Camarades, amies et amis,
Tout d’abord, je vous transmets le salut d’Izquierdia Anticapitalista (IA), la gauche anticapitaliste de l’Etat espagnol. Il est bon et utile que les organisations qui sont à la recherche d’une alternative visant à une rupture avec le capitalisme mondialisé – plus spécifiquement avec le capitalisme européen, dans notre cas – aient l’occasion d’échanger leurs points de vue. J’espère que nous puissions établir des axes de coopération et d’alliance pour une lutte qui dépasse les frontières.
Le but de mon intervention est, en premier lieu, de porter à votre connaissance la caractérisation des politiques du Parti populaire (PP) de Mariano Rajoy dans notre pays. Je me concentrerai avant tout sur le champ économique et sur celui de l’organisation dudit marché du travail. Dans une seconde partie, je poserai un certain nombre de questions ayant trait à la stratégie que je considère avoir un intérêt pour les salarié·e·s européens, en partant des mouvements de résistance qui s’expriment dans le sud de l’Europe. Je vais indiquer quelques points qui concernent à un potentiel programme de transition qui nous permette d’ébranler les structures de l’Union européenne (UE), de rompre avec ses politiques et ses institutions néolibérales et, suivant la dynamique, de construire un nouveau terrain supra-national solidaire et alternatif dans la perspective de développer une rupture avec le capitalisme.
Le caractère de classe du gouvernement du Parti populaire (Partido Popular)
Le caractère de la politique du PP a abouti à un saut qualitatif, y compris à partir d’une gestion néolibérale qui s’est imposée depuis un certain temps. Certes, il y eut un premier échelon qui l’a précédé et qui a eu comme clé de voûte la politique de gouvernement du PSOE (Parti socialiste ouvrier espagnol) depuis mai 2010 [sous le gouvernement de José Luis Rodriguez Zapatero, président du gouvernement du 17 avril 2004 au 21 décembre 2011].
La crise économique et la pression des lobbies de la banque privée ont exigé, sous la menace d’un sauvetage soumis à de sévères conditions de l’économie espagnole, un agenda politique de caractère nouveau. Le gouvernement de Zapatero jusqu’à cette date avait tenté de mettre en œuvre une politique dite d’ouverture en matière de droits civils (mariage homosexuel, droit à l’avortement, etc.) et une option de gestion social-libérale. Il va faire face à un message très clair provenant de Bruxelles et des institutions financières. S’impose et est imposée une politique d’austérité dans les dépenses publiques centrées sur quelques domaines : les retraites, les salaires, les services publics et le droit du travail. Il s’agissait de libérer les ressources nécessaires pour sauver le système bancaire.
Peu de temps auparavant le gouvernement Zapatero manifesta son incapacité à reconnaître et à affronter la crise économique. En 2009, l’année la plus difficile, il développa quelques mesures de politiques économiques de type keynésien à l’échelle locale et au travers de stimuli d’ordre budgétaire. Mais, à partir de mai 2010, toute cette orientation prit fin et il inaugura la mise en place d’une politique d’ajustement extrêmement dure. A ce moment, en 2010, la Banque centrale européenne (BCE) est prise de panique face au risque probable de défaut. Elle exige des garanties concernant, au moins, que soit assuré le financement de la dette souveraine et que les Etats agissent pour la sauvegarde de cette dette. Le système bancaire européen et espagnol se met face au gouvernement, en utilisant ses conseillers de haut niveau. Il insiste pour qu’une initiative prioritaire soit prise en direction du secteur bancaire.
Le gouvernement espagnol va, dès lors, opérer un ensemble de coupes sans précédent. Cela inclut, en 2010, une réforme du Code du travail qui abaisse de manière drastique les indemnités pour licenciement et modifie toute l’architecture de la négociation collective, facilitant la rupture par le patronat des conventions collectives. Cela a conduit à une grève générale [à une journée de grève] convoquée par les syndicats le 29 septembre 2010. S’y ajoute une réforme des retraites qui va réduire ces dernières, en moyenne de 15 à 21% et accroître l’âge légal donnant droit à la retraite à 67 ans, s’appuyant en cela sur un accord avec les deux centrales syndicales (Union générale des travailleurs-UGT et Commissions ouvrières-CCOO). Cet ensemble de mesures d’austérité va se combiner avec une politique généreuse de sauvetage des banques d’une énorme ampleur.
