Toujours opposés à cette guerre
Si l’on croit les discours officiels, la guerre au Mali toucherait presque à sa fin, même si la date de départ des troupes françaises, désormais annoncée, est entourée d’un grand flou artistique (parfois « avril », parfois « avant fin juillet »…).Même si ce calendrier, encore vague, est respecté, les problèmes politiques, servant de prétextes à l’intervention militaire, n’auront pas été résolus. Les djihadistes, qui se sont au départ enfui des villes maliennes, souvent sans combattre, se sont ensuite retirés vers le désert où il y a eu des combats. Au nord-est de Kidal, une partie de leurs « forteresses » naturelles dans le Sahara semble avoir été repérée et détruite. Mais ces groupes se préparent à une stratégie, conçue à moyen ou long terme, consistant à se présenter comme une guérilla de « résistants à l’envahisseur ».
Leur modèle en la matière sont les talibans en Afghanistan. Cependant, il est possible que la stratégie de ces groupes échoue, puisque la comparaison avec l’Afghanistan ne tient pas. L’Afghanistan avait été marqué par 25 ans de guerre permanente avant l’arrivée des talibans, en 1994-1996 : d’abord contre l’URSS, ensuite entre les différents « seigneurs de guerre » réactionnaires qui avaient pris le contrôle du pays sur la période 1989-1992, déjà au nom de la Charia. Ainsi les talibans, malgré leur violence, n’étaient pas perçus – par une partie de la population – comme tellement pires que ce qu’existait déjà. Au Mali, la situation est bien différente.
Néocolonialisme
Quant à la France, ses élites croient avoir re-légitimé un rôle politique, économique et militaire de premier plan dans leur « précarré » postcolonial. Même si elles sont souvent soulagées par le départ des djihadistes, les populations ne seront cependant pas dupes sur les intentions et intérêts néocoloniaux du pouvoir français. Pendant la première phase de l’intervention au Mali, le 23 janvier, le ministère français de la Défense avait donné son feu vert à une opération inédite : des « Forces spéciales » de l’armée française étaient déployées pour protéger directement la sécurité des mines d’uranium d’Areva, au Niger voisin. « Du jamais vu », commentait alors un éditorial du journal Le Point (pourtant loin d’être anticapitaliste), qui ajoutait : « Jusqu’à présent, les forces spéciales françaises ne participaient pas directement à la sécurité d’intérêts privés. » Tout un symbole !
L’une des leçons de la guerre au Mali est que des expéditions militaires peuvent engendrer (ou renforcer) les causes de futures guerres dont les peuples feront encore les frais. De nombreux observateurs et observatrices pointent ainsi du doigt le lien entre l’intervention franco-britannique en Libye – commencée en mars 2011 – et les événements actuels au Mali.
Les interventions militaires françaises n’ont jamais contribué à régler les problèmes. Pour les seuls intérêts de la France et jamais pour ceux des populations, les prétendus pompiers sont bel et bien de sacrés pyromanes.
Une France sans intérêt au Mali ?
Lorsque le Président Hollande déclarait que la France n’a pas d’intérêt économique majeur au Mali, afin de justifier son intervention militaire, c’est un peu vrai et beaucoup faux.
Les relations économiques entre le Mali et la France restent faibles même si, au moment des privatisations imposées par les politiques d’ajustements structurels dans les années 80, les multinationales se sont emparées d’une grande partie des secteurs privatisés, comme la distribution de l’énergie, le textile, les télécommunications, l’agroalimentaire, avec une volonté de profits immédiats. En 2010, la France était le quatrième fournisseur du Mali, avec 280 millions d’euros, et importait essentiellement du coton et de l’or de ce pays pour 5,8 millions d’euros. La France reste le 111e investisseur direct au Mali.
Et l’uranium Areva…
Mais ce qui est décisif pour la France, ce sont les mines d’uranium situées à proximité du nord du Mali, mines qui sont exploitées par Areva et ont été à plusieurs reprises l’objet d’attaques des djihadistes avec des prises d’otages.
Le Niger approvisionne en uranium, à hauteur de 30 à 40 %, Areva pour des prix défiant toute concurrence. Ce même uranium fait tourner un tiers des centrales nucléaires en France, dont l’électricité est produite pour les trois quart par l’énergie nucléaire.
On voit que pour Paris la question des mines d’uranium reste décisive d’autant qu’Areva vient de mettre la main sur la mine d’Imouraren, une des plus grandes du monde, avec à la clef des investissements de plus d’un milliard d’euros.
Les enjeux sont donc colossaux en termes financiers, mais pas seulement. La réaffirmation de la France dans cette région reste décisive pour le contrôle d’un pays comme le Niger, garantie de l’indépendance énergétique de la France qui a décidé de développer son activité industrielle du nucléaire à travers le monde.
L’autre élément important, qui explique l’intervention militaire de la France au Mali, est son rôle qui ne se dément pas et qui est reconnu par ses pairs, d’assurer la stabilisation des pays africains francophones pour permettre aux multinationales de continuer à exploiter les richesses minières et d’accaparer les terres arables.
