La Commission européenne a présenté début novembre quatre propositions non officielles (non paper) de nouveaux règlements sur la commercialisation des semences et plants [1] (PMR), la santé des plantes (PH) les contrôles et les financements. Après consultation des gouvernements et des services de la commission, un projet officiel devrait être proposé au Conseil et au Parlement européens dans les premiers mois de 2013.
La Via Campesina Europe a analysé ces documents et présente une première position qui se concentre sur les aspects « commercialisation des semences » et ne préjuge pas de positions ultérieures sur les aspects plus horizontaux, notamment sur les contrôles et la généralisation du « paquet hygiène » à l’ensemble des productions agricoles.
LA COMMISSION DOIT RÉÉCRIRE SA COPIE POUR PRENDRE EN COMPTE LES DROITS DES AGRICULTEURS ET PAS UNIQUEMENT CEUX DE L’INDUSTRIE
Encore imprécises, ces propositions sont présentées comme une simplification des dispositifs réglementaires d’accès des semences au marché. Elles veulent satisfaire d’un côté l’industrie semencière attachée au monopole exclusif des variétés distinctes (D) homogènes (H) et stables (S) protégées par un Certificat d’Obtention Végétale (COV) à laquelle elles offrent la gestion du catalogue européen [2] et un enregistrement des variétés sur description officielle conforme au catalogue actuel, et de l’autre côté les multinationales du génie génétique pressées de voir leurs manipulations génétiques brevetées arriver sur le marché sans prendre le temps d’homogénéiser les variétés dans lesquelles elles sont intégrées.
Ne pourront être commercialisées que les semences de variétés conformes à la convention UPOV [3] de 91, pouvant à la fois être protégées par un COV et ne contenir que des plantes elles-mêmes protégées par un ou des brevets. Seules variétés anciennes inscrites aux catalogues « de conservation » ou « sans valeur intrinsèque » avant l’entrée en vigueur du nouveau règlement bénéficient d’un enregistrement sur description officiellement reconnue (DOR) simplifié et moins onéreux. Mais aucune nouvelle variété non H ou non S ne pourra ensuite accéder à l’enregistrement. Les semences de variétés paysannes « population » adaptées et adaptables à l’évolution des conditions de culture et des climats seront toujours interdites de commercialisation.
Ces propositions reposent d’une part sur une atteinte inacceptable à l’agriculture vivrière et aux droits des paysans de commercialiser leurs semences, d’autre part sur de nouvelles contraintes sanitaires, environnementales et de biosécurité visant à éliminer les semences adaptées aux agricultures paysannes ou biologiques et les petites entreprises semencières. L’état actuel de leur rédaction ne permet pas de dire si elles visent à ouvrir de nouvelles opportunités ou à interdire le droit des paysans d’échanger leurs semences.
L’agriculture vivrière et les systèmes d’échanges informels de semences entre agriculteurs ont produit toutes les espèces cultivées disponibles, puis conservé et renouvelé de génération en génération toute la biodiversité cultivée qui sert de ressources aux sélection modernes. Interdire tout ce qui n’est pas enregistré ferait disparaître définitivement l’immense majorité des variétés locales ainsi conservées.
Ces atteintes au droit à l’alimentation et aux droits des agriculteurs ont vocation à s’exporter. L’Europe est en effet depuis cinquante ans le laboratoire de lois semencières qu’elle impose sur toute la planète au travers de l’UPOV et des Accords de Libre Échange. Les peuples européens doivent refuser ces lois non seulement pour eux, mais aussi pour tous les peuples du monde.
1) L’accès aux semences destinées à l’agriculture vivrière doit rester un droit humain inaliénable
L’agriculture motorisée, seule à même de valoriser les semences industrielles, n’est pratiquée que par moins de 10 % des paysans du monde. Les 3 /4 de la nourriture produite sur la planète sont issus de l’agriculture vivrière destinée à l’autoconsommation et au commerce local. Très diversifiée et économe, cette agriculture paysanne utilise presque exclusivement des semences paysannes. Elle n’a que faire des semences industrielles destinées aux monocultures de rente très exigeantes en intrants chimiques et destinées au marché global. La propagande de l’industrie voudrait réduire l’agriculture vivrière européenne à l’usage folklorique de quelques « variétés anciennes » par des « jardiniers amateurs ». Les millions de petits paysans des pays de l’Est récemment entrés dans l’Union européenne ne cultivent pas pour occuper leurs loisirs, ni pour exporter sur le marché global, mais pour l’alimentation locale. Ils sont aujourd’hui rejoint par les populations irlandaises, grecques, espagnoles, portugaises... jetées à la rue par la crise financière et qui occupent des terres abandonnées pour se nourrir.