Les protestations citoyennes prennent corps avec la montée d’un nouveau mouvement populaire à partir du 15 mai 2011. Ce dernier naît aussi bien en tant que réaction à la répression policière que sous l’impulsion constructive de divers groupes dits d’indignés, activés par des agressions successives du gouvernement et par une sorte de ras-le-bol de la passivité politique officielle régnante. Les places de quasi toutes les villes sont occupées. S’ouvre une activité intense de discussions sous forme d’assemblées. Un champ libéré de débats se construit, conjointement à des initiatives populaires qui, à partir de ce moment, vont dicter une partie de l’agenda politique du pays. Toute la société se sent interpellée par ce qui a suscité ce mouvement, lequel introduit parmi ses préoccupations : une revitalisation démocratique, l’exigence de paralyser les expulsions de domicile (pour dettes hypothécaires), la recherche de solutions au thème du logement, un audit citoyen de la dette publique et, finalement, la dénonciation du système politique en vigueur et du règne des banquiers.
Une réforme constitutionnelle entre complices
Le match est gagné par la banque. Elle impose au gouvernement du PSOE, avec l’appui solide du PP, entre autres, une réforme de la Constitution en août 2011. Elle va établir une loi de première importance, une sorte de Grande Charte (Carta Magna), qui donne la priorité absolue aux paiements de la dette publique sur tout autre domaine. Les deux principaux Partis du régime nés au cours de la Transition politique de 1977 vont serrer leurs rangs. Et prendre cette décision sans aucune consultation populaire en complicité pleine et entière avec les oligarchies financières espagnoles. Les partis consolident de la sorte leur statut subalterne au pouvoir économique européen et à ces institutions ainsi qu’aux grandes banques privées espagnoles. A la fin de 2012, 9,3% du budget public de l’Etat espagnol est destiné uniquement au paiement des intérêts de la dette publique, soit cinq fois plus que les dépenses publiques conjointes de l’éducation et de la santé. Par le biais d’une politique de socialisation des énormes dettes des entreprises privées, la dette publique en fin 2012 atteint 84% du PIB, alors qu’elle se situait à peine à 37% en 2007.
Les partis du régime voulant éviter un sauvetage humiliant, qui ferait la démonstration de leurs faiblesses, ont décidé de sacraliser une politique qui liquidait la souveraineté populaire en matière de politique économique. Il était clair que serait adoptée, dès lors, une décision d’approfondir la dévaluation interne du monde du travail [au sens de réduction de l’ensemble des composantes du salaire, de péjoration des conditions de travail], de démanteler les politiques sociales, de privatiser les services publics essentiels et d’affaiblir la reconnaissance institutionnelle des organisations syndicales.
Le discrédit du PSOE et le manque d’une alternative politique de gauche crédible s’exprimaient dans un mouvement d’alternance politique [entre PP et PSOE] lors des diverses élections législatives générales. Le 21 décembre 2011, le PP obtient la majorité absolue dans le parlement et Mariano Rajoy est élu président. Le gouvernement conservateur détient, à partir de ce moment, un pouvoir très important à tous les échelons de l’administration publique.
Dans son programme il avait promis l’emploi et la sortie de la crise, sans sauver les banques, sans toucher les retraites, sans réduire les allocations de chômage, sans porter atteinte à l’éducation et à la santé publique. Rien de cela n’a été accompli et n’a été respecté.
L’orientation du PP consista à blinder les privilèges de la fraction bourgeoise la plus connectée à la finance, au secteur de l’énergie et aux télécommunications. Le plan du PP, en somme, a consisté à appliquer une politique d’austérité drastique et à mettre de l’ordre dans le système financier, en étant plus cohérent dans ce domaine que le PSOE. Cela a abouti à imposer des sacrifices non seulement aux masses laborieuses, mais à une grande partie de son électorat traditionnel qui inclut différents secteurs desdites classes moyennes et des couches petites-bourgeoises traditionnelles.