Le potentiel minier du Mali semble prometteur, en tout cas pour certains spécialistes. S’il n’est pas la cause de l’intervention militaire, il reste cependant présent dans toutes les têtes, notamment pour le dialogue politique qui devrait définir les futures modalités d’organisation du pays. Il est probable que Paris tentera alors d’avancer ses pions…
Chronologie des événements au Mali et dans la région
La France dans la région
La France est intervenue, à plusieurs reprises, dans des pays de la région ces dernières années.
- Côte d’Ivoire : en septembre 2002, une rébellion a éclaté dans le nord du pays. La France aide alors le président Laurent Gbagbo (au pouvoir depuis 2000) à stopper l’avancée des rebelles, mais installe ensuite une force militaire française. Celle-ci coupera la Côte d’Ivoire en deux pendant dix ans. En novembre 2004, lors de manifestations populaires contre cette force, les troupes françaises tirent sur la foule depuis l’Hôtel Ivoire à Abidjan (plusieurs dizaines de morts). Suite à une élection qui a vu deux vainqueurs se proclamer – Gbagbo et Alassane Ouattara –, la France intervient militairement et renverse Laurent Gbagbo le 11 avril 2011…
- Tchad : dans ce pays régi par la dictature d’Idriss Déby Itno et politiquement instable, la France est intervenue à plusieurs reprises pour écraser des rébellions, notamment en février 2008.
L’éclatement de la crise malienne
Le 1er novembre 2010, le « Mouvement national de l’Azawad » annonce sa fondation. Le 16 octobre 2011, il fusionnera avec d’autres groupes touaregs – renforcés par le retour d’anciens combattants engagés en Libye – pour former le MNLA : « Mouvement national de libération de l’Azawad ».
À partir du 17 janvier 2012, des combats avec l’armée malienne s’engagent à Menaka et Tessalit. Les touaregs reçoivent le renfort de groupes djihadistes implantés dans la zone frontalière algéro-malienne depuis 2003. Le 24 janvier, une centaine de soldats maliens désarmés, faits prisonniers, sont égorgés à Aguelhok. La responsabilité de ce massacre de prisonniers sans armes est toujours disputée, certains l’imputant au MLNA et d’autres aux djihadistes.
L’avancée des troupes rebelles (touaregs et djihadistes réunis) dans le Nord fait chuter le gouvernement. À partir de manifestations de femmes de soldats et de civils – protestant contre le fait que des conscrits soient envoyés sans armes et de façon désorganisée au front –, des jeunes officiers se mettent en mouvement à partir du camp militaire de Kati. À la surprise générale, le président Amadou Toumané Touré (ATT) est renversé le 22 mars : reflet de la crise que traverse l’État malien, son palais n’était quasiment pas gardé…
Un mouvement de soutien aux putschistes se forme (le « mouvement du 22 mars »). Le parti de gauche SADI lui apportant également son soutien, préconisant un règlement malien au problème de l’occupation du nord, mais sans intervention extérieure. Cependant, le capitaine Amadou Sanogo, qui a pris la tête du gouvernement issu du putsch, demande lui-même le 5 avril une intervention militaire internationale dans une interview publiée par Libération puis Le Monde. Les incertitudes de l’après 22 mars font encore reculer le front dans le Nord, alors que les grandes puissances (dont les USA et la France) mettent le Mali à l’isolement « pour condamner le putsch », jusqu’à la formation d’un « gouvernement d’union nationale ».
Le 6 avril, le porte-parole du MNLA, Mossa Ag Attaher, proclame « l’indépendance de l’Azawad » (le nord du Mali) dans une interview sur la chaîne de télévision France 24. De nombreux observateurs soulignent que cette interview a été donnée à Paris, où il résidait depuis un bon moment, et non sur le terrain malien…
L’alliance tactique du MNLA et des groupes islamistes va être rompue : le 8 juin, des combats éclatent entre eux à Kidal. Le 27 juin, le MNLA enregistre une lourde défaite militaire contre les djihadistes à Gao. La direction du MNLA ira alors se réfugier au Burkina-Faso, gouverné par Blaise Compaoré, un ancien allié de la Françafrique. À partir de là, le MNLA tentera de revenir dans le jeu à plusieurs reprises, proposant même plus tard de combattre aux côtés de l’armée française.
Le 26 septembre, le Président français François Hollande plaide en personne à la tribune de l’assemblée générale des Nations unies pour une intervention militaire internationale au Mali. Sur la base de scénarios élaborés au cours des semaines suivantes, le Conseil de sécurité des Nations unies donnera officiellement son feu vert le 20 décembre. Sauf que le scénario théoriquement retenu exclut alors toute intervention directe française, en tout cas au sol, et prévoit uniquement le déploiement de troupes africaines...
Des urgences humanitaires
L’urgence humanitaire à laquelle est confrontée le Mali, comme d’ailleurs d’autres pays sahéliens, est la crise alimentaire provoquée notamment par une forte sécheresse en 2012.
Ces difficultés ont été aggravées par les attaques des djihadistes dans le nord du Mali. La plupart des paysans n’ont ni semé ni pratiqué les cultures de contre saison qui aident à passer la période de soudure. Ainsi, les demandes d’aide alimentaire, si elles tendent à diminuer dans la région du Sahel, ont augmenté de 24 % pour le Mali.
