés, à l’inverse d’une conception pour le moins psychorigide et guerrière de l’Islam enseigné aux jeunes dans les manuels scolaires, évoquant un Islam « propagé à l’épée » à l’époque du prophète.
Ahmed Assid mène un combat qui peut prêter à sourire en Europe, de par son caractère démocratique. Au Maroc, ce combat est fondamental et d’actualité, et les intégristes perçoivent son message comme subversif et dangereux pour le maintien de leurs principes conservateurs. Des initiatives récentes des salafistes pour imposer leurs lois dans les quartiers, par exemple en s’installant en groupe sur les trottoirs pour interpeller les femmes (« putains », « salopes ») quand elles se déplacent seules ou sans le voile islamique, ont été rejetées par la population et réprimées par la gendarmerie ! Les classes moyennes n’acceptent pas que l’on inquiète leurs femmes et leurs enfants, ce que les salafistes n’avaient pas prévus. De même, les dénonciations lancinantes des activités « importées de l’Occident » comme étant des « péchés » (Haram), comme regarder la télévision ou des DVD, commencent à faire vieux jeu dans un pays où les villes sont couvertes de paraboles ! Les images télévisées de maliens, aux mains amputées, parce qu’ils avaient été pris à fumer dans les territoires contrôlés par les intégristes, avant l’intervention française, a porté un coup très fort aux salafistes marocains, notamment dans la jeunesse des villes.
C’en est trop pour les imams salafistes autoproclamés, attaquées sur le terrain de la laïcité. Un prédicateur sur Facebook a qualifié le Dr Ahmed Assid de « criminel » et « d’ennemi de Dieu », ce qui est une forme d’excommunication. N’importe quel intégriste à petite cervelle peut croire ainsi qu’il est en droit de tuer l’infidèle ou l’apostat. L’imam de Salé, qui accuse Assid d’être de connivence avec ses « maîtres en Israël et ses professeurs en France », appelle à l’exécution d’Ahmed Assid. Près de 300 associations marocaines, le panel de la gauche au sens le plus large, appellent à défendre le militant et chercheur à l’Institut royal de la culture amazighe (IRCAM). Elles dénoncent l’incitation au meurtre et le langage totalement intolérant des religieux. Elles exigent que les auteurs de fatwas soient condamnés pour « trouble de l’ordre public » et que Ahmed Assid soit effectivement protégé par le gouvernement en principe garant de l’ordre public.
A partir d’un avis sans conséquence émis dans une réunion de l’AMDH, les salafistes ont monté l’affaire en épingle, avec des menaces de mort. Le débat sur la laïcité prend racine au Maroc, dévoile plus largement les méthodes des intégristes et montre l’inertie du sommet de l’Etat qui n’applique qu’à la marge ses promesses de démocratisation de la vie publique affichées au début du « printemps arabe » de 2011.
Un recul des pratiques religieuses
Pour les musulmans, le Coran n’a pas subi d’altération après sa révélation à Mahomet, qui était illettré comme la grande majorité de ses contemporains. Ce sont donc ses compagnons (estimés à 70), les premiers califes (réputés successeurs de Mahomet) et des lettrés qui ont assemblés les versets du Coran jusque la mort de Mahomet en 632 et après, sur la base des propos prêtés au prophète. Les premiers textes rassemblés et mis au point apparaissent dans les années 632-634. Ils constituent le cœur du livre qui circule depuis lors jusque nos jours. C’est une synthèse religieuse d’une culture dominante dans une partie de ce qu’on nomme aujourd’hui l’Arabie, à une époque où les populations étaient divisées en tribus vivant essentiellement du pastoralisme et du commerce côtier. Mais si le texte du Coran n’a pas changé en 13 siècles, l’environnement social a connu des mutations que Mahomet n’aurait pas imaginé et sans doute pas compris. Même les techniques d’impression, les encres et les papiers des publications modernes du Coran n’étaient pas imaginables au temps du prophète. Les foyers lumineux et l’électricité qui permettent aux croyants de lire la nuit n’ont pas d’explication dans le Coran. Du fait de son extrême rigidité, l’enseignement coranique a interdit les progrès que les sociétés musulmanes auraient pu accomplir, en stérilisant les recherches qui risquaient de démentir l’idéologie rigide et totalitaire du texte sacré. Au long des siècles qui ont succédé à l’invention du Coran, seules les sciences qui semblaient acritiques face au Coran ont connues des progrès, parfois remarquables (mathématiques, architecture). Les rituels sociaux contemporains et les technologies en évolution accroissent sans cesse les contradictions d’un vieux livre au texte figé en des temps moyenâgeux, et aujourd’hui confronté aux technologies et aux connaissances contemporaines sans liaison possible.
Tel qu’on le voit en 2013 au Maroc, la désaffection pour la pratique religieuse suit son cours, pour commencer, dans les villes. Plusieurs mosquées ont mis une sourdine à l’appel du muezzin (qui utilise maintenant des haut-parleurs, cinq fois par jour !) sous la pression d’un voisinage urbain excédé. Les classes moyennes contournent la formation religieuse pour leurs enfants au collège et les plus fortunés choisissent les écoles laïques ou étrangères garantes d’un meilleur niveau d’étude.
Il n’y a pas d’étude accessible au public sur le recul des convictions religieuses au Maroc. Mais deux sociologues français viennent d’établir un lien entre catholicisme et niveau d’éducation en France : l’arrêt d’une pratique religieuse parce qu’elle vient de disparaître (le catéchisme par exemple) favorise une meilleure réussite scolaire [3]. Façon de dire qu’une pratique religieuse est une perte de temps.
Yves Dachy. Le 10 juin 2013.