Sauver Bankia avec ses conséquences
Le système financier espagnol était fortement exposé aux actifs toxiques des entreprises très endettées, ce qui découlait entre autres de la crise immobilière et donc de celle du crédit hypothécaire. Le système bancaire surnageait au milieu d’une crise de confiance du sytème des prêts interbancaires [les prêts interbancaires sont des opérations de prêt de liquidités à très court terme réalisées sur le marché interbancaire entre les différentes banques et parfois, également, avec la banque centrale].
La grande banque espagnole a assumé, complice de l’opération, les règles imposées de recapitalisation des banques et d’établissement d’un taux de fonds propres, cela pour deux raisons. D’une part, parce que, de la sorte, elle pouvait parvenir à accéder aux marchés financiers internationaux et, d’autre part, parce que les banques survivantes pourraient s’approprier des parts de marché des entités incapables d’appliquer ces règles.
Les caisses d’épargne ne pouvaient faire face aux conditions imposées. Ce fut une grande possibilité pour les grandes banques espagnoles (BBVA, Banco de Santander, etc.) de s’approprier les entités survivantes dans un processus massif de concentration bancaire au sein de l’Espagne. Elles purent acquérir aussi une part du marché que leur a été cédé par les entités défaillantes. Il fallait, pour conduire à bien l’opération, mettre à bas le statut semi-public de la moitié du système financier espagnol, soit les caisses d’épargne.
Le début de la privatisation de ces dernières commence en 2010 sous le règne du PSOE. La majorité d’entre elles ont été fusionnées. On les a abondées en fonds publics et assaini le plus possible ; puis le club des grandes banques espagnoles les a acquis pour un prix dérisoire. L’Etat espagnol a donc nationalisé une grande partie du système des caisses d’épargne et bien que disposant de 16% du système financier, sous la forme d’une banque publique totalement non opérationnelle pour stimuler le crédit, il a conduit ce secteur à la privatisation après avoir rééquilibré les bilans, opéré des restructurations et des licenciements dans les divers départements et assuré, dès lors, les conditions les meilleures pour les futurs acheteurs.
De l’ensemble des caisses d’épargne [qui avaient une place de relief dans le crédit hypothécaire], il ne resta, pour l’essentiel, que deux grandes banques : Caixa Bank et Bankia. Dans le pays basque [Euskadi], d’autres ont survécu car elles étaient moins impliquées dans la crise immobilière. Or, en 2011, Bankia, sous la direction de Rodrigo Rato, lui-même lié étroitement au PP fait faillite et est nationalisée. Le trou est d’une telle dimension qu’il est impossible pour le gouvernement d’assurer son sauvetage. Il fallait réunir 20 milliards d’euros pour cette seule entité bancaire. De plus, Bankia n’est que la pointe de l’iceberg d’un système bancaire zombie [un mort-vivant dans le culte vaudou]. A la fin de 2011, l’ensemble des capitaux ayant servi au sauvetage des banques est estimé à quelque 63 milliards d’euros. A ce moment, le nouveau gouvernement du PP demande un sauvetage partiel à l’UE sous la forme d’un crédit de 100 milliards d’euros (soit l’équivalent de 10% du PIB) pour faire face à cette situation et à d’autres faillites qui s’annonçaient. Immédiatement se met en œuvre un nouveau cycle de coupes budgétaires, bien supérieures que celles appliquées par le PSOE.
Le noyau dur des contre-réformes du PP
A partir de ce moment, diverses initiatives ont été prises, toutes liées au système financier.
• Une garantie de 100 milliards d’euros est avancée en faveur du système bancaire. La banque espagnole est placée sous l’exigence d’un remboursement de ses dettes qui, en date de 2011, se situent à hauteur de 90 milliards d’euros. Si elle ne peut pas y faire face, l’Etat le fera au moyen du FROB (Fondo de Rescate y Ordenacion Bancaria) [fonds qui doit permettre un sauvetage et une restructuration du système bancaire ; il a été mis en place dès juin 2009].