La crise alimentaire est accentuée par une très forte augmentation des prix : à titre d’exemple, le kilo de riz – qui coûtait environ 65 cents – est vendu maintenant à 2 dollars, le mil – qui avait déjà connu une augmentation de 60 % à Tombouctou et de 85 % à Gao – vient à nouveau d’augmenter de 20 %. Ces prix, hors de portée de la plupart des populations, s’expliquent par les difficultés importantes d’approvisionnement des marchés et la fuite des populations arabes et touaregs qui traditionnellement tenaient les commerces de distribution. À cela s’ajoute aussi le problème du ravitaillement en eau que les autorités veulent désormais faire payer à la population…
Les réfugié.e.s en augmentation
Les recensements des réfugiés dans les pays limitrophes du Mali, la Mauritanie, l’Algérie, le Burkina Faso et le Niger, indiquent que sur les 170 000 réfugié.e.s, une grande majorité est touareg ou arabe. La peur est forte d’être identifié, aux yeux des autres populations, comme djihadistes ou, au moins, comme leurs complices. Les exactions des soldats de l’armée malienne ont amplifié ce phénomène, d’autant que la stratégie d’une partie des djihadistes est de se mélanger à la population, ce qui tend à exacerber les méfiances, voire les haines, entre les habitants de la région du Mali.
Sur le front de l’humanitaire, depuis l’intervention française, la situation est loin de s’améliorer. Les populations déplacées et réfugiées lors du début de la crise attendent que la situation sécuritaire, sociale et aussi sanitaire, s’améliore. En effet, leur nombre ne cesse d’augmenter : en décembre 2012 autour de 227 000 déplacé.e.s, 260 000 en février 2013. Beaucoup de ces réfugié.e.s ont tout perdu, et les conditions de vie dans les camps sont précaires. Les maladies de peau ou le choléra font leur apparition, et la malnutrition reste un problème récurrent. Le retour de ces populations chez elles doit impérativement être accompagné d’une aide qui permette la reprise de leur activité économique.
Les Touaregs : une question récurrente
Le problème touareg n’est pas uniquement lié au Mali, mais à l’ensemble des pays sahéliens, même si les revendications et les réponses des États restent différenciées.
Historiquement les Touaregs sont un peuple nomade, bien que certains soient aujourd’hui sédentarisés. Ils sont très minoritaires dans le nord du Mali. Depuis très longtemps, une de leurs activités est le convoyage de marchandises coûteuses à travers les pistes du désert.
Les Touaregs ont mené des luttes importantes contre la colonisation, à tel point que les Français ont dû concéder des aménagements qui respectaient leur culture et leur mode de vie.
Modibo Kéita, père de l’indépendance du Mali en 1960, proche des pays du bloc soviétique et panafricaniste convaincu, mena une politique de centralisation du pays accompagnée de violences à l’égard des Touaregs. À l’époque, deux questions clefs se posèrent : le paiement des impôts par les Touaregs et la fin de la politique esclavagiste. Si ces deux questions devaient indéniablement trouver des solutions, les réponses militaires et bureaucratiques accentuèrent les divisions. À la résistance des Touaregs, une répression s’abattit sur les populations. Le nord du Mali devint une région occupée militairement et la grande sécheresse des années 70 poussa une partie des Touaregs à fuir vers la Libye où ils furent, pour la plupart, enrôlés dans la milice islamique pour les guerres, notamment au Tchad.
Intégration et développement
Les luttes touaregs des années 80 et 90 eurent comme objet une meilleure intégration dans la société malienne. À partir des années 2000, plusieurs mesures ont été prises pour favoriser cette intégration, notamment dans l’appareil d’État. En 2006, l’Accord d’Alger censé instaurer une paix durable, reste l’objet de controverses, notamment sur la démilitarisation de la région du nord du Mali, ce qui a permis au djihadistes et trafiquants – qui parfois sont les mêmes – de sanctuariser ce territoire une fois et demi plus grand que la France.
Malgré leurs prétentions, le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) est loin de représenter l’ensemble des Touaregs et à fortiori des populations du nord. Et la politique totalement aventuriste et sans principe du MNLA a causé beaucoup de tort à la cause touareg.
En fait, il y a aujourd’hui un double problème à régler : la question du développement du nord du Mali et la question nationale touareg. Les solutions se trouveront certainement dans une décentralisation, avec un transfert des compétences de l’État central vers cette nouvelle entité. Mais pour que de telles solutions soient valables, elles doivent être nécessairement issues des différentes populations qui, si elles ont préservé leurs spécificités, ont vécu ensemble pendant des siècles. Les négociations ne doivent pas être monopolisées par des organisations plus ou moins autoproclamées et dont la représentativité de différentes communautés restent incertaines. Les populations du nord du Mali ont développé un réseau dense d’organisations de la société civile qu’il convient d’écouter et de respecter, ce qui reste largement contradictoire avec un dialogue politique malien sous contrôle de la France.
Dossier réalisé par Paul Martial et Bertold du Ryon