Aucune loi semencière de commercialisation ou de propriété industrielle (COV et brevet) au monde n’a jamais osé restreindre l’accès aux semences destinées à l’agriculture vivrière. L’actuelle réglementation européenne se limite elle aussi à la production et à la commercialisation de semences destinées à l’agriculture commerciale (commercialisées « en vue d’une exploitation commerciale »). L’industrie utilise depuis plusieurs années la propagande orchestrée autour de poursuites judiciaires abusives engagées contre le commerce de semences de variétés anciennes pour tenter de supprimer le droit de vendre des semences destinées à la culture pour l’autoconsommation et appartenant à des variétés non inscrites au catalogue. Le « non paper » veut lui donner satisfaction. Aussi simplifiés soient-ils, le coût, la bureaucratie et les normes d’enregistrement feraient alors disparaître les dizaines de milliers de variétés paysannes anciennes, actuelles et futures qui garantissent la conservation et le renouvellement de la biodiversité cultivée ainsi que le droit à l’alimentation des populations européennes les plus pauvres. En effet, ces populations ne disposent pas des moyens financiers nécessaires pour acheter chaque année les semences protégées par des titres de propriété industrielles qui seraient les seules à rester disponibles sur le marché aux côtés de quelques variétés anciennes bientôt périmées, ni pour acheter les intrants indispensables à leur culture. Cette évolution des règles de commercialisation est-elle le prémisse de la même évolution des règles de propriété industrielle des semences ? Étendue à l’échelle de la planète, elle vise directement les millions de petits paysans qui résistent aux accaparement de terre par les multinationales : sans les semences paysannes, ils ne pourront plus se nourrir.
La commercialisation en vue de l’agriculture vivrière de semences non GM librement reproductibles, anciennes ou actuelles, doit rester exemptée de toute obligation de certification et d’enregistrement officiel. Pour cela, le champ d’application de la réglementation « catalogue » doit rester comme aujourd’hui limité à la mise en marché de semences « en vue de leur exploitation commerciale ». Il suffit que la variété soit inscrite sur une liste accessible au public tenue par l’opérateur et sous sa responsabilité pour éviter toute confusion avec la dénomination d’autres variétés. Les obligations minimales concernant la capacité germinative, la pureté spécifique et variétale (sauf mélanges) et les précautions sanitaires élémentaires doivent suffire à garantir le caractère sain et loyal du commerce de ces semences.
2) Garantir le droit des agriculteurs d’échanger leurs propres semences
Ce droit est inscrit dans le Traité International des semences [4] ratifié par l’Union Européenne, afin de protéger l’activité des agriculteurs qui participent à la conservation et au renouvellement de la biodiversité cultivée dans leurs champs. La sélection et la gestion dynamique de la biodiversité cultivée à la ferme ne sont pas des activités commerciales. Elles ne sont pas concernées par les lois européennes actuelles qui se limitent à la production de semences destinées à être commercialisées et à leur commercialisation. La production de ces semences paysannes est indispensable pour permettre l’adaptation des cultures aux changements climatiques et aux nouvelles exigences de diminution des intrants chimiques. Elle garantit l’autonomie des paysans et des peuples face à la domination de quelques firmes semencières. Le « non paper » veut la soumettre au bon vouloir des banques de gènes contrôlées par les firmes semencières qui n’acceptent de conservation que dans des chambres froides ex situ ou par numérisation informatique, et qui refusent toute idée de conservation et de gestion dynamique in situ à la ferme.
Les réseaux de conservation in situ doivent rester hors du champ d’application des lois sur le commerce des semences. Et avec eux tous les échanges « en nature » de semences entre agriculteurs qui contribuent, dans le cadre de leurs productions agricoles, à l’adaptation locale des variétés, à la sélection, à la conservation et/ou à la gestion dynamique de la biodiversité cultivée. Conformément à son objet défini dans son article 1, le règlement PMR ne doit s’appliquer qu’aux opérateurs qui produisent du matériel végétal de reproduction destiné à la mise sur le marché et/ou le commercialisent. Il doit être clairement indiqué que les agriculteurs qui produisent leur propre matériel végétal de reproduction et l’échangent en nature, à titre gratuit ou onéreux, directement avec d’autres agriculteurs sans intermédiaire commercial ni offre publique de mise en marché, ne sont pas des opérateurs auquel s’applique le règlement PMR.
