Proche-Orient ? Personne ne croit une seconde que les incantations du G8
sur un Liban en proie aux représailles militaires d’Israël seront suivies
d’effets.
Energie ? Le jour de l’ouverture du G8, l’Iran a annoncé qu’il refusait de
suspendre l’enrichissement de l’uranium. Suite aux récentes interruptions
dans les livraisons de gaz russe et aux obstacles mis aux sociétés
transnationales pour investir en Russie, le G8 a voulu « promouvoir des
marchés de l’énergie ouverts et transparents », conformément à la Charte
européenne de l’énergie. Mais la Russie a refusé de la ratifier,
protégeant le monopole de Gazprom. Le G8 s’est inquiété du cours élevé du
pétrole, mais le jour de la clôture du G8 a vu le pétrole atteindre son
cours le plus haut à Londres...
Commerce ? Les négociations du cycle de Doha au sein de l’Organisation
mondiale du commerce (OMC) sont en panne. Le G8, accompagné par les
présidents de quelques pays émergents (Chine, Brésil, Inde, Afrique du
Sud, Mexique), a décidé de se donner un délai d’un mois pour trouver les
bases d’un accord qui fait - heureusement - défaut depuis 2001.
Heureusement, car un tel accord serait très néfaste : libéralisation
accrue de l’économie mondiale, ouverture des marchés la plus large
possible, dépouillant les Etats d’un maximum de prérogatives au profit des
entreprises multinationales souvent basées dans des pays du G8. De plus,
les Etats-Unis n’ont pas encore signé l’accord avec la Russie qui
ouvrirait la voie à son adhésion à l’OMC.
Dette ? Le sommet 2005 du G8, à Gleneagles (Ecosse), avait fait grand
bruit par l’annonce d’une initiative « historique » d’annulation de la
dette de certains pays pauvres envers la Banque mondiale, le FMI et la
Banque africaine de développement. Cette mesure ne fait plus illusion
désormais : un an plus tard, la liste des pays concernés comporte
seulement 19 noms (sur 165 pays dits « en développement »). Au final, elle
va déboucher sur une réduction des remboursements de dette inférieure à 50
milliards de dollars sur les 40 prochaines années pour ces 19 pays. Les
sommes libérées chaque année, légèrement supérieures à 1 milliard de
dollars, sont ridicules face aux dépenses militaires mondiales des seuls
pays du G8 (plus de 800 milliards de dollars par an). Surtout cet
allégement est obtenu après un processus de plusieurs années qui permet au
FMI et à la Banque mondiale d’imposer des réformes drastiques :
libéralisation économique, privatisations, réduction des budgets sociaux,
suppression des subventions aux produits de base... Pour les 19 pays
concernés, la situation a continué de se dégrader : les allégements
consentis n’ont même pas réussi à contrecarrer la hausse du prix du
pétrole, durement ressentie par les populations du Sud, même dans certains
pays producteurs de pétrole comme le Congo-Brazzaville.
Sur tous ces points, l’instance profondément illégitime qu’est le G8 a
signé un échec cuisant. Héritier des rapports de force des années 1970, le
G8 a actuellement perdu la main. Mal en point, il avait fait le vide
autour de lui en éloignant et en réprimant les mouvements sociaux qui
voulaient se faire entendre... Mais c’est toute sa logique qui prend l’eau.
De nouveaux acteurs ont émergé, les rapports de force se modifient.
Grâce aux exportations de matières premières dont les cours ont connu une
hausse importante ces deux dernières années, les réserves en monnaies
fortes (dollars, euros notamment) des pays en développement atteignent des
sommets : plus de 2100 milliards de dollars, dont 925 milliards de dollars
pour la seule Chine. C’est très supérieur aux réserves de change des
Etats-Unis et de l’Union européenne réunies. Constitués pour partie de
bons du Trésor des Etats-Unis ou de pays européens, ces réserves peuvent
changer durablement la donne. Aujourd’hui, le Sud est prêteur net pour les
pays développés et aurait tout à fait la possibilité de rompre avec les
diktats du G8. Encore faut-il que les dirigeants du Sud aient la volonté
de s’opposer à ces exigences, ce qui est loin d’être le cas. Seule
l’action des citoyens du Sud peut mener leurs gouvernants dans la bonne
direction.
Posons les bases d’une logique très différente. Les pays en développement
devraient quitter le FMI, la Banque mondiale et l’OMC, les rendant dès
lors caduques. Ces pays pourraient mettre en commun la moitié de leurs
réserves de change pour construire de nouvelles institutions centrées sur
la satisfaction des besoins humains fondamentaux, ce qui n’est pas le cas
des institutions actuelles. La dette extérieure des pays en développement
est plus élevée que jamais : 2800 milliards de dollars . Elle organise la
poursuite d’une domination qui rend impossible toute forme de
développement juste et durable. Les citoyens du Sud ont été forcés de
rembourser plusieurs fois une dette largement odieuse, contractée par des
gouvernements qui ne les ont jamais consultés. Les pays en développement
devraient constituer un front pour le non paiement de la dette.
Il faut vite s’engager sur cette autre voie, sinon le G8 finira par
reprendre la main. Comment ? Une nouvelle crise de la dette, avec des taux
d’intérêt en hausse et des cours des matières premières qui peuvent se
retourner brutalement, comme à la fin des années 1970 ? Une dépendance par
rapport aux céréales exportées par les pays du Nord ? Les grandes sociétés
agro-alimentaires ont réduit délibérément les surfaces destinées aux
céréales pour faire monter les prix. Or, sur recommandation de la Banque
mondiale et du FMI, les pays du Sud ont remplacé progressivement leur
production céréalière par des productions d’exportation (café, cacao,
coton, bananes...). Verra-t-on dans l’avenir des famines programmées à
partir du Nord, alors que les remises de dette concédées d’une main par
les organismes multilatéraux sont reprises de l’autre par les sociétés
agro-exportatrices du Nord ?
Le G8 défend depuis trois décennies un modèle économique structurellement
générateur de dette, de pauvreté, d’inégalités, de corruption, y compris
au Nord. Le FMI ne vient-il pas d’estimer que la France devrait accroître
l’écart entre le salaire minimum et le salaire médian, et que « l’écart
entre les revenus de l’inactivité et le salaire minimum doit être augmenté
pour mieux récompenser le retour au travail » ? C’est maintenant qu’il
faut adresser un carton rouge définitif à ce G8 momentanément hors du jeu
international. Non pour y placer d’autres acteurs du même type, mais pour
modifier radicalement la logique qu’il défend.