• On a créé une banque de défaisance [bad bank en anglais, banco malo en espagnol] appelée SAREB (Sociedad de Gestion de Activos procedentes de la Reestructuracion Bancaria, société anonyme de gestion) qui rassemblera, aux frais du budget public, les crédits douteux, les biens immobiliers et les terrains invendables par les grandes banques. Un prêt a été concédé par Bruxelles ; il semble que le capital privé a très peu participé à la création de la SAREB. La bad bank devra provisionner les pertes partielles issues de la valeur des biens immobiliers et des prêts qui n’ont pas été honorés. La bad bank est donc une initiative de socialisation des pertes car, en dernière instance, les contribuables devront la financer par leurs impôts.
Afin de libérer des ressources budgétaires, le gouvernement va procéder à une série de coupes qui équivalent au montant utilisé pour le sauvetage des banques. Ces coupes se concentrent sur :
• Des réductions drastiques dans l’éducation et la santé. Au cours de la seconde moitié de l’année, les allocations de chômage sont fortement réduites et, à la fin de l’année, est mis fin à la loi assurant l’ajustement du montant des retraites à l’inflation ; les retraites vont augmenter de 1% lorsque l’inflation, en fin 2012, atteint 2,9%.
• Dans l’emploi public, les salaires des fonctionnaires sont bloqués et à la fin de l’année sont éliminées les primes de fin d’année. Le temps de travail est allongé et le volume de l’emploi est bloqué. La privatisation des dernières entreprises publiques existantes est dans les tiroirs.
• Les diverses allocations sociales pour les jeunes et pour les personnes dépendantes sont soit bloquées, soit supprimées.
• Le salaire minimum interprofessionnel est figé.
• L’allongement du congé paternité imposé par l’UE est repoussé. Les coupes ne font que s’accroître au cours de l’année, frappant des investissements décisifs dans les infrastructures.
• Les subventions aux partis politiques sont réduites de 20% ; il en va de même pour ce qui est des syndicats et des organisations patronales. Les syndicats, déjà touchés par la chute de diverses ressources (cogestion de la formation professionnelle, nombre d’affiliés, autres types de subventions, etc.), ont été fortement frappés.
Une réforme des impôts est mise en place. On peut la résumer ainsi :
• Un accroissement dit momentané de l’impôt sur le revenu. Il a formellement une caractéristique progressive. La hausse de l’IRPF (impôt sur le revenu des personnes physiques) touchera avant tout lesdites classes moyennes, qui connaissent un processus de régression dans la structure sociale et qui fourniront les deux tiers des recettes de cette augmentation de l’imposition. Les revenus élevés sont habitués à éviter, sous diverses formes, ce type d’impôts. Cette hausse des impôts est destinée en grande partie au sauvetage des banques et au paiement de la dette.
• La TVA a été augmentée depuis l’été 2012 : le taux est de 21% et de 10% pour certains biens et services de base.
• Une amnistie fiscale est édictée pour les capitaux rapatriés, en provenance de paradis fiscaux ou qui, simplement, n’ont pas été déclarés, avec une taxe de seulement 10%. Cette mesure non seulement récompense les spécialistes de l’évasion fiscale mais est aussi inefficace car elle n’a permis de récupérer que la moitié des sommes prévues.
Les réformes qui ont stimulé le plus de résistances concernent celles ayant trait à la santé et à l’éducation. Une réduction de financements équivalente à la somme qui a permis le sauvetage de Bankia a été imposée à l’éducation et à la santé publiques. De plus, en Catalogne et dans la région de Madrid, un processus vaste de privatisations de ces services essentiels est en marche.
Cela a impulsé une série de mobilisations sectorielles et citoyennes qui est connue dans l’Etat espagnol sous le nom de Mareas [marées]. Il y a la marée verte (éducation), la marée blanche (santé), la marée noire (mobilisation des mineurs), la marée rouge (pour le droit du travail), etc. Pour la première fois depuis longtemps, les salarié·e·s du secteur public ont été très actifs. Ils ont subi des pertes successives et substantielles de leurs salaires ainsi que de leurs diverses primes, pertes qui, en termes réels, se situent à hauteur de 20%. Dans ce contexte, surgit sur la scène sociale différentes mobilisations de travailleurs dont la plus marquante a été celle des mineurs en 2012 et les deux grèves générales [journées de grève] de la même année, convoquées par les syndicats face à la réforme du code du travail et aux coupes dans les dépenses sociales.
