Chávez a été réélu le 7 octobre 2012 avec plus de 55 % des voix. Mais le cancer qui le rongeait a vite repris le dessus. Resté en soins intensifs, il meurt le 5 mars 2013. Des milliers de personnes se sont rassemblées dans les rues de tout le pays pour pleurer sa mort. Les chefs d’état du continent accourent à Caracas pour saluer sa mémoire. Mais derrière la douleur qui secoue le pays et une bonne partie du continent latino-américain, commence à se jouer une partition délicate.
La succession est lancée et l’omniprésence de Chávez pendant ses 14 années de présidence n’a pas permis de la préparer. Personne dans la direction du PSUV [1] ou au gouvernement n’a jamais osé critiquer Chávez. Dès lors, dans quel sens va aller la politique gouvernementale ?
C’est toute l’ambigüité d’un processus construit par en haut. Car depuis son arrivée au pouvoir en 1998, Chávez a instauré un régime politique aux multiples contradictions qui pourraient miner l’avenir de la « révolution bolivarienne ».
Les contradictions du chavisme sur le terrain économique
La Constitution élaborée en 1999 reconnait l’entreprise privée au cœur du développement économique. En même temps, l’État intègre certains secteurs économiques essentiels (pétrole, électricité, …) dans la sphère publique. Il n’y a pas de remise en cause effective du mode de développement capitaliste.
De plus, le Venezuela reste avant tout une économie de rente pétrolière. Les revenus du pétrole servent à financer les mesures sociales en direction des pauvres, mais il n’y a pas de programme d’ensemble de développement économique. Plus grave, au nom d’une politique extractiviste [2], la question écologique est délibérément ignorée. Au bout de 14 années de pouvoir chaviste, le bilan économique reste contrasté. Le secteur public est affaibli et représente 30,9 % du PIB en 2011 contre 34,8 % en 1998.
Sur le terrain social
Les mesures sociales qui ont sorti de la pauvreté des millions de vénézuéliens·ne·s semblent figées depuis plusieurs années. Il existe toujours un système privé de santé qui concurrence le secteur public. Quant à la violence urbaine qui fait de Caracas une des villes les plus violentes au monde, la réponse reste policière. Or, la plupart des 123 polices locales et les 5 polices nationales sont totalement corrompues et le gouvernement a attendu 2010 pour lancer sa réforme de la police, non pas en tentant d’éradiquer les « branches pourries » mais en construisant à côté une police nationale bolivarienne. Pourtant, la clef de résolution de cette question se trouve dans l’accès à l’emploi. Au Venezuela, près de la moitié des personnes en âge de travailler sont extérieures au secteur formel (salariat, associés de coopératives, …) et se débrouillent pour vivre.
Sur le terrain institutionnel
Le gouvernement a apporté de nouveaux espaces démocratiques dans la Constitution et dans les lois ultérieures. Il tente d’établir une démocratie élargie, où le peuple s’exprime toujours plus. C’est le cas avec les conseils communaux créés en parallèle des municipalités. Ces conseils regroupent les familles de chaque quartier qui établissent leurs revendications. Puis ces demandes sont examinées dans des coordinations plus larges. Ensuite, le financement est retenu ou non suivant des critères dont la transparence n’est pas toujours évidente. Mais, la question de l’élargissement des compétences de ce pouvoir populaire est loin d’être résolue. C’est largement une conséquence de la personnalisation du pouvoir autour de Chávez qui a limité tout espace de débat critique.
Sur le terrain politique
Le pouvoir entretient des rapports souvent conflictuels avec le mouvement social. Il vante sa nécessaire autonomie, mais il l’utilise comme machine électorale. Avec les mouvements paysan, indigène et syndical, il tente d’aspirer leurs dirigeants dans les institutions en espérant calmer l’ardeur revendicative de ces mouvements. Mais en cas d’échec, il les marginalise. Chávez a facilité la création d’une centrale syndicale totalement acquise à sa cause. Ce qui lui a permis d’écarter plusieurs revendications portées par l’UNETE [3], comme celle du contrôle ouvrier, tout en apportant des améliorations très importantes aux conditions de travail et de vie des salariés.
Une nouvelle période pour le peuple vénézuélien
Si les avancées sociales et politiques sont indéniables, l’entêtement de Chávez à ménager toutes les classes sociales et à ne pas affronter le cœur du problème, à savoir les rapports de production capitalistes, réduit son discours sur le socialisme à un vœu pieux.
Cette pratique de l’entre-deux est porteuse de difficultés et les risques d’un retour en arrière sont réels. Chávez a concentré les pouvoirs et ainsi reporté le danger de l’éclatement du noyau dirigeant. Mais cela limite aussi l’émergence d’une relève politique.
D’autant qu’au sein du régime se développe une corruption qui nourrit une bolibourgeoisie ? [4] pour qui la révolution n’est qu’une occasion de réaliser de juteuses affaires. Cette couche sociale porte en germe toutes les possibilités de trahisons à venir, surtout depuis la disparition de Chávez.
Avant son décès, via la presse, dans les syndicats, au sein des lieux de débats de la gauche chaviste, se sont multipliées les interrogations et les recommandations pour changer le cours des choses. Entre la bolibourgeoisie qui sera disponible pour se rapprocher de la droite et les milliers de militants qui veulent que le processus continue et s’approfondisse, il y a une course de vitesse.
Elle ne se résoudra positivement qu’avec l’intervention des classes populaires. Cela passe par un réel transfert de pouvoir de décision vers les mouvements sociaux.
Patrick Guillaudat