Décédé des suites d’un cancer le 5 mars 2013, Hugo Chávez a concentré sur son nom autant de haines que de passions. Hai à droite pour avoir osé remettre en cause la subordination du Venezuela aux intérêts US et l’accaparement de la rente pétrolière par les classes sociales privilégiées. Adulé par une population qui a vu reculer la misère, et qui a enfin profité d’une part non négligeable des revenus pétroliers.
A l’encontre du dogme néolibéral qui traite l’économie come un phénomène naturel et nie toute possibilité d’intervention politique pour la contrôler, Chávez a remis au goût du jour le primat du politique sur l’économie. Malgré un lourd héritage historique où le mouvement social a été lourdement réprimé pendant 40 ans d’alternance de gouvernements de droite et sociaux-démocrates, il a voulu inverser le mouvement en rompant avec le passé.
Sur le plan intérieur, il a utilisé les profits pétroliers pour faire reculer la pauvreté qui a diminué de moitié en moins de 14 ans de pouvoir. Il a apporté un accès gratuit à la santé et à l’éducation pour une population qui en était exclue. Dans une période où les politiques menées par la droite et la gauche social-libérales ne jurent que par les sacrifices imposés aux plus pauvres, aux classes populaires, rien d’étonnant à ce qu’il soit haï dans les médias français et par la quasi-totalité des gouvernements.
Nos gouvernements ont reculé l’âge de départ à la retraite, Chávez l’a avancé à 60 ans pour les hommes, 55 ans pour les femmes après avoir cotisé 750 semaines (soit environ 15 ans). Chez nous, ils privatisent les services publics et démantèlent le code du travail, Chávez nationalise plusieurs secteurs économiques essentiels et crée un nouveau code du travail bien plus protecteur pour les salariés. Rien d’étonnant à ce que la population vénézuélienne soit descendue dans les rues pour pleurer sa disparition.
A l’échelle internationale, sa mort est un coup dur pour les pays les plus proches, les membres de l’ALBA (Alianza Bolivariana para los Pueblos de Nuestra América) qui bénéficient d’une politique d’échange favorable, notamment Cuba, la Bolivie, l’Equateur ou le Nicaragua. Mais plus largement l’Amérique latine est secouée par la disparition d’un président qui a contribué à la création de la nouvelle union latino-américaine, la CELAC (Communauté d’Etats Latino-Américains et Caraibéens), contribuant ainsi à desserrer l’étau imposé par le géant US.
Outre ses succès politiques et sociaux, la « révolution bolivarienne » porte sa part d’ombre.
Sur la scène internationale, Chávez a frappé un coup dans le dos des peuples arabes en soutenant les dictateurs comme Kadhafi, Assad et compagnie.
Au Venezuela, les mouvements sociaux se sont fortement développés sous Chávez, notamment le mouvement syndical, mais les chavistes ne les imaginent qu’inféodés au gouvernement.
Sur le plan économique, il n’y a pas de projet alternatif de développement. Les réformes portent sur une correction des aberrations du capitalisme, par exemple sur le contrôle bancaire, en créant des sociétés d’économie mixte ou en nationalisant des secteurs économiques, comme les hydrocarbures, l’électricité, la production de ciment, …
Le socialisme du XXIe siècle reste un mot d’ordre sans concrétisation. Même si les réformes sociales ont sorti des millions de personnes de la misère, la conception du pouvoir populaire est coincée entre autonomie et subordination. Enfin, l’hyper présidence de Chávez a étouffé les débats critiques au sein même de son propre camp et les principaux problèmes vont ressortir avec force une fois passée la période de deuil.
Le premier porte sur le rôle futur de la « bolibourgeoisie », couche sociale qui s’est enrichie sur le dos du processus et qui fera tout pour limiter l’approfondissement révolutionnaire du processus.
Le deuxième concerne l’autonomie des mouvements sociaux et la construction d’un pouvoir alternatif aux institutions actuelles.
Le troisième porte sur la rupture avec le capitalisme et la dépendance externe.
Mais malgré toutes les critiques, Chávez restera celui qui aura rendu possible l’espoir d’un changement politique et social. De ce point de vue, sa disparition attriste tous ceux qui partagent un idéal d’émancipation et de justice sociale.
Patrick Guillaudat