Ces mobilisations, largement suivies, ont été soutenues par des manifestations massives, réunissant quelque 10 millions de personnes. Elles ont pris leur essor suite à de nombreuses pressions sociales et initiatives, toujours plus audacieuses, ayant leur origine dans le mouvement du 15 M [du 15 mai 2011] et dans le mouvement pour un processus constituant, au même titre que le mouvement des militant·e·s du 25 septembre [le terme de mouvement du 25 S tire son origine, en 2010, de l’occupation de la banque de crédit espagnol sur la place Catalunya ; il trouva un prolongement en 2012 avec l’objectif d’occuper le Congrès]. Ces mobilisations poussèrent les syndicats majoritaires (CCOO et UGT), face au risque d’être complètement débordés, à convoquer une grève générale, s’inscrivant dans une perspective européenne, le 14 novembre 2012. La décision des deux grandes centrales syndicales repose sur leur tentative de maintenir ou récupérer leur légitimité perdue, suite à la trajectoire de leurs comportements passifs et collaborationnistes [partenariat social], ainsi qu’à la suite de leurs différents calculs électoralistes.
Un objectif : affaiblir encore plus la capacité mobilisatrice du salariat
Les importantes coupes effectuées dans les services publics fondamentaux et les privatisations ne sont pas les uniques chapitres de la gestion gouvernementale du PP. Ce dernier aborde la crise en tant que possibilité pour les classes dominantes de changer la structure sociale, économique et desdits rapports de travail. Elles visent à dégrader tout ce qui reste du système de protection sociale pour consolider les privilèges d’un capital rentier, augmenter la plus-value absolue, restaurer le taux de profit, quitte à provoquer une dépression généralisée. Pour ces dernières, conjointement aux coupes sociales et au sauvetage des banques, la clé de voûte de leurs politiques se situe dans la réforme du Code du travail de février 2012, la plus radicale depuis la Transition politique [la période de transition du franquisme à la démocratie dite post-franquiste].
Les conséquences de la (contre-)réforme du Code du travail et des usages ne font que commencer. Les plus graves s’annoncent et ses effets auront un impact durable. Cette contre-réforme a mis en pièces différents droits et garanties des salarié·e·s et a marginalisé le rôle et l’influence – en termes de négociations – des syndicats dans le cadre des relations industrielles établies précédemment. D’un côté, ces contre-réformes facilitent et rendent moins chères le licenciement jusqu’à des niveaux qui n’ont jamais été vus depuis le début du XXe siècle. La voie pour les politiques d’ajustement a pris des formes que l’on pouvait escompter. L’impact de la montée du chômage ne s’est pas fait attendre, bien que le point de départ se soit situé déjà à un niveau record. En 2012, alors que le PIB chutait de 1,3%, la population salariée se réduisait de 2,1%, autrement dit 850’000 emplois étaient détruits. L’essor monstrueux du chômage fait qu’il se situe à un taux de 26% de la population active, avec des taux scandaleux parmi la jeunesse, parmi les immigré·e·s et les femmes.
Il n’y a aucun doute que les classes dirigeantes ont stimulé l’objectif d’une dévaluation interne des droits et des salaires directs et indirects au moyen de cette politique dite de l’emploi. Un de ses buts consiste à créer les conditions pour abaisser la capacité contractuelle de l’ensemble de la force de travail. En 2012, nous avons assisté à une chute des salaires, cela sous l’effet de l’explosion du chômage et de la crainte très forte parmi ceux et celles qui conservaient leur emploi. De plus, les initiatives patronales pour mettre fin à des accords contractuels ont été sans précédent, au même titre que des licenciements impitoyables, des baisses de salaires brutales et un durcissement des conditions de travail. Le salaire négocié en 2012 a augmenté en moyenne de 1,3% alors que l’inflation atteignait 2,9% ; ce qui équivaut à une chute du salaire réel de 1,6%. Cette réduction a été beaucoup plus importante là où il n’était pas possible d’obtenir des accords contractuels. La part salariale dans le revenu national a passé de 54% en 2008 à 50,4% en 2012 avec un clair transfert des revenus en faveur du capital.