3) Ouvrir le catalogue aux variétés populations traditionnelles et nouvelles adaptées aux agricultures paysannes et biologiques
Le « non paper » introduit une nouvelle définition de la variété issue de la convention UPOV de 1991 qui s’impose pour tout enregistrement et qui exclue les variétés populations. En effet, seules les variétés aux caractères définis par « un génotype (lignées pures) ou une certaine combinaison de génotypes (hybrides F1 ou populations synthétiques) » sont admises. Ces variétés standardisées ne peuvent pas s’adapter à la diversité des terroirs et à la variabilité des climats sans recours important aux intrants chimiques. Leur monopole est un énorme frein au développement des agricultures paysannes et biologiques qui utilisent la diversité et la variabilité intravariétales pour adapter leurs cultures. L’enregistrement DOR qui n’impose pas les critères H et S ne peut permettre l’enregistrement de variétés population que s’il n’est pas lui aussi soumis au respect de cette définition de l’UPOV.
Par ailleurs, l’enregistrement DOR ne doit pas rester limité aux variétés anciennes, mais rester ouvert aux nouvelles variétés locales, paysannes, populations adaptées aux nouvelles conditions de cultures qui s’imposeront aux agriculteurs, notamment avec l’amplification des changements climatiques. Les variétés adaptées à des conditions de culture particulières, et non à une région d’origine ou d’adaptation spécifique, doivent continuer à avoir accès à l’enregistrement DOR. Leur maintenance ne doit pas être limitée à telle ou telle région. Enfin, l’exigence de maîtrise des risques phytosanitaires ou environnementaux exclusivement par la génétique, la stérilisation biologique et/ou le traitement chimique des semences est une négation des importantes capacités des agricultures paysannes et biologiques de maîtriser les maladies et de respecter l’environnement d’abord par les bonnes pratiques agricoles.
L’enregistrement DOR sans exigence de DHS et VAT doit être ouvert aux variétés populations définies par leurs caractères issus de combinaisons variables de plusieurs génotypes. Il ne doit pas être réservé aux variétés commercialisées avant la publication du règlement, mais rester ouvert à toute nouvelle variété, qu’elles soient locales ou adaptées à des conditions de culture particulières. Seule les variétés locales attachées à une région déterminées doivent être maintenues dans leur région d’origine, sauf impossibilité technique (besoin d’isolement important des certaines espèces allogames). Les semences de toutes les espèces appartenant à ces variétés doivent pouvoir être vendues dans la catégorie « standard », sans obligation de certification. Les normes sanitaires et environnementales de l’agriculture chimique ne doivent pas s’imposer aux agricultures paysannes et biologiques. Le règlement PH doit prévoir des articles spécifiques pour cela.
4) Barrer la route aux variétés et aux plantes brevetées et génétiquement manipulées
La réglementation actuelle garantit un accès exclusif au marché des semences pour les variétés homogènes (H) et stables (S) pouvant être protégées par un COV. Les variétés non H et non S sont brevetables, mais elles ne peuvent aujourd’hui être cultivées que sous contrat d’intégration sans échange de titre de propriété sur les semences et la récolte. Par ailleurs, les détenteurs de brevets sur des modifications génétiques des plantes veulent commercialiser leurs innovations sans être contraints de passer par les longues multiplications indispensables à l’H et à la S des variétés. Elles ne doivent pas pouvoir pénétrer le marché grâce à la nouvelle procédure d’enregistrement DOR qui n’est plus soumises aux obligations d’H et de S.
Par ailleurs, de nombreux consommateurs, notamment du secteur bio, refusent toute modification génétique violant l’intégrité de la cellule végétale, non seulement la transgénèse aujourd’hui étiquetée, mais aussi la mutagénèse et la fusion cellulaire ainsi que toute autre technique conduisant à une modification génétique qui ne s’effectue pas naturellement par multiplication et/ou par recombinaison naturelle. L’enregistrement DOR doit être réservé aux variétés non génétiquement modifiées, librement reproductibles, et fermé non seulement à toute variété protégée par un COV, mais aussi aux variétés brevetées ou dont les plantes sont couvertes par des brevets. L’enregistrement doit être accompagné d’une obligation d’information sur les procédés de modification génétique utilisés [5].
5) Lutter contre la biopiraterie
Le COV respecte partiellement les obligations de partage des avantages définies par la Convention sur la Diversité Biologique en laissant la nouvelle variété protégée libre d’utilisation pour en sélectionner une autre. Ce respect n’est pas total puisque depuis la convention UPOV de 1991 et le règlement européen 2100/94, il interdit ou limite la liberté d’utilisation des semences de ferme. Le brevet ne respecte aucune de ces obligations. Au contraire, il interdit toute réutilisation des semences et des plantes auxquelles sa protection s’applique. Dans le cadre actuel qui n’impose aucune information sur les ressources génétiques utilisées, il est impossible d’appliquer les obligations les accords de Nagoya, notamment de vérifier si les obligations de consentement préalable et de partage des avantages ont été respectées.