En outre, la nouvelle législation admet la possibilité de licenciements collectifs suite à la chute durant trois trimestres des ventes ou suite à des pertes ou même à des prévisions de pertes. L’employeur détient une boîte à outils pour des licenciements collectifs avec des indemnisations très petites. Tout cela ne constitue pas l’essentiel des changements. Tout d’abord, selon un schéma de relations industrielles de type anglo-saxon, ce qui domine devient la négociation à l’échelle de chaque entreprise. Ce qui rompt l’efficacité des conventions collectives par branche. Si cela ne suffisait pas, est perdu aussi le droit de prolongation des conventions collectives. Jusqu’il y a peu, lorsqu’une convention arrivait à échéance, avant que la négociation suivante ait abouti, l’ancienne restait en vigueur. Ce n’est plus le cas. Si, à une année de la fin de la validité d’une convention, au cas où la négociation échoue, la convention précédente tombe en désuétude. Dès lors, le taux de couverture des conventions collectives va connaître une chute à partir de cette année 2013.
En définitive, cela entraînera une sorte d’atomisation de la négociation collective et, avec cela, un accroissement du pouvoir patronal à des niveaux comparables à ceux qui étaient à l’ordre du jour au XIXe siècle.
Dans tous les cas la politique du gouvernement du PP a été un échec en termes sociaux et de conditions de travail. La détérioration des conditions de vie avance à pas de géant pour la majorité de la population laborieuse. Et les objectifs proclamés n’ont même pas été atteints. Ainsi, le déficit public a augmenté à hauteur de 10,2% du PIB. Malgré la défense et les privilèges en faveur des employeurs, la rentabilité a connu une érosion dans un contexte de récession, quand bien même cette érosion est moindre pour ce qui a trait aux grandes entreprises. Il y a déjà 6 millions de chômeurs/euses, 1,7 million de familles dont tous les membres sont au chômage, 2 millions de personnes sans emploi qui ne touchent aucune allocation, ce qui se traduit, entre autres, par une montée dramatique du nombre de personnes expulsées de leurs logements, ce qui conduit à de nombreux suicides.
Les journées de grève générale et les expressions multiples de résistance citoyenne n’ont pas abouti à modifier l’agenda des contre-réformes législatives du gouvernement. Ce dernier a poursuivi son orientation de haine sourde et de répression policière. Toutefois la mobilisation a abouti à mettre au pied du mur le gouvernement et à interroger sa légitimité sociale. Les cas de corruptions multiples ont éclaté au grand jour et cela peut conduire à des démissions de la part du gouvernement.
Nécessité d’une politique internationaliste alternative développée par une gauche anticapitaliste
Une politique alternative doit articuler une dimension nationale et internationale. Mais elle doit mettre l’accent sur une donnée : actuellement toute stratégie anticapitaliste doit attribuer une priorité à une option internationaliste afin d’éviter la mise en opposition des classes laborieuses des différents pays.
A l’échelle nationale, il est important d’appuyer et d’impulser une réforme fiscale progressiste, la nationalisation sans indemnisation de toutes les banques privées mêlées aux origines de la crise, la création d’une banque publique sous contrôle social, l’établissement de moyens de contrôle des mouvements de capitaux et la stimulation d’une politique de redistribution qui aboutisse à la création d’emplois socialement utiles ainsi qu’une augmentation des activités liées à la prise en charge et au bien-être des personnes, tout en privilégiant des « biens communs » tels que la nature, l’éducation, la santé, le logement, les retraites, etc.
Ces revendications nous les partageons avec les réformistes de gauche. Mais, nous avons de nombreuses différences avec eux. La première concerne ce qui est nécessaire pour les faire aboutir car ils sont disposés à soumettre leurs politiques à des pactes institutionnels avec le social-libéralisme. Nous nous opposons à cette option car aucun compromis n’est possible sur l’indépendance de classe et les politiques anti-austérité.
La deuxième, nous sommes favorables à un type de politiques qui permettent la participation des travailleurs et de leurs alliés « venant d’en bas » et nous nous efforçons de constituer des organes populaires de contrôle démocratique qui garantissent l’application de ce programme de transformation.
La troisième est la suivante : nous affrontons de manière différente les thèmes de la dette et des ajustements.
La quatrième a trait au fait que les réformistes pensent que l’Union européenne se délite pour des raisons de conception ou de chapitres manquants à sa Constitution. Ils pensent que, parfois, on peut gérer des « ajustements de gauche », constituer une banque publique à partir de ce qui reste des banques nationalisées faillies, qu’il n’y a qu’à stimuler la croissance afin de pouvoir payer la dette et qu’il faut finalement proposer une politique européenne.
Nous pensons qu’il ne faut pas payer la dette illégitime, que le processus de désendettement doit être à la charge de ceux d’en haut, que le système financier doit être fondamentalement public et que le productivisme est incompatible avec l’écologie. Et, enfin, que cette Europe est celle du Capital et qu’elle est configurée en faveur des classes dominantes.
En même temps nous devons éviter le sectarisme et savoir intelligemment être unitaire dans les luttes avec ces camarades. On peut parcourir un chemin ensemble et, en même temps, les pousser à surmonter leurs contradictions ; sans cela l’ampleur de nos initiatives resterait bloquée.
De l’autre côté, nous devons continuer à discuter avec ces camarades qui se laissent attirer par le schéma d’une gauche radicale qui s’exprime en termes nationalistes ou d’une autre fraction qui se pense en termes du tout ou rien. Ces camarades considèrent aussi qu’il est décisif de pousser à ses ultimes conséquences le programme susmentionné et qu’il faut élargir leurs réflexions à l’échelle internationale, tout en pensant que les peuples doivent restaurer leurs souverainetés nationales et s’engager sur un chemin qui évite les desseins du capitalisme mondialisé. Dans ce contexte, on rencontre des forces militantes qui mettent à l’ordre du jour de leurs agendas politiques, de manière prioritaire, la sortie unilatérale de l’euro et la rupture avec l’UE.
Nous considérons que la rupture avec ce modèle de l’Europe est clé pour une alternative anticapitaliste. Mais, en même temps, nous pensons que, en affirmant que le Système euro est néfaste pour les classes populaires et pour les pays du sud de l’Europe et que si la sortie de l’euro ne peut être considérée comme un tabou, cela ne constitue pas un thème qu’il faut aborder de manière isolée et qu’il existe d’autres questions qui doivent être traitées en priorité.
Les propositions de réformes avancées antérieurement peuvent être concrétisées mais, sans aucun doute, elles vont se heurter au mur du contexte international et des règles du capitalisme mondialisé. Les politiques progressistes dans un seul pays vont s’affronter à diverses contre-attaques (fuite de capitaux, isolement financier international, blocus commercial, appauvrissement, etc.). Face auxquelles il ne s’agit pas seulement d’être audacieux, sinon d’adopter une perspective plus large qui rend viable une transformation socialiste.
Les réformes qui valent la peine, placées dans un horizon de transformation, n’auront pas une dimension suffisante sans inclure quelques éléments fondamentaux tels que : pouvoir compter sur un soutien social ample, satisfaire les aspirations démocratiques de la majorité, démontrer les contradictions du système en vigueur pour pouvoir les dépasser et, avant-tout, dans la situation présente tisser des alliances internationales suffisantes afin de pouvoir imposer ses réformes dans la pratique.
En premier lieu cela suppose de s’affronter au processus de transfert des immenses dettes publiques en dettes souveraines et de faire face aux privilèges fiscaux dont profitent les revenus du Capital (paradis fiscaux, amnisties, modèles d’imposition régressifs, etc.). De plus, les secteurs d’activité stratégiques de l’économie ne peuvent rester en mains privées à cause de leur soumission à la logique de la rentabilité ; cela concerne le noyau central du système bancaire, l’énergie, les transports, les services essentiels ayant trait au « bien-être social ». Tout cela doit être placé dans les mains publiques, c’est-à-dire sous un contrôle social et des salarié·e·s.