Tout enregistrement non accompagné d’une part d’une information précise sur toute forme de propriété industrielle pouvant s’appliquer aux plantes de la variété (COV sur les variétés ou brevet sur les plantes) et sur les ressources phytogénétiques utilisées pour obtenir la nouvelle variété, et d’autre part de preuve du respect des obligations de consentement préalable et de partage des avantages, doit exclure toute limitation de réutilisation libre de la variété pour en sélectionner une autre et la commercialiser, ou pour des semences de ferme [6].
6) Protéger la santé et l’environnement
Les autorités compétentes doivent pouvoir comme aujourd’hui refuser l’enregistrement d’une variété si elle présente un risque pour la santé humaine, animale ou végétale, ou l’environnement. Les autorités nationales doivent pouvoir pour les mêmes raisons refuser la commercialisation de semences et la culture sur leur territoire de semences de variétés inscrites au catalogue européen.
7) Ne pas détourner les règles de sécurité sanitaire pour renforcer l’appropriation des semences par les droits de propriété industrielle
Les lois de protection de la propriété industrielle laissent la charge de la preuve d’éventuelles contrefaçon aux seuls détenteurs du titre de propriété. En l’absence de présomption de contrefaçon, les agriculteurs n’ont aucune obligation d’information des obtenteurs. Le choix des variétés cultivées est en effet protégé par le droit à la confidentialité des informations à caractère personnel et professionnel. Les obligations de traçabilité des semences imposées aux opérateurs pour des raisons de sécurité sanitaire (article 57 du règlement PH) ne doivent pas pouvoir être détournées de leur objectif par les autorités compétentes qui ont accès à ces informations. Elle ne doivent pas pouvoir être transmises aux détenteurs de titre de propriété industrielles. L’absence de garantie de non transmission de ces informations ne pourrait qu’inciter les agriculteurs à ne pas respecter leurs obligations sanitaires.
8) Maintenir un service public d’enregistrement et de contrôle à la portée financière et normative des petits opérateurs
La gestion du catalogue européen est confiée à l’Office Communautaire des Variétés Végétales (OCVV) qui gère les COV. Il pourra inscrire directement des variétés au niveau européen (liste A) et superviser les enregistrement nationaux (liste B). L’inscription au niveau européen ne peut pas prendre en compte les écosystèmes locaux. Elle ne favorisera que les très grosses entreprises qui veulent inonder tout le marché européen avec les mêmes variétés « hors sol », dépendantes des seuls intrants et totalement déconnectées des terroirs. De telles variétés sont contraires aux objectifs de diminution des intrants, d’adaptation locale aux changements climatiques et de biodiversité.
Le « non paper » organise une privatisation totale et définitive des services publics d’enregistrement et de contrôle. Les nouvelles procédures d’auto-contrôle et d’auto-délivrance de certificats sanitaires « sous contrôle officiel » ne sont accessibles qu’aux gros opérateurs qui peuvent amortir sur de grosses quantités de semences commercialisées les exigences d’équipements (parcelles d’essais agréés, laboratoires...), d’embauche de personnel qualifié agréé et de multiplication des analyses. S’ils sont désertés par les gros opérateurs, les services publics ne pourront pas rester en fonction et seront remplacés par les organismes certificateurs mis en place par l’industrie semencière. La dépendance commerciale des organismes certificateurs privés vis à vis de leurs plus gros clients qui garantissent leur survie économique ouvre la porte à toutes les dérives. Les petits opérateurs incapables de répondre aux normes exigées seront tenus à priori pour responsables du moindre incident commercial ou sanitaire, sans aucun recours possible au seul prétexte qu’ils n’auront pas pu mettre en place les mesures de gestion des risques imposées.
L’enregistrement des variétés ne doit pas se faire au niveau européen, mais uniquement au niveau national. La certification doit rester une mission officielle directement réalisée par les autorités compétentes et non par les opérateurs privés. L’enregistrement des variétés et le contrôles de la qualité des semences doivent rester un service public accessible à tous, gratuit pour les variétés et les semences librement reproductibles, obtenues et produites d’une manière qui s’effectue naturellement par multiplication et/ou par recombinaison naturelle, et exemptes de tout titre de propriété industrielle. Les obligations sanitaires, de biosécurité et de traçabilité doivent rester proportionnées à la taille des entreprises auxquelles elles s’appliquent.
Coordination européenne Via Campesina