En second, il faut s’affronter aux politiques d’austérité dans la mesure où elles impliquent une concentration des revenus et de la richesse ainsi que la destruction des biens communs. La seule logique d’austérité que l’on admet se réfère à la nécessité d’un changement du modèle productif dans la perspective qu’il soit écologiquement soutenable, fondé sur des énergies renouvelables, accompagné d’une réduction des niveaux de consommation de matières premières et capables de satisfaire les besoins sociaux.
Un programme dont pourrait s’emparer une majorité sociale
Sont en voie de formation de nouvelles majorités sociales contre les coupes dans les budgets sociaux, contre le chômage, contre la privatisation, contre la détérioration des biens publics à l’échelle internationale. La montée des mobilisations dans le sud de l’Europe, ainsi que dans les pays arabes, ou la présence de gouvernements plus sensibles aux nécessités populaires en Amérique latine, dessinent une possibilité historique d’ouvrir une nouvelle voie. Dans le sud de l’Europe existe une majorité sociale qui, face au drame qu’elle vit, pourrait s’emparer d’un programme dont les principaux chapitres seraient :
• Le rejet des mémorandums d’austérité, particulièrement les conditions qui y sont attachées. Exiger, au contraire, le développement de politiques assurant le transfert des revenus et des investissements vers les territoires et la population les plus défavorisés, en construisant une division internationale du travail complémentaire et coopérative.
• Le refus des divers Pactes pour l’austérité qui s’enracinent depuis Maastricht [entré en vigueur en novembre 1993].
• Proclamer une déclaration de non-paiement qui pourrait s’inspirer des accords établis en 1953 avec l’Allemagne, en développant des audits qui déterminent la part illégitime de la dette afin de procéder à sa restructuration et à son annulation. Les banques créancières et les capitalistes en général sont responsables et ils n’ont qu’à payer pour ce qu’ils ont fait.
• Entre les pays qui convergent en direction de cette politique alternative, il faut formuler des stratégies de solidarité et d’intégration égalitaire et redistributive en matière financière, commerciale et d’investissements. Cela pourra ouvrir la porte à la construction d’une nouvelle zone économique supra-nationale avec le plus grand nombre de pays possible.
• Exiger une orientation et une configuration institutionnelle en Europe de caractère alternatif avec : une nouvelle banque centrale favorable à la création d’emplois et compétente pour réguler le système financier européen, avec un budget public européen apte à créer un secteur public d’amples services sociaux, avec l’établissement d’un contrôle adéquat des flux de capitaux qui rendent efficace un régime d’imposition progressiste ; avec la mise en place d’une harmonisation des lois et codes concernant le travail, etc. Il s’agit de construire cette perspective entre les secteurs de salarié·e·s qui s’affirment en accord avec une telle option.
Selon moi, la sortie de l’euro et la mise en place de mesures protectionnistes ne devraient pas être notre orientation. Cela pourrait l’être seulement comme une arme de négociation et, si cela avait lieu, ce serait un pas en arrière à cause d’une expulsion de la zone euro, qui devrait être de suite suivi de la tentative acharnée d’accomplir deux pas en avant et cela en mettant l’accent sur une construction internationaliste alternative.
La sortie de l’euro nous donnerait un instrument économique souverain, mais nous mettrait dans une voie de dévaluation compétitive qui non seulement appauvrirait les peuples du sud, mais aussi placerait les un·e·s contre les autres les travailleuses et travailleurs des divers pays, cela dans la foulée de la dévaluation compétitive. L’alternative sera alors internationaliste ou ne sera pas. Ce qui implique dès aujourd’hui d’établir des relations étroites avec les secteurs les plus combatifs du prolétariat d’Allemagne et d’autres pays du nord de l’Europe.
Daniel Albarracin, Athènes, 1er mars 2013